(BFM Bourse) - Ce devait être une année faste pour les actionnaires, qui voyaient poindre une saison des dividendes record, les fleurons du CAC devant distribuer 54,3 milliards d'euros au titre de leur exercice 2019, après de nombreuses années de déclin post-crise financière. Mais c'était sans compter la pandémie du Covid-19, qui incite de nombreux groupes à garder leur cash en réserve, pour un montant total de 18 milliards d'euros. À ce stade.
La saison des dividendes approche et certains investisseurs pensaient peut-être y trouver un peu de réconfort, alors que le CAC est en chute libre depuis le début de l'année (-30%). De fait, selon un décompte réalisé par Factset, les actionnaires des groupes cotés au CAC 40 pouvaient s'attendre à percevoir un montant record de 54,3 milliards d'euros, en hausse de 5,9% par rapport à l'année 2019, sur la base des propositions formulées jusqu'ici. Sauf qu'une crise sanitaire est passée par là, mettant à l'arrêt de larges pans de l'économie, contraignant les grands groupes à réviser du tout au tout leur politique de distribution, préférant garder le plus de liquidités en réserve afin de faire face aux difficultés à venir.
Dans ce contexte, difficile d'y voir clair pour les actionnaires qui subissent un flot d'annonces quasi-ininterrompu de la part des fleurons de l'indice vedette de la Bourse de Paris. Si nombre d'entre eux ont entièrement renoncé au versement d'un dividende, d'autres se contentent d'en abaisser le montant (et une poignée le maintient). Voici en détail le dernier état des lieux.
Pas de dividende pour les banques et l'aéronautique
Alors que l'autorité de tutelle du secteur bancaire en France (APCR) a invité, lundi 30 mars, les banques à ne verser aucun dividende avant octobre prochain, conformément aux directives données vendredi par la BCE, et à ne prendre aucun engagement pour les exercices 2019 et 2020 en raison de la crise provoquée par la pandémie, le message a été reçu 5 sur 5 par les grands noms français du secteur. Le conseil d'administration de Société Générale a décidé dès le 31 mars de supprimer toute distribution de dividende (1,87 milliard d'euros prévus) au titre de l'exercice 2019. Crédit Agricole l'a imité jeudi en soulignant que son intention initiale de distribuer pour 2 milliards d'euros au titre de l'exercice 2019 apparaissait "incompatible avec les recommandations de la BCE". La banque verte choisit de ne rien distribuer "au moins jusqu'à début octobre 2020". Dernière des trois, BNP Paribas ne va pas non plus procéder au versement du dividende initialement prévu pour affecter l'intégralité des sommes correspondantes (3,7 milliards d'euros, 3e pourvoyeur de dividendes du CAC derrière Total et Sanofi) aux réserves. Le groupe se réserve néanmoins le droit de "procéder à une distribution de réserve pour ses actionnaires" qui se substituerait au dividende, à compter du 1er octobre prochain.Avant elles, les valeurs du secteur aéronautique, parmi les plus durement touchées par le récent krach boursier, ne s'étaient pas fait prier pour suspendre leur coupon. Airbus et Safran y ont renoncé (comme Dassault Aviation hors de l'indice phare). L'avionneur européen a annoncé dès le 23 mars dernier suspendre le versement de dividendes d'un montant de 1,4 milliard d'euros pour l'exercice 2019. Le motoriste et équipementier aéronautique Safran a renoncé vendredi 27 mars à redistribuer un milliard d'euros, le jour même où L'Etat actionnaire a demandé aux entreprises dans lesquelles il détient des participations (soit au sein du CAC 40 Engie, Orange, Renault, Safran et Thales) de ne pas verser de dividende.
Parmi les valeurs du secteur, seul Thales semble pour l'heure faire fi des recommandations gouvernementales. Le Conseil d’administration de l'équipementier a décidé le 27 février dernier de proposer la distribution d'un dividende de 2,65 euros par action, en hausse de 27% par rapport à 2018. "Le versement de ce dividende sera effectué intégralement en numéraire et s'élèvera à 2,05 euros par action, compte tenu de l'acompte de 0,60 euro par action déjà versé en décembre 2019" précise le communiqué du groupe.
Parmi les autres renoncements, les actionnaires d'Accor ne recevront pas 280 millions d'euros tandis qu'Engie pour la première fois de son histoire et ne distribuera rien - il prévoyait 1,9 milliard d'euros de dividendes jusqu'alors.
Les groupes qui abaissent leur dividende
Quatre groupes ont annoncé réduire le dividende initialement proposé. Le groupe de luxe Hermès a ainsi affirmé lundi 30 mars "disposer d'une trésorerie suffisante" pour affronter la crise "sans avoir recours aux aides publiques exceptionnelles", notamment le dispositif du chômage partiel en France, l'État ayant indiqué que les groupes qui y ont recours n'auront plus le droit de verser de dividende. Hermès ramène tout de même sa proposition de dividende de 5 à 4,55 euros par action, soit le niveau versé en 2019, ce qui correspond à une diminution de seulement 40 millions d'euros du montant distribué. Michelin (de 3,85 à 2 euros par action), Unibail (de 10,8 à 5,4 euros) et Veolia (de 1 à 0,5 euro) ont quasiment divisé par deux le dividende qu'ils comptaient verser au titre de leur exercice 2019.
Ceux qui le laissent inchangé
Dans la catégorie de ceux qui ont d'ores et déjà annoncé le maintien du dividende proposé par leur conseil d'administration, Total concentre le courroux du grand public, qui l'accuse notamment d'avoir versé 1,7 milliard d’euros de dividendes à ses actionnaires ce mercredi 1er avril (un quart du dividende total annuel), tout en se félicitant de mettre à disposition jusqu'à 50 millions d'euros de bons d'essence au profit du personnel hospitalier. Confronté à une chute sans précédent des cours du brut, le supermajor pétrolier a indiqué qu'il "ne sollicitera pas le soutien de l'État pour faire face aux difficultés économiques créées par le Covid-19". Au titre de l'exercice 2019, Total devrait donc distribuer un peu plus de 7 milliards d'euros (+3% par rapport à l'exercice précédent) sous forme de dividendes, de loin le plus gros pourvoyeur du CAC 40.L'Oréal devrait également maintenir son dividende, en hausse de 10% par rapport à celui versé au titre de l'exercice 2018 (4,25 euros par action, contre 3,85 l'an dernier), ce qui représente près de 2,4 milliards d'euros. Une semaine avant la suspension de ses objectifs 2020, le conseil de surveillance de Publicis avait également décidé de maintenir le paiement du dividende au titre de l'exercice 2019, malgré la pandémie de coronavirus. Celui-ci est porté à 2,30 euros par titre, contre 2,12 euro en 2018, pour un montant total proche de 550 millions d'euros. Dassault Systèmes (70 centimes par titre contre 65 centimes au titre de l'exercice 2018) et Legrand (de 1,34 euro à 1,42 euro) en ont fait de même. Tout comme STMicroelectronics, dont le conseil d'administration a proposé la distribution d’un dividende en numéraire de 0,24 dollar par action ordinaire en circulation (+20% sur un an), payable par tranches trimestrielles de 0,06 dollar, le 26 mars dernier.
Enfin, Air Liquide a envoyé un signal de confiance à ses 420.000 actionnaires individuels vendredi 3 avril en confirmant qu'il proposera bien, à l’assemblée générale du 5 mai prochain, la distribution d’un dividende de 2,7 euros par action, conformément à ce qui a été annoncé le 11 février dernier. Le groupe précise qu'il n'aura pas recours au chômage partiel et ne sent donc pas tenu par les injonctions gouvernementales.
Ceux qui n'ont pas encore pris de décision
Le suspense reste entier concernant bon nombre de groupes, parmi lesquels de grands noms de la cote (et de gros distributeurs de dividendes) comme Axa, Sanofi ou LVMH. "Prenant en considération les recommandations émises par l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) le 2 avril 2020 relatives aux distributions de dividende pendant la pandémie du Covid-19", le président du conseil d'administration d'Axa a convoqué une réunion extraordinaire vendredi 3 avril dans l'après-midi afin de les examiner. L'assureur avait jusque là prévu de proposer un dividende en hausse de 7% à 1,43 euro par action lors de son assemblée générale du 30 avril.Dans un communiqué daté du samedi 25 mars dernier, la première capitalisation française temporisait sur la question du dividende. "Compte tenu des circonstances, le conseil d’administration de LVMH a décidé de reporter au 30 juin 2020 la réunion de son assemblée générale annuelle initialement fixée au 16 avril 2020", le groupe dirigé par Bernard Arnault ajoutant qu'un communiqué "sera diffusé ultérieurement pour informer les actionnaires des dispositions qui seront prises pour le paiement du dividende". Son concurrent Kering en fait de même et reporte son assemblée générale du 23 avril au 23 juin 2020. Réponse en avril pour Vivendi, qui avait proposé mi-février dernier un dividende de 0,6 euro par action au titre de 2019, en hausse 20% par rapport a 2018, soit plus de 700 millions d'euros.
Le constructeur automobile PSA a également annoncé jeudi 2 avril le report de son assemblée générale annuelle du 14 mai, au 25 juin, précisant qu'un communiqué de presse "publié à une date ultérieure" mai informera les actionnaires du paiement du dividende, "tenant compte du projet de fusion avec Fiat Chrysler annoncé en décembre".
EssilorLuxottica a également repoussé à une date ultérieure sa décision concernant la distribution d'un dividende. Pour les actionnaires de Pernod Ricard, il faudra attendre l'assemblée générale du 8 novembre prochain. Le suspense reste également entier pour Vinci, qui devait ouvrir la campagne 2020, avec une réunion avancée au 9 avril mais finalement reportée. Le groupe aux 210.000 salariés comptait proposer la distribution de 3,05 euros par action (+14,2%), soit plus de 1,8 milliards de dividendes.
18 milliards de dividendes suspendus
Au total, selon un calcul réalisé par le bureau de recherche indépendant AlphaValue, ce sont pas moins de 18 milliards d'euros de dividendes qui ne sortiront pas des caisses des groupes pour aller dans les poches des actionnaires, soit un tiers des dividendes totaux initialement annoncés. Un "moins-perçu" qui pourrait encore nettement grimper, à mesure que les groupes vont continuer à faire le point sur leur politique de dividende.Les analystes d'AlphaValue se risquent à des pronostics et jugent "quasi-certain" qu'Atos (150 millions d'euros de dividendes), Orange (1,86 milliard) et Capgemini (320 millions d'euros) renonceront à leur tour. À noter qu'elle avait déjà anticipé la suspension du dividende de Bouygues (près d'un milliard d'euros), annoncée jeudi 2 avril. L'analyste estime par ailleurs que le "profil ESG" (son attachement aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance pris en compte dans la gestion socialement responsable) de Danone devrait l'amener à réduire son dividende.