(BFM Bourse) - Depuis quelques mois, les grandes capitalisations européennes progressent plus que les grands indices américains. Les investisseurs sondés par Bank of America voient désormais plus de potentiel dans l'Eurostoxx que dans le Nasdaq.
Le proverbe veut qu'une hirondelle ne fait pas le printemps. Mais la chose est suffisamment rare pour être soulignée: les actions européennes battent nettement les actions américaines sur ce début d'année.
Depuis le 1er janvier, le CAC 40 gagne 10,5%, le DAX 40 de Francfort progresse de 11,95%, le FTSE 100 de Londres s'adjuge autour de 6%, et l'indice paneuropéen "Stoxx Europe 600" avance de 8,46%.
En comparaison, les deux grands indices américains, le S&P500 et le Nasdaq Composite, gagnent respectivement 2,6% (*) et 1,7%.
"Au cours des deux derniers mois (décembre 2024 et janvier 2025, NDLR), l'Europe, mal aimée, s'est bien comportée et a exceptionnellement surperformé les actions américaines. L'Euro Stoxx 50 (un autre indice paneuropéen, NDLR) a même affiché la plus forte surperformance sur deux mois par rapport au S&P 500 en 10 ans et la deuxième plus importante depuis 2000", notait Deutsche Bank, début février.
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Retour de balancier
Il convient de souligner que les actions européennes avaient clairement du retard à rattraper. Le Stoxx Europe 600 n'avait gagné que 9,5% en 2024 contre 25% pour le S&P 500. Les actions européennes ont notamment été pénalisées par les valeurs françaises, elles-mêmes plombées à la fois par le risque politique et le ralentissement de l'économie chinoise.
L'absence de valeurs européennes très exposées à l'intelligence artificielle (hormis SAP qui a signé un excellent parcours l'an passé) a également amené les poids lourds du Vieux Continent à sous-performer les méga-capitalisations américaines. L'an passé, les "Sept magnifiques" (Nvidia, Tesla, Alphabet, Amazon, Apple, Microsoft et Meta) de Wall Street ont enregistré des progressions de plus de 60%, en moyenne, contre autour de 6-7% pour les sept plus fortes capitalisations européennes.
Par ailleurs, si l'élection de Donald Trump, en novembre dernier, a clairement porté les indices américains, le marché anticipant des mesures favorables à la croissance comme des baisses d'impôts, cela a été beaucoup moins vrai pour les actions européennes. Les menaces douanières brandies par le pensionnaire de la Maison Blanche ont, au contraire, plombé plusieurs secteurs du Vieux Continent, notamment l'automobile ou les spiritueux.
Sur ce début de 2025, il y a eu un retour de balancier. Tout d'abord, les "bigtechs" américaines s'essoufflent à Wall Street. En moyenne, leurs actions reculent de 0,8% depuis le 1er janvier, et cette moyenne cache des disparités notables entre notamment Meta (+17,3%) et Tesla (-15,8%), qui souffre de chiffres de ventes très mauvais en Europe (-3% en janvier dans les cinq plus grand pays européens).
Une bonne saison des résultats
Les derniers résultats des "Gafam" ont d'ailleurs été globalement mal accueillis par Wall Street. Amazon, Alphabet et Microsoft ont déçu dans leurs activités d'informatique dématérialisée (cloud). L'essor de la start-up chinoise Deepseek, qui a développé des modèles de langage d'intelligence artificielle (IA) performants et a priori avec des coûts bien moindre que les sociétés américaines, a par ailleurs rendu les investisseurs plus nerveux et plus scrupuleux sur les dépenses d'IA de ces "bigtech".
Autre élément positif pour l'Europe: Donald Trump a mis un tout petit peu d'eau dans son vin sur les tarifs douaniers. S'il a évoqué des surtaxes douanières sur les importations européennes, la date d'entrée en vigueur et l'application concrète de ces mesures demeurent encore floues et laissent ainsi entrevoir de potentiels leviers de négociations.
Les espoirs de trêve voire de la fin du conflit en Ukraine ont également porté les actions européennes. D'autant que, paradoxalement, ces espoirs se sont accompagnés d'une hausse des valeurs européennes de la défense (Rheinmetall prend 45% depuis le début de l'année et Thales 31,5%). Ce parce que Donald Trump, en marginalisant les dirigeants européens dans les négociations pour parvenir à mettre fin au conflit, a poussé ces mêmes dirigeants à réagir. Et à manifester leur intention de coopérer davantage et d'augmenter leurs dépenses militaires.
Dernier point: le début de la saison des résultats en Europe est plutôt bon, jusqu'à présent. Selon un décompte de Bank of America arrêté au 10 février, les quelque 25% des entreprises du Stoxx Europe 600 à avoir publié des résultats ont affiché une croissance de 11% de leurs bénéfices par actions, contre des attentes logées à +5%.
Barclays note qu'après la victoire de Donald Trump, l'Europe était perçue comme la perdante évidente en Bourse, et avait subi des sorties de capitaux importants. Le pessimisme était tombé à des niveaux extrêmes, remarque-t-elle.
"Depuis lors, un certain nombre d'étoiles s'alignent pour l'Europe. Bien que certains de ces éléments relèvent probablement plus de l'espoir que de la réalité, l'optimisme à l'égard d'un gouvernement allemand plus orienté vers la croissance, la stabilité de la politique et du budget français et, plus récemment, l'optimisme croissant à l'égard d'un cessez-le-feu en Ukraine sont autant d'éléments qui contribuent à l'amélioration de la situation", liste la banque britannique.
"Mais le principal moteur du rebond annuel est sans doute la confiance grandissante - justifiée ou non - dans le fait que le risque tarifaire est davantage un outil de négociation qu'une menace réelle, et que l'Europe pourrait donc être plus à l'abri que ce que l'on craignait", ajoute-t-elle.
Deepseek plombera Wall Street
Cette surperformance des actions européennes peut-elle perdurer dans les prochains mois? Peuvent-elles enfin battre Wall Street en 2025? Selon les données du gérant d'actifs Schroders, cela ne s'est produit que deux fois sur les dix dernières années (en 2017 et 2022).
Les avis restent partagés. Deutsche Bank pense que cette surperformance se prolongera dans les prochains mois "mais à un rythme plus lent". "Le retour des investisseurs à long terme ne fait que commencer, selon nous, et laisse une marge de progression supplémentaire", ajoute la banque allemande.
L'établissement juge que les entreprises européennes battront davantage les attentes lors de la publication de leurs résultats que les groupes américains. Deutsche Bank considère, en outre, que les questions soulevées par Deepseek continueront de peser sur les performances des "Sept magnifiques" et par ricochet sur l'attractivité des actions américaines par rapport aux européennes.
Dans une lettre publiée le 7 février, Benjamin Melman, directeur des investissements du groupe Edmond de Rothschild, a déclaré ne pas voir "de raison de sous-pondérer les actions européennes au profit du marché américain".
Le spécialiste de marché juge que les élections législatives allemandes, qui se déroulent ce dimanche 23 février, pourraient "servir de catalyseur supplémentaire" aux actions européennes. "Parallèlement, les questions soulevées par Deepseek pourraient modérer durablement le dynamisme du marché américain", ajoute-t-il.
"Les actions européennes continuent d’être soutenues par des niveaux de valorisation attrayants, même si les investisseurs institutionnels doutent que le mouvement soit durable, même en cas de cessez-le-feu en Ukraine", a de son côté noté Christopher Dembik, de Pictet AM. "À long terme, ils restent convaincus que les actions américaines sont incontournables", ajoute-t-il.
Barclays elle note que le scepticisme à l'égard de l'Europe reste "profondément élevé" chez ses clients. La banque constate aussi une polarisation entre les secteurs, avec des banques qui sont en train de devenir des valeurs refuge alors que l'automobile, la chimie et les minières souffrent encore.
Un signe encourageant est en tout cas survenu cette semaine. Bank of America a publié les résultats de son enquête mensuelle réalisée auprès de gérants des fonds (**). À la question "quel indice voyez-vous afficher la meilleure performance en 2025", 22% des répondants ont choisi l'EuroStoxx 50 , contre 18% pour le Nasdaq et le Hang Seng de Hong Kong . En janvier l'indice technologique américain était encore largement devant. Ce qui suggère qu'une bascule du côté des actions européennes est peut-être en train de s'opérer aux yeux des investisseurs.
(*) La performance sur les indices américains ainsi que sur les variations des Sept magnifiques en 2025 a été arrêtée vendredi à 19h.
(**) L'enquête de la banque a été réalisée du 7 au 13 février sur un total de 168 participations représentant 401 milliards de dollars d'actifs sous gestion.