(BFM Bourse) - BFM Bourse a demandé à S&P Global Market Intelligence de compiler la liste des valeurs les plus "shortées" sur le deuxième indice le plus important de la place parisienne, à savoir le SBF 120. Le classement est surtout dominé par deux valeurs.
La vente à découvert reste une stratégie extrêmement risquée et à bannir pour les investisseurs particuliers. Nous l’avions très bien expliqué dans un précédent article.
Pour rappel, cette technique revient à miser non pas sur la hausse mais la baisse d’une action. Elle consiste à emprunter (moyennant un loyer convenu) ladite action à un investisseur qui la détient et la vendre sur le champ, en tablant sur une baisse du cours qui permettra de la racheter moins cher au moment de la restituer à son propriétaire, en empochant donc la différence.
A l’heure actuelle, quelles sociétés sont les plus ciblées par les vendeurs à découvert? Les données les plus fiables dans ce domaine sont compilées par S&P Global Market Intelligence, l’acteur de référence.
A la demande de BFM Bourse, ce spécialiste des données appartenant à S&P a établi un classement du SBF 120, comme lors de précédents points à l'automne 2022 et en juin 2023. La mesure de la vente à découvert se fait via le pourcentage du capital en circulation qui est prêté. Précisons que ces données, affichées par l'infographie ci-dessous, ont été arrêtées le 27 mai dernier.
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Alstom, une des valeurs "les plus shortées d'Europe"
Deux actions se détachent très nettement. Alstom occupe le haut de ce classement avec 28% du capital prêté. Contactée, la société n'a pas souhaité faire de commentaire.
Le chiffre sur Alstom constitue quand même une surprise. Certes, plusieurs intermédiaires financiers avaient souligné que l'équipementier était une valeur très shortée par le marché. Après avoir brûlé plus d'un milliard d'euros de cash au premier semestre de son exercice passé, la société a dû mettre les grands moyens pour assainir son bilan et protéger sa note de crédit menacée d'une dégradation par Moody's. Elle a notamment décidé de vendre pour 700 millions d'euros d'actifs et a lancé cette semaine une augmentation de capital d'un milliard d'euros pour se désendetter.
Mais de récents résultats meilleurs que prévu ainsi qu'un plan de désendettement plutôt bien reçu par le marché ont entraîné une nette hausse de l'action, ces dernières semaines. Le titre Alstom progresse d'environ 50% depuis le début de l'année.
Cette remontée de l'action suggère surtout que les vendeurs à découvert ont probablement -au moins en partie - déjà jeté l'éponge et débouclé leurs positions, jugeant que le pire est certainement passé pour le concepteur du TGV.
"Alstom reste l'une des valeurs les plus vendues à découvert en Europe et nous nous attendons à ce que le 'short squeeze' (les débouclage violent des positions de "shorts", NDLR) se poursuive car le groupe semble être de nouveau sur la bonne voie en termes de dynamique de flux de trésorerie et de structure de bilan", écrivait d'ailleurs début mai Deutsche Bank.
Comment expliquer dans ce contexte qu'une part si importante des titres Alstom soit encore prêtée et donc potentiellement vendue à découvert? Selon une source proche, la réponse serait liée à l'augmentation du capital annoncée par le groupe.
Systématiquement, lorsqu'une entreprise cotée procède à un appel au marché, la part des titres prêtés grimpe nettement, car les fonds spéculatifs empruntent des actions le temps d'étudier leurs arbitrages pendant que cette augmentation a lieu, fait-elle valoir. D'après cette source, la part du capital d'Alstom prêté en temps "normal" se situerait plutôt autour de 5% à 10%.
Atos en plein marasme boursier
A la deuxième position figure Atos. L'entreprise de services numériques connaît depuis plusieurs années un véritable cauchemar boursier, dû à des louvoiements stratégiques, une instabilité managériale, et une sortie de cash importante. Le titre plonge de 72% depuis le début de l'année et de 85% sur un an.
Le groupe est actuellement à la recherche de 1,7 milliard d'euros de fonds sous diverses formes (liquidités, lignes de crédit, garanties) pour assurer sa survie et a fait l'objet de plusieurs offres de reprise. La société a indiqué que, dans tous les cas, sa recapitalisation entraînera une dilution "massive" de ses actionnaires. Ce qui peut expliquer pourquoi des investisseurs ont tendance à se positionner sur une baisse du titre.
Les autres sociétés présentes dans le top 10 affichent des niveaux de titres prêtés plus "ordinaires". Carrefour (12,7%) est troisième devant Air France-KLM (10,04%), une valeur très volatile en Bourse et qui peut donc attirer les vendeurs à découvert.
Vusiongroup, qui a récemment fait l'objet d'accusations d'irrégularités comptables par le fonds Shadowfall, un an après avoir essuyé une offensive similaire de la part de Gotham City Research, pointe à la cinquième place.. La société a battu en brèche les accusations de Shadowfall, affirmant que le tweet "semait" la confusion et visait à "rouvrir le chapitre clos" de l'attaque de Gotham City Research, qui avait été totalement réfutée par l'entreprise.
Contactée par BFM Bourse au sujet de la part de son capital prêté, Vusiongroup a déclaré que "sa place dans ce classement (était) du seul fait de sa forte visibilité en Bourse: sur les cinq dernières années, le groupe affiche la plus forte hausse du cours de bourse (+612%) et la plus forte croissance du chiffre d'affaires (+230%) du SBF 120".
"Lorsque Vusiongroup a pu subir des tentatives de manipulation et de déstabilisation de la part de vendeurs à découvert qui cherchent à tromper les investisseurs, nous les avons systématiquement dénoncées. Chaque attaque réalisée par des shorters a fait l’objet de réponses précises et transparentes", a ajouté l'entreprise. Son directeur général, Thierry Gadou, a appelé à "une meilleur évaluation" des fonds de ventes à découvert, "qui nuisent aux actionnaires mais aussi aux véritables fonds activistes qui eux interviennent, sur le long terme, pour le bien commun", souligne aussi la société.
Plombé par une crise immobilière sans précédent qui l'a amené à lancer un plan de sauvegarde de l'emploi et à renoncer au dividende, Nexity est sixième.
Teleperformance suit à la septième place. L'action du spécialiste de la relation client externalisée a pâti, ces derniers trimestres, de craintes d'un bouleversement de son activité causée par l'intelligence artificielle. La direction et plusieurs analystes ont toutefois minimisé ou relativisé ces craintes et le groupe a publié une activité sur les trois premiers mois de 2024 qui a rassuré le marché.
Le "niveau élevé de titres prêtés (de Teleperformance, NDLR) peut s'expliquer par le dividende payé le 29 mai", fait valoir une source proche de l'entreprise. "Les investisseurs ont pu se positionner et emprunter les titres", poursuit cette même source qui s'attend "à ce que la part empruntée recule maintenant que le dividende a été versé".
A noter, par ailleurs, que BNP Paribas et Société Générale se suivent dans le classement, au huitième et neuvième rangs, respectivement.
Vallourec boucle le top 10. "Environ trois quart des ventes à découvert sont le fait de porteurs de BSA (bons de souscription d’actions)", qui avaient été alloués à des banques lors de la restructuration financière de 2021, a déclaré la société à BFM Bourse.
"Ces BSA ont un prix d’exercice de 10,11 euros ce qui, au cours actuel de Vallourec (16,25 euros à la clôture de jeudi), les placent dans une situation de forte plus-value. Par conséquent, une très grande partie des ventes à découvert ont été effectuées par des porteurs de BSA qui cherchent à protéger leur plus-value par la vente d’actions à découvert, mais ne sont pas liées à un avis négatif sur le groupe Vallourec ou sur ses perspectives financières", a poursuivi la société.
Contactés par BFM Bourse, Société Générale et Air France-KLM n'ont pas fait de commentaire. BNP Paribas, Carrefour, Nexity et Atos n'ont de leur côté pas répondu à des demandes de commentaires dans l'immédiat.