(BFM Bourse) - La banque américaine a publié une étude, cette semaine, dans laquelle elle livre ses perspectives sur 10 ans de performance des marchés boursiers, dividendes inclus. La banque retient un taux moyen de 6,5% par an pour les États-Unis, contre 7,1% pour l'Europe et 8,2% pour le Japon.
C'est une expression que l'on utilise souvent en Bourse: "l'exceptionnalisme américain". À l'origine, ce concept renvoie à l'idée que les États-Unis possèderaient des standards uniques et supérieurs par rapport aux autres pays, ce qui les pousserait à jouer un rôle prépondérant dans le concert des nations.
En Bourse, cette notion "d'exceptionnalisme" des États-Unis fait référence à l'impressionnante surperformance de Wall Street sur les marchés actions.
Selon les données du gérant d'actifs Schroders, entre 2011 et 2024 les États-Unis ont (en dollars) éclipsé l'Europe, le Japon, le Royaume-Uni et les pays émergents à 10 reprises (sur quatorze possible).
Cet "exceptionnalisme" a toutefois été mis à rude épreuve cette année.
Si le S&P 500, le baromètre le plus large de la Bourse de New York, prend 15,06% (*), cette performance reste nettement inférieure à celle du DAX 40 de Francfort (+20%), du FTSE Mib de Milan (+28,7%) ou de l'Ibex Madrid (+41%). Le Nikkei 225 de Tokyo (+26,3%) ou le CSI 300 (+17,62%), qui regroupe les grandes cotations des places de Shanghai et de Shenzhen, font également mieux. Ce n'est pas le cas du CAC 40 (+10,69%).
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Les États-Unis derrière tout le monde
Cette (relative) sous-performance a-t-elle vocation à durer ? Ou s'agit-il d'un trou d'air passager? Goldman Sachs a en tout cas livré certains éléments de réflexion. La banque américaine a dévoilé ses projections sur 10 ans pour l'ensemble des marchés actions, c'est-à-dire les États-Unis, l'Europe, le Japon, l'Asie hors-Japon et les "marchés émergents".
L'établissement s'est risqué à prévoir une performance annuelle moyenne pour chaque marché (dividendes inclus).
En dollars, la banque table sur un taux pour l'ensemble des marchés mondiaux de 7,7%, un chiffre qui peut paraître élevé mais qui est en réalité en ligne avec la moyenne roulante sur 10 ans depuis 2000 (7,7%) et même en-dessous de celle depuis 1985 (9,3%).
Un élément attire particulièrement l'attention: les prévisions par zone géographique, avec un taux exprimé cette fois en devises locales.
Surprise: les États-Unis affichent la performance la moins élevée dans les projections de Goldman Sachs. La banque retient une rentabilité moyenne par année de 6,5% pour les États-Unis, contre 7,1% pour l'Europe, 8,2% pour le Japon, 10,3% pour l'Asie hors Japon, et 10,9% pour les marchés émergents.
L'IA bénéficierait à tout le monde
Goldman Sachs a notamment basé ses prévisions sur les projections de ses économistes en matière de croissance des produits intérieurs bruts (PIB) à long terme. Sur ce point, la banque s'attend à ce que les pays émergents affichent des croissances supérieures à celle des États-Unis, combinées à des réformes structurelles.
Par ailleurs, Goldman Sachs estime que les bénéfices liés à l'essor de l'intelligence artificielle (IA) profiteront à tout le monde et ne seront pas "confinés à la tech américaine". Le "boom" de l'IA ne permettrait donc pas à Wall Street de surpasser les autres places boursières.
De plus, la banque estime que beaucoup des vents porteurs qui ont tiré la performance des indices américains sur les 10 dernières années ont "peu de chances" de les booster autant à l'avenir. L'établissement évoque notamment la baisse des taux d'intérêt et de la fiscalité des entreprises qui ne risquent guère de chuter "aussi fortement" au cours des 10 prochaines années.
Les marges des groupes du S&P 500, quant à elles, se situent déjà à des niveaux proches de leurs plus hauts historiques, fait valoir l'établissement. Goldman Sachs s'attend à ce que la rentabilité de ces groupes se stabilise sur la prochaine décennie, avec une marge nette de 13%, le même niveau qu'à l'heure actuelle.
La conséquence de tous ces éléments est que la croissance des bénéfices des entreprises, un des facteurs-clés de l'amélioration des cours de Bourse, sera plus forte en Chine (12% par an en moyenne sur la décennie), au Japon (entre 6% et 7%) et surtout en Inde (13% par an), qu'aux États-Unis (6%).
Des multiples de valorisation américains voués à se contracter
Par ailleurs, la banque estime que les marchés américains bénéficient déjà de multiples de valorisation élevés et généreux.
Pour rappel, dans la théorie financière, un cours de bourse traduit des prévisions de résultats multipliées par le multiple boursier relatif à ce même indicateur de résultat. Exemple: si une entreprise a un cours de 180 euros et que son bénéfice par action pour 2026 est attendu à 18 euros, son multiple dit de "PER" (pour "price earnings ratio") est de 10.
Ces multiples sont plus ou moins élevés selon les secteurs et les entreprises. Les industries cycliques comme l'automobile affichent des multiples bas, au contraire des sociétés présentant à la fois une forte visibilité et une croissance appréciable, comme les logiciels.
En conséquence, lorsqu'une action monte, cela peut traduire une amélioration de ses résultats (et donc une hausse des anticipations de bénéfices par action) ou une amélioration de ses multiples boursiers (ce que l'on appelle un "rerating"), parce que la perception de l'entreprise auprès du marché s'améliore.
Pour revenir aux actions américaines, Goldman Sachs estime que le gros de la performance annuelle sur les 10 prochaines années sera porté par la croissance annuelle des bénéfices par action des sociétés du S&P 500.
La banque se base sur les projections de PIB et d'inflation de ses économistes tout en tablant sur des marges d'entreprises stables. L'impact est évalué à six points de pourcentage par an dans son scénario de référence.
A contrario, Goldman Sachs estime que les multiples de valorisations de ces sociétés baisseront. La banque retient un ratio de 21 fois les bénéfices par action attendus au cours des 12 prochains mois contre 23 à l'heure actuelle. Ce qui aurait un impact négatif d'un point de pourcentage par an.
Pour donner un ordre d'idée, la banque voit aussi les multiples baisser en Europe, mais moins fortement, avec un ratio de 13,9 fois les bénéfices attendus contre 14,6 fois à l'heure actuelle. Si bien que l'impact négatif est moitié moindre que pour les États-Unis.
"Une décennie perdue"?
Précisons que la surperformance des actions européennes par rapport aux américaines s'explique aussi par une contribution plus importante des dividendes (rendement de 3% par an en Europe contre 1,4% aux États-Unis). Rappelons à ce titre que certains groupes américains comme Amazon ou Tesla ne versent pas de dividendes à leurs actionnaires.
Au passage, la banque écrit que "la concentration extrême actuelle du marché boursier américain (sur une poignée de valeurs technologiques, NDLR) accroît l'incertitude entourant les prévisions à long terme pour ce marché".
Sur les rendements des différents marchés exprimés cette fois en dollars, les effets de changes jouent également. Les stratégistes tablent sur la poursuite de la dépréciation du dollar face aux autres devises.
Or "historiquement, la faiblesse du dollar a coïncidé avec une surperformance des marchés non américains, ajoutant une opportunité supplémentaire pour les portefeuilles diversifiés à l'échelle mondiale", écrit l'établissement.
Pour donner un exemple, Goldman Sachs retient un taux de change euro-dollar à 1,21 contre 1,15 au moment de la rédaction de sa note. D'après ses calculs, cet effet de change ajoutera 0,4 point de pourcentage de performance par an aux actions européennes (exprimées cette fois en dollar donc).
In fine, les éléments expliquant la sous-performance des marchés américains restent assez techniques et ne semblent pas vraiment traduire un déclassement de Wall Street.
Pas de crise prévue
Concernant l'Europe, Goldman Sachs retient une croissance des bénéfices par action pour les sociétés du Stoxx Europe 600 de 4,6% en moyenne par an.
Pour arriver à cette prévision, la banque explique avoir pris en compte le fait que les sociétés européennes sont très internationalisées, 40% de leurs ventes étant exposées au Vieux continent, 19% aux États-Unis, 19% à l'Asie-Pacifique et 15% aux autres marchés émergents.
L'établissement a donc calculé un PIB mondial pondéré de ces expositions pour aboutir à une croissance de 2% par an. Sur la base, également, d'une inflation de 2,1% par an, d'un taux de marge nette stable pour les entreprises et d'un impact des rachats d'actions de 0,5 point par an, Goldman Sachs aboutit à un taux de 4,6%.
En ajoutant les autres éléments, tels que le rendement des dividendes (environ 3 points de pourcentage par an) ou l'impact négatif sur des multiples boursiers évoqués plus haut, Goldman Sachs arrive à un rendement de 7,1% en euros et de 7,5% en dollars.
Notons que les prévisions de Goldman Sachs excluent les évènements graves, comme une récession profonde ou une crise géopolitique. "Nous ne modélisons pas explicitement la productivité ou les gains de revenus liés à l'IA, bien que cela soit implicite puisque nous utilisons les prévisions à long terme de nos économistes en matière de PIB dans notre modélisation, et celles-ci incluent une certaine croissance tirée par la technologie", écrit par ailleurs Goldman Sachs.
(*) Les cours ont été arrêtés à la clôture européenne de vendredi soir
