(BFM Bourse) - Ce ratio est supposé donner un signal assez rapide de la confiance de marché et de la santé économique générale. En raison des trajectoires divergentes des deux matières premières, surtout de l'envolée de l'or, cet indicateur atteint des niveaux inédits. Et Deutsche Bank estime qu'il devrait encore monter.
En Bourse, il existe pléthore d'indicateurs de "trouillomètre" du marché. On peut citer à ce titre le VIX, construit à partir d'options financières avec des échéances comprises entre 23 et 37 jours et surnommé "l'indice de la peur". Un autre thermomètre parfois regardé reste le "fear and greed index", un indice qui détermine "la peur et la cupidité" de Wall Street.
Lancé en 2012 par CNN, le "fear and greed index" est censé donné une impression générale de l'humeur de marché, et savoir ainsi s'il se trouve en surchauffe, ou, au contraire, s'il est trop prudent. Cet indice agrège sept critères (le cours du S&P 500, le nombre d'actions qui présentent un record etc..).
Un autre baromètre peut également être surveillé par les opérateurs de marché, mêlant cette fois deux matières premières: le "gold-oil ratio" ("le ratio or-pétrole"). Ce ratio reste bête et méchant puisqu'il mesure tout simplement le nombre de barils de pétrole (environ 159 litres) qu'il est possible d'acheter avec une once d'or (31,1 grammes).
Pour donner un exemple, avec les cours actuels (*) de l'or (4.227 dollars l'once) et celui du pétrole (61,2 dollars le baril de Brent), ce ratio s'établit à 69.
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Des niveaux inédits depuis le début de la pandémie
L'idée sous-jacente est assez simple à comprendre: le pétrole reste une matière première cyclique, car la demande de pétrole est étroitement corrélée à l'activité économique. À contrario, l'or représente la valeur refuge par excellence auprès des investisseurs, et a ainsi tendance à grimper quand les autres classes d'actifs souffrent.
"La logique qui sous-tend cette relation est solide. Le pétrole brut, élément vital de l'économie réelle, subit une pression à la baisse lorsque la croissance ralentit" tandis que l'or est recherché dans ces cas de figure, notait Stephen Innes de Spi AM en 2024.
Précisons toutefois que certains facteurs ont des impacts similaires sur les deux matières premières. C'est le cas d'une chute du dollar, qui rend moins onéreuses les deux classes d'actifs pour les investisseurs dont la devise de référence n'est pas le billet vert. Ou encore d'une réduction des taux directeurs de la Réserve fédérale américaine (Fed).
In fine, ce ratio "offre un aperçu rapide de la santé économique et de l'humeur des marchés", souligne le gérant d'actifs DWS. Stephen Innes de son côté évoque un "signe de stress de marché profond".
Or ce ratio ne cesse de repousser ses plus hauts historiques. Ou presque. Cet indicateur avait atteint des niveaux supérieurs à ceux actuels pendant une très courte période, c'est-à-dire les premiers mois de la pandémie, en 2020, avant de s'effondrer à nouveau. Ce ratio avait par exemple atteint 88 en avril 2020. Il avait même, selon une infographie de Deutsche Bank, tutoyé les 100 points durant cette période, avant de retomber sous les 50 points dès mai 2020.
Ces derniers mois, ce ratio a regagné des altitudes inédites depuis la pandémie. Le nombre de barils de pétrole équivalent à une once d'or a dépassé le niveau 60 depuis quelques jours, après avoir franchi le seuil de 50 en août. De tels seuils n'avaient donc plus été atteints depuis 2020. Par ailleurs, ce ratio se situe largement au-dessus de la moyenne de long terme (depuis 2000) de 18, selon DWS.
Un thermomètre imparfait?
Faut-il voir dans l'envolée de cet indice un signal inquiétant? En août, lorsque ce ratio dépassait à peine 50, DWS jugeait que son envolée traduisait effectivement "une incertitude économique croissante".
Pour autant, le marché ne se trouve pas dans une situation de panique comparable à celle de 2020. Le S&P 500, le grand indice de Wall Street, a signé son meilleur mois de septembre (un mois qui a pourtant mauvaise réputation en Bourse) en 15 ans avec une hausse de 3,5% et l'indice affiche pour l'heure une quasi-stabilité en octobre.
Certes, la hausse quasi-ininterrompue des marchés actions, avec l'engouement autour de l'essor de l'intelligence artificielle (IA) amène certains spécialistes à redouter que les marchés se trouvent dans une bulle euphorique où les valorisations sont déconnectées des réalités économiques.
Mais il est aussi permis de penser que le ratio "or-pétrole" a, comme tout thermomètre, des défauts.
"Il est important de garder à l'esprit que le ratio est une représentation mathématique et ne reflète donc pas toujours fidèlement la relation entre les prix de l'or et du pétrole", rappelait la plateforme de trading Pepperstone en 2023. "Comme le dit le dicton : 'La carte n'est pas le territoire'". Pour cette société le ratio ne "représente qu'une pièce du puzzle" sur les marchés.
Prendre l'évolution de ce ratio sans autre forme de considération revient à oublier que les prix du pétrole sont, certes, influencés par la demande, et donc par la conjoncture, mais aussi par l'offre. Or cette dernière peut dépendre de mesures politiques ou de décisions (et parfois du manque de coordination) des pays présents dans le grand cartel des producteurs d'or noir, à savoir l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et leurs alliés (Opep+).
La baisse des cours du pétrole, avec un Brent en repli de 15% en 2025, marque clairement une conjonction de ces deux facteurs.
"Le prix du pétrole, a été victime de facteurs économiques fondamentaux : une demande plus faible et une offre plus élevée. La production mondiale de pétrole brut a considérablement augmenté, grâce à la hausse de la production de l'Opep+", détaille DWS.
"De plus, avec l'essor du pétrole de schiste, les États-Unis sont devenus un acteur majeur de la production pétrolière (ce qui a lesté les cours, NDLR)", ajoute la banque allemande.
Un ratio parti pour s'élargir?
Des éléments davantage diplomatiques que conjoncturels ont aussi pu jouer. "Les récents efforts (...) visant à mettre fin au conflit entre la Russie et l'Ukraine ont également exercé une pression sur les prix. La réussite des négociations de paix pourrait mobiliser davantage d'offre russe, ce qui exercerait une pression supplémentaire sur les prix du brut", notait en août DWS.
Autre exemple: Goldman Sachs a pointé, cette semaine, la récente désescalade des tensions au Moyen-Orient, entre Israël et le Hamas, pour expliquer la baisse de l'or noir.
Dans le cas de l'or, certes, le métal précieux a clairement vu son attrait être renforcé par les incertitudes économiques et géopolitiques. Mais la hausse impressionnante de la matière première (60% depuis le 1er janvier ) a aussi été alimentée par des facteurs plus techniques (baisse du dollar, coupe de taux d'intérêt) ainsi que par une reprise des achats liés aux fonds indiciels (ETF).
Et surtout par la vigueur continue des achats d'or par les banques centrales de pays émergents. Ces derniers souhaitent soit envoyer un signal de confiance dans leur économie (Pologne) soit diversifier leurs réserves pour marquer une rupture vis-à-vis du dollar (Chine, Turquie).
"Dans un premier temps, cette tendance avait été motivée par les préoccupations des pays concernant les sanctions sur leurs avoirs étrangers à la suite des décisions des États-Unis et de l'Europe de geler les avoirs russes. Toutefois, cette tendance s'est transformée en une stratégie plus large de diversification des réserves en dollars et des avoirs en dollars", avait souligné UBS en février.
Autrement dit, l'envolée du ratio "or-pétrole", si elle est en partie due à des facteurs de stress économique, peut aussi s'expliquer par des considérations plus politiques sans lien directs avec la conjoncture.
En ce sens, ce ratio ne traduit pas forcément davantage d'incertitudes économiques qu'au printemps dernier, lors de l'annonce des droits de douane réciproques par l'administration Trump. Le VIX avait, lui, atteint un plus haut depuis la pandémie, à plus de 50 points, à cette période. L'indice de la peur de Wall Street est désormais retombé à 23.
Deutsche Bank juge, par ailleurs, que le ratio a encore du champ pour monter. La banque estime qu'il franchira les 72-73 barils en 2026, l'établissement allemand retenant un Brent à 55 dollars le baril l'an prochain pour une once à 4.450 dollars (contre 4.100 environ à l'heure actuelle).
(*) Les cours retenus ont été relevés à la clôture de Paris, vendredi.