(BFM Bourse) - L'établissement américain estime que la seconde partie des années 2020 sera marquée par de profondes modifications des grandes tendances de marché. Les investisseurs devraient privilégier les groupes capables de déployer à grande échelle l'IA dans leurs opérations, comme les banques et la pharmacie, au contraire de la tech américaine.
Dans la grande Histoire des marchés financiers, il y aura clairement un avant et un après le retour de Donald Trump à la Maison Blanche.
Pendant les années précédant le "come back" du Républicain à Washington, les États-Unis ont bénéficié à plein tube du fameux "exceptionnalisme américain". Ce phénomène traduit la nette (et longue) surperformance des actions américaines par rapport à celle des autres régions, ainsi que la robustesse du dollar.
Depuis la prise de fonction de Donald Trump, mi-janvier 2025, tout s'est retourné. Les actions américaines s'apprêtent à terminer l'année sur une hausse bien moins prononcée que celles des places européennes, de Tokyo ou des pays émergents.
D'ailleurs, Goldman Sachs pense que la sous-performance des titres américains pourrait perdurer au cours des dix prochaines années.
Le dollar a, lui, plongé en 2025 face aux autres devises, plombé par la politique économique et douanière erratique de Donald Trump.
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Chamboulement de tendances
Le retour du président américain ne se limite pas à ces réactions de marché. Le début de son deuxième mandat semble aussi amorcer une inflexion importante dans les grandes tendances "séculaires" en Bourse, c'est-à-dire les tendances de fond, de long terme.
"L'élection de Donald Trump a vraiment été le point de bascule de ces tendances", a déclaré Elyas Galou, stratégiste chez Bank of America, lors d'une conférence de presse avec des journalistes, mercredi.
Bank of America estime que ces tendances "séculaires" vont profondément changer sur la seconde partie des années 2020.
Un tournant s'opérera sur une thématique clef: la tech américaine. Pour rappel, les "Sept magnifiques" de Wall Street (Alphabet, Amazon, Apple, Meta, Microsoft, Nvidia, Tesla) ont porté à eux seuls ou presque Wall Street (et donc mondiaux puisqu'autour de 60% de la capitalisation boursière mondiale est concentrée à la Bourse de New York, selon UBS).
Ce grâce à la montée en puissance de la thématique de l'intelligence artificielle (IA) en Bourse. Les "hyperscalers" (Amazon Web Services, Google Cloud, Azure de Microsoft et plus récemment Oracle) ont été récompensés pour leurs fameux "capex" (les dépenses d'investissements) de plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de milliards de dollars. Ces dépenses leur permettent de construire les data centers nécessaires au développement des grands langages d'IA (LLM).
La tech rattrapée par les "bond vigilantes"
La situation a récemment changé. Les investisseurs accueillent désormais avec plus de circonspection les hausses de "capex", comme l'a illustré la dernière saison des résultats des "Sept magnifiques".
Meta a par exemple été puni pour avoir affiché de grandes ambitions en la matière.
Plus largement, les Sept magnifiques sont bien moins éblouissants au point que seuls Nvidia et Alphabet surperforment leur indice de référence, le S&P 500.
"Depuis septembre et plus exactement mi-septembre, le thème de l'IA est devenu un thème systémique", souligne Elyas Galou. Le spécialiste de marché date même plus précisément ce virage à partir de l'émission obligataire "jumbo" ("géante") d'Oracle, avec une levée de 18 milliards de dollars.
L'IA, auparavant centrée sur les marchés actions, s'est alors propagée à celui dit "du crédit" c'est-à-dire les obligations d'entreprises, explique Elyas Galou.
Meta a ensuite levé 30 milliards de dollars en octobre sur le marché obligataire et Amazon 15 milliards de dollars en novembre.
"La grosse différence, c'est que désormais les 'bond vigilantes' (pour simplifier des investisseurs obligataires qui sanctionnent les dépenses trop élevées, NDLR) donneront le pouls de l'investissement dans l'IA", poursuit-il.
Conséquence de l'entrée dans la danse des investisseurs obligataires: un regain d'exigence sur les dépenses des big techs surviendra probablement. "Les investisseurs crédit vont demander une réduction des 'capex'", conclut le stratégiste.
L'avenir promis aux "AI adopters"
Cette tendance va bouleverser la hiérarchie en termes de thématiques. Le marché va se "concentrer sur les 'IA adopters' et non plus sur les 'IA spenders'", comme les hyperscalers, avance Elyas Galou.
Les "IA adopters" sont tout simplement les secteurs susceptibles de gagner en efficience et en productivité dans leurs opérations en déployant fortement les nouvelles technologies d'intelligence artificielle.
Bank of America évoque deux secteurs en particuliers: la pharmacie et les banques. Ce en raison "de leurs capacités à dépenser" pour intégrer ces technologies, explique Elyas Galou. Cette tendance de fond de marché constituera "un catalyseur constant" pour ces deux secteurs, considère-t-il.
En ce qui concerne les banques seules, UBS a livré une analyse qui résonne quelque peu avec celle de Bank of America. Dans une note publiée mardi et baptisée "AI, AI Captain", l'établissement considère que l'intelligence artificielle constituera l'un des grands thèmes pour les banques européennes en 2026.
L'année "2026 sera probablement l'année où le marché décidera si l'IA a un impact significatif sur la productivité mondiale et si les banques en sont les principales bénéficiaires", fait valoir la banque suisse.
Les changements induits par l'IA sont par essence incertains et pourraient mettre du temps à se concrétiser. Mais leur impact pourrait être conséquent.
"McKinsey estime que l'IA pourrait permettre de réduire les coûts de 15% à 20%, soit 20% du bénéfice avant impôts selon nos chiffres. Même si ce type d'avantage prend des années à se concrétiser pleinement, il s'agit d'un changement suffisamment important pour un secteur affichant une croissance de 11% du bénéfice par action pour entraîner une réévaluation bien au-delà des valorisations historiques, à notre avis, si le marché conclut que ce sont les bonnes perspectives à moyen terme", poursuit UBS.
Des applications pour la banque
"Nous pouvons déjà observer des changements dans les secteurs de l'audit, du droit et du conseil, mais les banques n'ont pas encore amélioré leur efficacité, leurs coûts sont élevés et assez mal compris, et ces nouveaux outils puissants n'ont pas encore été pleinement mis en œuvre. Nous considérons l'IA comme une source clé de potentiel de hausse pour les valorisations à court terme et les bénéfices à plus long terme", explique encore la banque.
Dans une note sur les banques européennes publiée vendredi, Citi juge que les actions du secteur en matière d'intelligence artificielle (IA) "offrent des options sur les coûts", en augmentant la productivité et en en diminuant les dépenses.
La banque américaine cite les initiatives mises en avant par certaines de ses consoeurs européennes. HSBC, par exemple, explique que l'IA permet d'améliorer l'efficacité dans des domaines divers tels que l'intégration des nouvelles recrues, les obligations de connaissance des clients, ou encore les demandes de crédit. La belge KBC, estime que "Kate", son assistant digital qui fonctionne avec GPT-4.1, le langage d'IA de ChatGPT, effectue le travail théorique de "356 collaborateurs à temps plein".
Invité de BFM Bourse mercredi, Leslie Griffe de Malval, gérant actions internationales chez Crédit Mutuel AM, donne, de son côté, un exemple concret.
"Citibank vous dit aujourd'hui qu'ils ont des milliers de personnes qui font encore les réconciliations (les opérations de vérification, NDLR) à la main des virements. Demain avec l'IA, il n'y aura plus de réconciliation à la main, cela va aller beaucoup plus vite. Donc les gains de productivité de l'IA vont ruisseler dans un second temps", a-t-il illustré.
Quant à la pharmacie, la société d'investissement MFS voit de nombreux impacts positifs pour le secteur.
La découverte d'un candidat-médicament pourrait prendre une à deux années avec l'IA contre cinq à six années sans. Le coût total du développement d'un traitement (en incluant les phases I, II et III des essais cliniques) pour être ramené dans une fourchette de 800 millions à 2,2 milliards de dollars contre 2,6 milliards de dollars sans utilisation de l'IA.
"L'intelligence artificielle est sur le point de révolutionner l'industrie pharmaceutique, en particulier dans le domaine de la découverte et du développement de médicaments. Le processus traditionnel de mise sur le marché d'un nouveau médicament est long, complexe et coûteux", avance MFS.
"Cependant, l'IA a le potentiel de rationaliser ce processus en analysant d'énormes quantités de données biologiques, en prédisant le comportement de nouveaux composés et en identifiant plus efficacement des candidats prometteurs. Cette capacité accélère non seulement la découverte de nouveaux médicaments, mais améliore également la précision et l'efficacité des traitements", poursuit-elle.
MFS ajoute que les gains d'efficacité permis par le secteur seront réinvestis dans des dépenses de R&D.
Rappelons néanmoins qu'il est possible de surestimer les bénéfices permis par l'IA et de sous-estimer ses désavantages.
La fintech Klarna avait vanté en 2024 les prouesses d'un assistant d'IA permettant, selon elle, d'effectuer le travail de 700 équivalents temps plein. En mai dernier, l'entreprise avait effectué un important rétropédalage et avait recommencé à réembaucher des humains. Klarna avait constaté une baisse de satisfaction de ses clients, avec donc une perte de qualité évidente.
