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Ils achètent des actions comme un ticket de métro : Comment les Suédois sont devenus les boursicoteurs les plus avisés d'Europe (et leur Bourse la plus dynamique)

Aujourd'hui à 07:00
Immersion dans l'écosystème suédois

(BFM Bourse) - La Suède a une forte tradition d'investissement en actions et plus de 2 millions de Suédois détiennent des actions dans des entreprises du pays. Cette attractivité va même au-delà de ce pays scandinave. Entre éducation financière, capital-investissement et système de retraite, le succès "du modèle suédois" intrigue, interroge et inspire même… BFM Bourse s’est d’ailleurs rendu à Stockholm pour rencontrer les différents acteurs de cet écosystème dynamique et si unique.

L’année 2025 touche presque à sa fin… Et cette année, l’épicentre des introductions en Bourse en Europe n’était pas à Londres, Milan ou Francfort et encore moins Paris. Il faut aller du côté d’une place financière qui ne fait traditionnellement pas les gros titres. Le renouvellement de la cote du Vieux continent est passé par la Suède, et sa Bourse basée à Stockholm.

Le Nasdaq Stockholm a en effet été le théâtre des premiers pas de nombreuses sociétés cette année, dont ceux de Verisure. Le groupe connu pour ses systèmes d’alarme a réalisé l’entrée en Bourse la plus importante sur le Nasdaq Stockholm depuis celle de l'opérateur de téléphonie Telia le 13 juin 2000.

C'est aussi la plus grosse opération jamais enregistrée en Europe depuis l'introduction en Bourse du constructeur automobile Porsche, qui avait levé plus de 9 milliards d'euros en septembre 2022.

Une profondeur de marché importante

L'opération Verisure a su capter 60.000 nouveaux investisseurs particuliers et a eu pour effet de braquer les projecteurs sur le marché financier suédois. Sa profondeur et son dynamisme font pâlir les plus grosses places boursières du Vieux continent, comme la Bourse de Paris qui voit le nombre de ses pensionnaires constamment reculer depuis 2021.

Il faut dire que le terrain est plus que favorable aux entreprises qui souhaitent franchir une nouvelle étape de leur développement en Bourse, soutenues par des investisseurs particuliers très réceptifs aux marchés financiers. Les investisseurs particuliers jouent un rôle clé dans l'apport de liquidités dans le marché lors d'introductions en Bourse. Leur forte implication est donc bénéfique pour la place suédoise, créant une profondeur à même d'accueillir de nouveaux entrants.

Ce système propice au renouvellement du vivier d'entreprises s’est bâti au fil des décennies et des réformes économiques et structurelles. Cette mue est notamment passée par des mesures fiscales et liées à la retraite incitant les suédois à placer leur bas de laine dans le marché actions du pays. Dans un précédent papier, nous avons d'ailleurs détaillé ces différentes mesures.

La Suède a ainsi développé une forte tradition d'investissement en actions et plus de 2 millions de Suédois détiennent des titres d'entreprises du pays.

"Un goût du risque qui s'est construit au fur et à mesure"

La population suédoise est donc sensibilisée très tôt aux rouages des investissements financiers. Et ce, peu importe le milieu social ou professionnel. La Suède dispose certes d’un bon système scolaire, mais l’éducation financière passe aussi par cette démystification des mécanismes de la finance, perçus en France comme complexes et inaccessibles.

"Je pense que ce n'est pas forcément grâce à l'école, parce que la formation ne diffère pas tellement. C'est rentré dans les mœurs, dans les discussions autour de la table, quand on dîne le soir, ou ça rentre également dans les discussions sur "qu'est-ce qu'on va faire avec sa retraite?" "Où est-ce qu'on veut l'investir?". C'est quelque chose qui est devenu normal. C'est un goût du risque qui s'est construit au fur et à mesure et qui a créé un intérêt", explique à BFM Bourse Anna Stellinger, vice-présidente de la Confederation of Swedish Enterprise, l'équivalent du Medef suédois.

"Finalement, quand on s'y met, de voir ce qui se passe dans le monde, avec l'économie en Europe ou avec les 'Magnificent Seven' ('Sept Magnifiques' les grosses entreprises américaines de la tech, NDLR), comme on les appelle aux États-Unis, ce qui se passe sur le marché en Asie, ça devient tellement plus intéressant quand on y prend part. Donc je pense que c'est quelque chose qui s'est construit au fur et à mesure", détaille-t-elle.

L’introduction des comptes d'épargne-investissement (ISK) en 2012 a aussi contribué à faciliter l'épargne et l'investissement dans des actions et d'autres instruments financiers pour les Suédois. Cette enveloppe est fiscalement avantageuse et simplifie l’investissement puisqu’un impôt sur un montant forfaitaire est calculé chaque année.

"Ça vous facilite tellement la tâche, explique Anna Stellinger. Vous avez comme une application dans votre portable où vous pouvez acheter et vendre très facilement. Vous ne devez pas à chaque fois faire la paperasse pour la vente et les plus-values, etc. Vous pouvez effectivement faire ça aussi simplement qu'acheter un ticket de métro. Donc ça a donné un goût, ça a initié les Suédois très tôt à la Bourse et également les jeunes."

Car en Suède, la transmission de la culture financière de génération en génération est entrée dans les mœurs.

"On a besoin d'un système où les jeunes comprennent l'importance de la culture financière, l'importance de pouvoir contrôler leur propre destin en investissant", fait valoir de son côté Adam Kostyál, responsable des cotations européennes au Nasdaq et président du Nasdaq Stockholm.

Boursicotez jeunesse !

D'ailleurs, une association de jeunes investisseurs y est très active. Elle s'appelle "Unga Aktiesparare" ou jeunes actionnaires dans la langue de Molière, et elle existe depuis 1990. Cette association à but non lucratif de 10.000 membres, forme et sensibilise les jeunes aux finances personnelles et aux investissements, à la fois par le biais d’associations locales, d’éducation numérique et de supports physiques comme des magazines.

Depuis 2021, Unga Aktiesparare intervient dans les lycées et propose une formation de 100 heures qui est dédiée aux finances personnelles et aux connaissances en matière d'investissement. Ensuite, le lycéen obtient une note en investissement ou éducation financière.

"L'adhérent type n'est pas juste un gars étudiant la finance issu d'une famille riche, mais des personnes de tous horizons. Nous avons des enseignants, nous avons des infirmières, nous avons beaucoup de barmans. Bien sûr, plus d'étudiants en économie, mais nous avons dans nos rangs des personnes venant de tous horizons, partout dans le pays", nous explique le président d'Unga Aktiesparare, Henrik Johansson.

"Nous avons réalisé certains projets avec des associations à but non-lucratif, où nous avons donné des conférences dans des zones socio-économiquement défavorisées où les gens ne viennent pas de familles riches, où les parents n'investissent pas", ajoute-t-il.

"Donc, plutôt que de se concentrer sur ceux qui sont devenus très riches, je pense qu'il faudrait se concentrer sur la manière d'amener tout le monde à monter dans le train, car cela créera des richesses, cela créera de la valeur au fil du temps. C'est pourquoi nous sommes surpris par cette culture de l'équité que nous avons en Suède et qui ne concerne pas seulement les jeunes qui investissent, mais qui repose vraiment sur une bonne compréhension dès le plus jeune âge de ce que signifie être toujours exposé aux marchés financiers", développe pour sa part Adam Kostyál.

Les marchés financiers font partie intégrante du quotidien des suédois au même titre que le Fika, l’incontournable pause-café sociale suédoise.

Ce qui peut donner lieu à des anecdotes assez cocasses. Henrik Johansson nous en a confiée une assez marquante. Un membre d'Unga Aktiesparare, qui allait devenir père voulait battre le record du plus jeune adhérent pour son enfant. Il avait alors demandé à Henrik Johansson de préparer le bulletin d'adhésion en amont de la naissance de son enfant. Et une fois le numéro de sécurité sociale obtenu - en Suède il est généré en cinq minutes, là où ce délai peut être de plusieurs semaines en France - il a pu inscrire son enfant en moins de 12 minutes après sa naissance. Record pulvérisé.

Henrik Johansson a lui-même expliqué qu'il avait commencé à s’intéresser à la Bourse dès son plus jeune âge, à la pré-adolescence. Il regardait les cours des actions de la Bourse suédoise sur le Télétexte, un service d'informations - désormais désuet - proposé par les chaînes de télévision. Son premier placement et gagnant d'ailleurs a été sur Investor AB. Et encore mineur, c'était son père qui se chargeait tel un courtier, d'exécuter les ordres d'achat et de vente du jeune Henrik.

Nous avons interrogé l'équipe d'Unga Aktiesparare sur leur premier placement. Investor AB a été unanimement cité comme premier investissement par l'équipe d'Unga Aktiesparare, telle une évidence, comme Air Liquide en France.

Ce groupe est incontournable dans l'économie suédoise. Il possède des participations dans de nombreux groupes cotés en Bourse, comme la banque Seb, le groupe de défense Saab, le spécialiste de l'électroménager Electrolux, le groupe pharmaceutique suédo-britannique Astrazeneca ou le groupe d'outils pour le jardin et la forêt Husqvarna.

Tapis rouge pour les entreprises

En parlant de jeunes talents, le dirigeant du Nasdaq Stockholm insiste sur l'important vivier d'entreprises en Suède, qui contribue à ce renouvellement de la cote. Il est entretenu par un robuste écosystème, notamment par le biais du capital-investissement.

"Nous avons de grands entrepreneurs, de grandes entreprises qui utilisent les marchés financiers pour financer leur croissance. Et puis nous avons également une Bourse très solide, qui les aide finalement à accéder à de puissants investisseurs institutionnels, des investisseurs mondiaux, mais aussi des investisseurs locaux, et enfin particuliers. Et c'est ce que nous avons réussi à créer ici en Suède", explique-t-il.

"Il ne sert à rien d'avoir un marché des capitaux très développé si vous n'avez rien à investir. Il faut de bonnes conditions pour les activités entrepreneuriales, pour les créateurs", poursuit Adam Kostyál. "Et nous voulons que les entrepreneurs voient que les marchés boursiers soient un moyen crédible pour eux de développer leur entreprise", poursuit-il.

"Vous devez avoir de bonnes conditions pour les activités entrepreneuriales, pour les entreprises. En Suède, les divers gouvernements qu'ils soient de gauche ou de droite ont supprimé l’impôt sur la fortune, l’impôt sur les successions et les donations. Nous avons des incitations fortes pour les activités entrepreneuriales, ce qui, dans le long terme, crée, bien sûr, les opportunités pour les entreprises de se développer, de recruter et d'augmenter les salaires", détaille, Niklas Wykman, ministre des marchés des Capitaux suédois.

Oui, la Suède a aussi son ministre des marchés des Capitaux, signe que la Bourse a un rôle capital dans l’écosystème financier suédois. Interrogé à ce sujet, il explique aussi être garant de la stabilité financière du pays afin de maintenir un système stable et résilient.

"Le marché boursier suédois est bon pour la concurrence, pour l'investissement et pour l'entrepreneuriat. Je pense généralement que les marchés financiers sont une chose pour la justice sociale. Même si vous n'avez pas le plus haut niveau de compétences financières ; pourquoi ne devrions-nous pas tous avoir accès à la finance ?", fait-il aussi valoir Niklas Wykman.

"La Bourse est la manière la plus démocratique d'engager tous les capitaux, quand les capitaux privés ne sont accessibles qu'à quelques privilégiés. Mais lorsque vous avez une entreprise en Bourse, tout le monde peut investir. Et je pense que c'est ce qui fait la beauté de la psychologie démocratique d'une entreprise, le fait qu'elle ait pu participer au changement et qu'elle continue à le faire", ajoute Adam Kostyál.

Un modèle à copier en France? Niklas Wykman loue en tout cas le système bancaire tricolore qu'il juge très "fonctionnel et compétitif". "Si vous pouvez faire en sorte que ces banques soient plus accessibles et inciter davantage de personnes à transformer leurs économies en investissements plus rentables, je pense que vous avez de grandes opportunités", développe-t-il.

"La France compte de nombreuses grandes entreprises, notamment mondiales et européennes. Si elles pouvaient coopérer avec les syndicats pour mettre en place un système de retraite professionnelle, par exemple, cela permettrait d'augmenter les retraites des travailleurs français. Je ne sais pas si les Suédois aiment les marchés financiers, mais ils sont certainement conscients de leurs avantages", conclut-il.

Par Sabrina Sadgui à Stockholm

Sabrina Sadgui - ©2025 BFM Bourse
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