(BFM Bourse) - Le constructeur automobile a vu sa rentabilité chuter l'an passé, tombant même à zéro sur le second semestre. Mais ce sont surtout les objectifs inférieurs aux attentes qui intriguent. Et qui reposent sur l'hypothèse de lancements réussis et de gains de part de marché.
John Elkann n'y est pas allé par quatre chemins. "2024 est une année dont nous ne sommes pas fiers", a reconnu mercredi le président du conseil d'administration de Stellantis et actuel pilote du groupe, en attendant qu'un successeur à Carlos Tavares soit trouvé à la direction générale de la société.
C'est peu dire que Stellantis a souffert l'an passé. Depuis de nombreuses années, le groupe issu de la fusion entre Peugeot SA et Fiat Chrysler en 2021 affichait des rentabilités stratosphériques, à faire pâlir les marques premium allemandes. En particulier en Amérique du Nord, où sa marge opérationnelle courante a dépassé 16% en 2022 et plus de 15% en 2023.
Las, ces niveaux de rentabilité sont désormais des "chimères", souligne Bernstein. La marge opérationnelle courante de Stellantis a chuté à 5,5% contre 12,8% en 2023. Ce taux est même tombé à zéro sur la seconde partie de l'année et a basculé dans le rouge vif (-6,8%) en Amérique du Nord sur la même période. Le bénéfice de 2024 a plongé de 70% et Stellantis a brûlé sur l'année plus de 6 milliards d'euros de cash.
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Ces résultats en chute libre et par ailleurs inférieurs aux attentes (au niveau de la marge) ne constituent pas une si grande surprise. "La faiblesse plus prononcée du second semestre 2024 avait été largement signalée - la direction indiquant clairement qu'elle souhaite entamer l'année 2025 sur des bases plus saines - et ne doit donc pas être surinterprétée", souligne à ce titre Oddo BHF.
Doug Ostermann, le directeur financier de Stellantis, avait précédemment indiqué que Stellantis pourrait très bien prendre des actions ramenant la marge 2024 dans le bas de son objectif (c'est-à-dire 5,5% justement) si cela permettait de mieux préparer 2025.
À ce titre, Stellantis est parvenu à réduire ses stocks plus qu'il ne le prévoyait, notamment aux États-Unis. La société a donc assaini la situation sur le plan commercial. Ce qui s'est toutefois fait aux prix de promotions, de réduction de tarifs, et de baisse de la production au second semestre.
Un mauvais souvenir
Malgré ces efforts appréciables, les objectifs 2025 de Stellantis s'avèrent peu engageants et laissent augurer d'une année encore difficile pour le constructeur. La chute de l'action de près de 4% mercredi a d'ailleurs probablement plus à voir avec ces perspectives qu'avec les résultats 2024 à proprement parler.
Pour l'année en cours, Stellantis table sur des revenus en hausse, une marge opérationnelle courante dite "mid single digit", ce que l'on peut grosso modo traduire par "autour de 5%", et un flux de trésorerie positif sur l'ensemble de l'année.
Selon Oddo BHF, le marché à de quoi être déçu dans la mesure où le consensus se situait à 6,4%. Le courtier évoque des perspectives "plus prudentes qu'attendues" et qui impliquent "possiblement pas d'amélioration en 2025 voire un déclin" de la rentabilité.
"Ce résultat est conforme à nos attentes, mais pourrait décevoir quelque peu certains investisseurs qui se sont référés aux commentaires antérieurs du directeur financier selon lesquels la résultat opérationnel courant serait en hausse d'une année sur l'autre", abonde UBS.
Les détails de la trajectoire peuvent par ailleurs interroger. Stellantis s'attend à ce que ses revenus et sa marge opérationnelle soient bien plus élevés au second semestre qu'au premier. Doug Ostermann a indiqué aux analystes prévoir une marge "low single digit", soit entre 1% et 4% sur les six premiers mois de l'année, notamment en Amérique du Nord, avant une accélération sur la deuxième partie de 2025.
Le directeur financier a expliqué que la société s'attendait à bénéficier beaucoup plus de ses nouveaux lancements en Europe (notamment sur le segment C) comme aux États-Unis (notamment chez Jeep), ce qui créera davantage de volumes, ainsi qu'un meilleur taux d'utilisation de ses usines.
Certes, le contexte est différent. Mais ces indications rappellent beaucoup les orientations qu'avaient données la précédente directrice financière, Natalie Knight, en juin 2024. La dirigeante, qui a depuis quitté la société, anticipait une amélioration de la marge opérationnelle au second semestre 2024, grâce notamment aux lancements de véhicules. Or, comme évoqué précédemment, c'est tout le contraire qui s'est produit.
Regagner des parts de marché, le gros enjeu
Sur la génération de trésorerie, Doug Ostermann a indiqué que Stellantis s'attendait à ce que le flux positif survienne au second semestre. Ce qui signifie que, sur la première partie de l'année, l'entreprise n'exclut pas de brûler encore du cash. Là encore cette indication peut décevoir, note Bernstein, car le marché s'attendait à ce qu'une partie de la consommation de trésorerie du second semestre 2024 (-5,6 milliards d'euros) se "renverse" au premier semestre 2025.
Par ailleurs, Bernstein note également un point intéressant: les perspectives de Stellantis pour 2025 supposent que l'environnement actuel sur les droits de douanes soit maintenu.
Ce qui relève de la gageure quand on sait que l'administration Trump envisage d'importantes surtaxes douanières sur les importations provenant du Canada et du Mexique. Selon des estimations de Stifel, 16 milliards d'euros de revenus de Stellantis seraient exposés à ces droits de douanes.
Interrogé sur l'impact des droits de douanes, lors de la conférence avec les analystes, John Elkann a jugé qu'il était prématuré de s'exprimer sur cette question assurant toutefois que Stellantis avait "plusieurs scénarios en tête".
Dans ce contexte, la reconquête des parts de marchés de Stellantis s'avère impérative. Philippe Houchois, analyste chez Jefferies, a fait remarquer à la direction que le groupe avait perdu 5 points de part de marché en Europe comme aux États-Unis depuis sa création (2021). L'analyste a fait valoir que les parts de marchés de la société "étaient encore assez affreuses" alors que les investisseurs ont besoin de voir ces parts de marchés rebondir sur le segment des particuliers. "Cela est critique pour la confiance du marché", a assuré l'analyste.
John Elkann a affiché sa confiance sur le sujet notamment en raison du repositionnement de la société en termes de prix, plus en phase avec le marché. "Nous voyons de bons signes" notamment en janvier "aux États-Unis" ainsi que dans certains marchés européens (Italie, France), a-t-il par ailleurs ajouté. La société entend dans ce but donner plus de latitude aux équipes locales pour être "plus proches du client", a-t-il ajouté.
Mais ces prix plus abordables et les nouveautés suffiront-ils à regagner des parts de marchés, alors que le marché est très concurrentiel en Europe, comme la société l'a reconnu, et qu'il devrait être atone (stable) aux États-Unis, comme l'a souligné Bernstein?
Dans tous les cas, le prochain dirigeant de Stellantis aura du pain sur la planche. La société a indiqué que son prochain directeur général serait nommé d'ici à fin juin. John Elkann a assuré que le groupe avait reçu "d'excellents candidats tant en interne qu'en externe".
Oddo BHF estime d'ailleurs qu'il conviendra de regarder, plus tard, si les perspectives 2025 de Stellantis n'ont pas intégré un supplément de prudence, en amont de la désignation de ce nouveau pilote. Dans l'immédiat "nous sommes confortés dans l'idée qu'il n'y a pas lieu de se précipiter dans cette histoire (boursière) pour l'instant", conclut le courtier dans une note publiée mercredi matin.
Et, pour le moment, Stellantis souffre de la comparaison avec ses rivaux. Sa marge opérationnelle est désormais nettement inférieure à celle de Renault. Le groupe a, par ailleurs, divisé par deux son dividende annuel. Mercredi, General Motors a, au contraire, décidé de relever de 25% son coupon trimestriel tout en l'accompagnant d'un programme de rachats d'actions de 6 milliards de dollars...