Connexion
Mot de passe oublié Pas encore de compte ?

Marché : Les vendeurs à découvert, une espèce menacée en Bourse?

dimanche 16 juin 2024 à 07h00
La vente à découvert reste très risquée

(BFM Bourse) - La hausse continue des marchés actions a malmené ces vendeurs à découvert ces dernières années, certains jetant l'éponge.

Parfois décriés pour leurs allégations qui peuvent être erronées, parfois encensés pour mettre à jour de véritables fraudes, les vendeurs à découvert laissent rarement indifférent.

Pour rappel, ces investisseurs mettent en place des stratégies qui les amènent à s'opposer aux entreprises ou aux autres acteurs de marché, en pariant non pas à la hausse mais sur une baisse d'un titre, sans le détenir. Pour cela ils empruntent une action détenue sur un marché dédié (le "repo") moyennant rémunération auprès du prêteur, et la vendent dans la foulée. Ils rachètent ensuite l'action (pour la rétrocéder à son propriétaire d'origine), en espérant qu'elle ait baissé dans l'intervalle (et ils empochent la différence de prix).

Cette stratégie très risquée est réservée à des professionnels de la finance, et à bannir chez les particuliers, pour des raisons que nous avons évoqué dans un précédent article.

Pour appuyer leurs positions et influencer le marché, certains vendeurs à découvert notoires, comme Muddy Waters, Gotham City Research ou Shadowfall, publient parfois des rapports d'analyses à charge, voire au vitriol.

Parfois cela passe. Très tôt, Shadowfall – et aussi le Financial Times - avait émis des doutes sur la sincérité des comptes de Wirecard, un groupe de paiements qui avait connu une croissance vertigineuse et était devenu l'étoile montante de la Bourse de Francfort. Quelques années plus tard, Wirecard disparaîtra à la suite de gigantesques irrégularités comptables, causant un scandale qui a profondément terni la réputation de la place allemande.

Parfois cela ne passe pas. Ou difficilement. Vusiongroup a été attaqué par deux "short sellers", Gotham City Research en 2023 puis par Shadowfall, il y a quelques semaines. Mais la société a vivement et largement démenti les accusations. Avec un certain succès jusqu'à présent, selon les analystes. Le directeur général de la société, Thierry Gadou, a d'ailleurs appelé à une meilleure évaluation de ces fonds de vente à découvert "qui nuisent aux actionnaires mais aussi aux véritables fonds activistes". Shadowfall avait aussi attaqué Eurofins en 2019, ce qui n'a pas empêché le laboratoire d'analyses médicales de rejoindre le CAC 40 deux ans plus tard.

Des pertes qui peuvent être importantes

Forcément mal aimés de leurs cibles mais aussi parfois des régulateurs ou des autres investisseurs, les vendeurs à découvert, dans leur globalité, souffrent avec la hausse des marchés qui rendent leurs paris plus difficiles à tenir. Selon les données de la société S3, les vendeurs à découvert ont essuyé des pertes de 195 milliards de dollars en 2023 sur les marchés canadiens et américains. Ce malgré des paris gagnants sur des valeurs massacrées, comme les banques régionales First Republic et SVB, ou les spécialistes des vaccins Covid (Moderna, Pfizer).

Une décision marquante est survenue l'an passé. Jim Chanos, un célèbre vendeur à découvert qui a notamment mené une campagne à succès contre Enron (qui a disparu en 2021 à la suite de l'un des scandales financiers les plus retentissants de l'histoire), a décidé de fermer ses fonds ou de les transformer en family offices. "Le plus célèbre bear (un investisseur qui parie à la baisse, NDLR) de Wall Street se met en hibernation", écrivait alors le Wall Street Journal. Le quotidien soulignait alors que les investisseurs avaient moins d'attrait pour des spéculations à la baisse.

Bloomberg n'y est pas allé par quatre chemins dans une (excellente) enquête publiée la semaine dernière, notant que "les short sellers sont en danger d'extinction". Les actifs sous gestion des fonds "shorts" sont passés de 7,8 milliards de dollars à 4,6 milliards selon les données de HFR, citées par Bloomberg. Un indice compilé par cette même société est lui passé de 54 pensionnaires à juste 14, montrant le rétrécissement du nombre d'acteurs de ce marché.

Par ailleurs, un rapport de la société Acadian de mai dernier souligne qu'il est devenu "incroyablement" cher de vendre à découvert des titres sur le marché, avec des "loyers" sur les titres empruntés qui peuvent atteindre des taux annuels de 100% sur de nombreux titres voire 1.000% dans certains cas, ce qu'elle expliquait ne pas avoir vu depuis.. 1931.

Une espèce "en voie de disparition"

The Economist, pour sa part, prévenait dès novembre dernier que les "vendeurs a découvert sont en danger ce qui est une mauvaise nouvelle pour le marché". Au même moment, le Financial Times écrivait que les short sellers sont "incompris", rappelant que ces acteurs de marché effectuent souvent "d'intenses recherches" et permettent ainsi de faire la lueur sur d'importants scandales.

Selon une étude de 2019 d'Antonis Kapartanis, un chercheur de l'Université du Texas à Austin, 30% des fraudes alléguées par les short-sellers sont ensuite confirmées. "Malgré un taux élevé d'allégations non confirmées, les vendeurs à découvert activistes constituent toujours le signal le plus fort qu'une entreprise a commis une fraude comptable par rapport à d'autres indicateurs de fraude couramment utilisés", tranchait l'étude.

Une autre vertu potentielle de ces vendeurs: souligner l'exagération de certains mouvements de hausse et assainir le marché. Ce qui constitue un contrepoids alors qu'il est beaucoup plus aisé et consensuel d'adopter des opinions positives.

Les régulateurs n'hésitent pas à serrer la vis, ce qui peut décourager ces vendeurs à découvert. La Chine et la Corée du Sud ont pris l'an passé des mesures pour restreindre les ventes à découvert. Comme le rappelle Bloomberg, de nombreux "shorts sellers" activistes se sont retrouvées sous enquête des autorités américaines. S'il n'y a pas eu de poursuites légales, le gendarme boursier américaine, la SEC, a établi des règles obligeant les hedge funds et d'importants investisseurs à dévoiler leurs positions de ventes à découvert à la fin de chaque mois.

Les "shorts sellers", aux Etats-Unis tout du moins, ont aussi dû se battre contre l'émergence des "meme stocks", avec des investisseurs individuels qui se sont ligués sur les réseaux sociaux pour acheter massivement certaines valeurs (Gamestop est l'exemple type de ce phénomène) et prendre à revers les vendeurs à découvert. Sans que les fondamentaux économiques de la société en question ne justifie leurs décisions.

"C'est un mauvais business", a déclaré à Bloomberg Andrew Left, fondateur de Citron Research, qui a été impliqué dans l'enquête des autorités américaines. "Vous vous placez au centre d'un procès permanent de la part de l'entreprise, voire du gouvernement. Et vous vous demandez 'pourquoi est-ce que je fais ça?'", a-t-il ajouté. Et de confier à l'agence: "Nous sommes une race en voie de disparition".

Julien Marion - ©2025 BFM Bourse
Forum suspendu temporairement
Portefeuille Trading
+336.50 % vs +62.57 % pour le CAC 40
Performance depuis le 28 mai 2008

Newsletter bfm bourse

Recevez gratuitement chaque matin la valeur du jour