(BFM Bourse) - Alors qu'il prenait environ 50% en Bourse depuis le début de l'année, le spécialiste des équipements électriques a brutalement décroché après sa publication du troisième trimestre. Faut-il y voir un coup d'arrêt ou, au contraire, un point d'entrée sur une histoire prometteuse?
Il y a encore peu, Legrand affichait la troisième plus forte hausse du CAC 40 sur 2025. Seules Société Générale avec son rallye impressionnant (+113,3%), et Thales (+72,7%), dopées par les annonces de hausses des budgets militaires en Europe, connaissaient des performances supérieures à celle du groupe limougeaud.
Derrière ces deux valeurs aux parcours boursiers particuliers, Legrand était "le meilleur des autres", avec une hausse dépassant les 50%.
Le titre a pu être porté par des premiers signaux de reprise de la construction en Europe et aux États-Unis, segment auquel le groupe demeure très exposé.
Spécialiste des équipements électriques (interrupteurs, prises, rallonges, disjoncteurs, tableaux électriques…), Legrand reste très lié à l'activité du bâtiment, qui représente 80% de ses revenus (en comptant le résidentiel et le non-résidentiel).
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Une offre "unique" sur les data centers
Toutefois, ce sont les 20% restants de ses revenus, à savoir les "data centers", qui ont conduit Legrand à connaître un changement de statut boursier, cette année.
Grâce à des résultats robustes sur la première partie d'année, accompagnés de relèvement d'objectifs, les investisseurs ont commencé à percevoir Legrand comme une valeur clef pour jouer le boom des "data centers" et de l'intelligence artificielle (IA).
Comme Schneider Electric, Legrand conçoit et commercialise une suite de produits pour les centres de données (transformateurs, disjoncteurs, solutions de câblage, connecteurs, coffrets muraux etc…).
Les investissements gargantuesques des "hyperscalers" (Amazon Web Services, Google Cloud, Microsoft Azure) ou d'OpenAI dans les datacenters se sont, en conséquence, répercutés sur l'activité de la société. Et sur sa croissance. Au deuxième trimestre, la progression de ses revenus avait dépassé 10% (10,1% en données comparables).
Signe que la société a marqué les esprits, plusieurs bureaux d'études avaient, au début de l'automne, opéré un virage à 180 degrés et relevé leur opinion sur le titre.
C'est le cas de Bank of America, qui avait rehaussé de deux crans son conseil, passant de "sous-performance" à "acheter", fin septembre. La banque américaine voyait l'activité de data centers de la société afficher une croissance de 10 à 25% par an jusqu'en 2030 tandis que la reprise de la construction en Europe lui apporterait un supplément d'activité important en 2026.
Jefferies est également passé à l'achat contre "sous-performance", mi-octobre, jugeant que le groupe offre au marché une façon "unique" de jouer l'hyper-croissance des data centers grâce notamment à son offre ciblant les "espaces blancs" des centres de données.
Un violent retour à la réalité
Toutefois, Legrand a connu un décrochage brutal la semaine dernière. Le titre du groupe français a perdu 12,2% sur une seule séance le 6 novembre, sa plus forte chute depuis mars 2020 et le début de la pandémie de coronavirus. En conséquence, le groupe a dégringolé dans le classement du CAC 40 de 2025, passant de la troisième à la huitième place.
In fine, l'entreprise a été violemment sanctionnée par les investisseurs pour avoir livré des résultats nettement sous les attentes au troisième trimestre.
La croissance, en données comparables, s'est inscrite à 6,7% au troisième trimestre, soit nettement moins que les attentes des analystes, logées à 8,7%. La marge opérationnelle ajustée s'est, elle, établie à 20% contre un consensus à 20,8%, selon Royal Bank of Canada. La banque canadienne estime toutefois que les attentes étaient "agressives", en particulier sur la croissance.
Passé ce coup de grisou, faut-il revenir sur le titre, ou, au contraire, s'en écarter? Pour le bureau d'études indépendant Alphavalue, Legrand est "victime de son propre succès".
La correction boursière survenue le 6 novembre traduit "un résultat inévitable" au vu "de la valorisation élevée et des anticipations de croissance 'exigeantes' qui ont dopé l'action sur les six derniers mois". Le bureau d'études juge que la prudence reste de mise au regard des multiples boursiers encore importants de la société, et conseille ainsi aux investisseurs d'attendre "un meilleur point d'entrée".
Deutsche Bank passe à "conserver"
Deutsche Bank, de son côté, a jugé qu'il était temps d'abandonner son opinion à l'achat. Le lendemain de la publication de Legrand, la banque allemande est ainsi passée à "conserver".
L'établissement se dit déçu du levier opérationnel de la société (c'est-à-dire la capacité à améliorer ses résultats plus fortement que ses revenus) et souligne que la confirmation des objectifs du groupe pour 2025 implique un nouveau ralentissement de la croissance au quatrième trimestre.
Pour rappel, la société compte dégager en 2025 une croissance hors effets de changes de 10 à 12% en 2025 (contre 14,5% sur les neuf premiers mois) et une marge opérationnelle ajustée située entre 20,5 et 21%. Or, le marché attendait mieux que la simple confirmation de ces cibles réitérées la semaine dernière, souligne Deutsche Bank.
À l'opposé, Barclays a réaffirmé son conseil à "surpondération" sur le titre, équivalent d'acheter. La banque britannique fait valoir qu'en dépit de la chute de l'action, les fondamentaux du groupe demeurent en réalité inchangés, l'activité liée aux data centers n'ayant guère ralenti au troisième trimestre, malgré une base de comparaison plus élevée.
Selon Barclays, ce segment a affiché une croissance en données comparables de plus de 40% sur la période. Et la direction a précisé que l'activité liée aux data centers ne diluait pas les marges de l'ensemble du groupe, ce qui contraste avec les situations rencontrées par le suisse ABB et par Schneider Electric.
Une direction trop prudente?
La baisse de l'action du 6 novembre représente ainsi "un point d'entrée attrayant pour le groupe d'équipements électriques le moins onéreux du secteur et dont les ventes sont les plus exposées aux data centers", assure la banque britannique.
Barclays attire surtout l'attention sur le fait que la direction de Legrand a vraisemblablement fait preuve d'une prudence énorme pour ne pas dire excessive. La prévision de croissance pour 2025 implique, en milieu de fourchette, que la croissance en donnée comparables tombe à zéro, au quatrième trimestre ("oui, zéro, vous avez bien lu", écrit d'ailleurs la banque).
Dans la mesure où la direction a indiqué que les prix devraient avoir un impact de trois points de pourcentage sur le trimestre, cela signifie que les volumes devraient baisser de 3% sur un an. Une hypothèse qui semble très exagérée aux yeux de la banque.
Cette dernière, pour illustrer son propos, explique également que ces indications signifient que l'activité dans les data centers connaîtrait un violent coup de frein, avec une croissance "low mid single digit", c'est-à-dire comprise entre 1 et 5% au quatrième trimestre (contre donc plus de 40% au troisième selon Barclays).
"Legrand devrait facilement atteindre cet objectif et le troisième trimestre 2025 restera dans les annales comme un exemple parfait de gestion des attentes", juge Barclays.
"Beaucoup à aimer" chez Legrand
Moins enthousiaste, Royal Bank of Canada se montre relativement optimiste. Pour la banque canadienne, les performances du groupe ne sont "vraiment pas si mauvaises". "Nous considérons la situation comme constructive à l'approche de 2026", ajoute-t-elle.
Depuis le deuxième trimestre 2025, Legrand est devenu un "datacenter darling", rappelle l'établissement. Mais les résultats du 6 novembre ont rappelé que la majorité de son activité restait liée aux cycles de construction, avec une croissance plus basse.
Pour autant, comme Barclays, Royal Bank of Canada ne perçoit pas de signes de faiblesse du côté du marché des data centers, et la société a encore engrangé plus de commandes qu'elle a réalisé de ventes au troisième trimestre. Dans le même temps, les marchés déprimés du groupe, comme le bâtiment résidentiel en Europe et le non résidentiel aux États-Unis commencent à repartir après avoir atteint le creux de la vague, remarque la banque canadienne.
"Au cours des prochaines années, entre la croissance des data centers et la reprise cyclique à partir de niveaux bas (des autres activités, NDLR), nous prévoyons que la croissance atteindra de façon durable un taux 'mid single digit' (entre 4 et 7%, NDLR)", projette Royal Bank of Canada.
"Avec des marges d'exploitation supérieures à 20%, une conversion du flux de trésorerie disponible supérieure à 100% et un modèle d'acquisitions ciblées qui a fait ses preuves, il y a beaucoup à aimer chez Legrand", conclut la banque.
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