(BFM Bourse) - L'avocat général de la Cour de cassation a recommandé de casser un arrêt de la cour d'appel qui avait avait ensuite entraîné un jugement contraignant Groupe Bolloré à déposer une offre publique d'achat sur Vivendi.
Devenu l'objet d'une âpre bataille juridico-financière, Vivendi plonge à la Bourse de Paris ce mercredi 19 novembre, s'effondrant de 12% en milieu d'après-midi.
En parallèle Groupe Bolloré s'adjuge 1,7% et Compagnie de l'Odet, une société faîtière de la galaxie Bolloré en Bourse, prend 3,7%.
Plusieurs analystes lient ces mouvements boursiers à un avis du rapporteur général de la Cour de cassation. Pour simplifier, cet avis, révélé par Le Monde et dont BFM Business a eu copie, tranche en la faveur de Groupe Bolloré dans un épineux dossier juridique, la conséquence étant que la société de la famille Bolloré ne devrait pas être contrainte de lancer une offre publique d'achat (OPA) sur Vivendi.
Une telle opération serait synonyme d'une importante prime (entre 25 et 50% généralement) pour les actionnaires minoritaires. D'où le fait que le titre Vivendi dévisse. Un catalyseur de l'action risque, en effet, de tomber à l'eau.
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Un avis souvent suivi
Il ne s'agit certes, que de l'avis du premier avocat général de la Cour de cassation qui ne préjuge pas du verdict final, l'audience devant se tenir la semaine prochaine. Mais cet avis a tendance à être suivi par la Cour dans sa décision finale. Dans une note publiée ce mercredi, la banque Barclays évoque un taux de 70 à 80%.
"En résumé, il ne s'agit pas ici de la décision finale, mais la décision de la Cour de cassation semble désormais beaucoup plus susceptible de s'aligner sur l'avis de l'avocat général, à savoir qu'il n'y a pas de contrôle et donc pas d'indemnisation pour les actionnaires minoritaires", écrit la banque britannique, qui juge toutefois "agressive" la chute de l'action.
"Nous pensons que les chances d'un rachat (de Vivendi par Bolloré, NDLR) sont désormais proches de zéro suite à ce rebondissement et suggérons d'éviter Vivendi, car la décote par rapport à la valeur de l'actif net réévalué (de 40% environ, NDLR) n'est pas suffisante pour compenser les risques liés à la gouvernance", écrit de son côté Alphavalue dans une note également publiée ce mercredi.
"Du point de vue de Bolloré, cela ne change rien à l'évaluation de l'entreprise, mais pourrait lever la menace d'un rachat obligatoire de Vivendi et lui offrir ainsi la possibilité d'utiliser ses liquidités à d'autres fins", poursuit le bureau d'études indépendant.
Contactés par BFM Bourse, plusieurs porte-parole de Vivendi n'étaient pas disponibles dans l'immédiat pour apporter un commentaire. Interrogé par Reuters, le fonds Ciam - qui s'oppose à Vivendi devant les tribunaux et juge qu'une OPA doit être déposée - a déclaré espérer que la Cour de cassation ne suive pas les recommandations de l'avocat général.
"La Cour de cassation doit a minima renvoyer l'affaire", a indiqué à l'agence une porte-parole, déplorant dans le cas contraire l'absence de "procès équitable".
La scission en question
Pour comprendre l'importance du verdict de l'avocat général de la Cour de Cassation, il faut remonter à 2024 (voire 2023 pour la simple étude du projet), lorsque Vivendi avait annoncé puis effectué une scission en quatre entités cotées.
Canal+ a été introduit à la Bourse de Londres, Havas à Amsterdam, Louis Hachette Group à la Bourse de Paris, tandis que Vivendi est resté coté à part en regroupant essentiellement les participations minoritaires de la société (Universal Music Group, Banijay, Prisa) et 100% du groupe de jeux vidéo Gameloft.
L'idée avancée par la direction était alors de cristalliser de la valeur avec quatre sociétés cotées plutôt qu'une, le marché préférant généralement les "pure-player" que les groupes peu diversifiés. Et réduire ainsi la lourde décote de conglomérat de la société (environ 45%) c'est-à-dire la différence entre sa valorisation boursière et la somme des valeurs comptables de chacune de ses activités.
Sur ce critère, l'opération n'a, pour manier l'art de la litote, pas été un franc succès. "Trois mois après la scission de Vivendi, il n’y a aucun doute que la scission a été destructrice de valeur pour les actionnaires (…) Et ceci quelle que soit la date de référence prise en compte", soulignait en avril la lettre spécialisée Vernimmen.
"Mais là (la création de valeur, NDLR) n’était pas l’objectif de cette opération destinée à permettre au groupe Bolloré de pouvoir monter au capital de certaines des entités sans avoir à faire d’offre, tout en franchissant le seuil d’OPA (offre publique d'achat, NDLR) qui se serait appliqué chez Vivendi", jugent ses auteurs.
Ce dernier point constitue l'origine de la saga juridico-financière qui entoure Vivendi. La société aurait mené cette opération pour renforcer son contrôle sur les sociétés en question sans avoir à lancer de coûteuse OPA (plus exactement une offre publique de retrait, OPR).
C'est toute la thèse de Ciam, un fonds activiste qui détiendrait 0,024% du capital de Vivendi, selon l'avis de l'avocat général de la Cour de cassation. La société de gestion alternative a martelé que la scission en quatre de Vivendi se faisait au profit du seul intérêt de Groupe Bolloré (qui possède 29,9% du capital de Vivendi) et au détriment des minoritaires.
Ce parce que Vivendi a choisi des places de cotations (Londres pour Canal+, Amsterdam pour Havas et le compartiment Euronext Growth pour Louis Hachette, compartiment qui permet de monter à 50% du capital sans avoir à lancer d'OPA) permettant de contourner le droit français en matière d'OPA, privant ainsi les minoritaires d'une dimension spéculative.
Vivendi a toujours battu en brèche ces accusations. Le président du directoire du groupe, Arnaud de Puyfontaine, a notamment déclaré en avril que l'opération s'était faite dans l'intérêt des sociétés scindées et de l'ensemble des actionnaires, rapportait Reuters.
L'AMF désavoué par la cour d'appel
Ciam a décidé d'ester en justice, ce qui a donné le coup d'envoi du volet judiciaire de ce feuilleton.
Pour simplifier, l'enjeu tourne principalement autour de deux points de droits: l'article 233-3 du code du commerce et l'article 236-6 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (AMF).
En gros, l'interprétation du premier article doit trancher sur le fait de savoir si oui ou non le groupe Bolloré exerce un contrôle effectif de Vivendi. Le second doit déterminer si (en supposant que les conditions que le contrôle soit effectif au sens de l'article 233-3 sont respectées) une OPA doit être lancée dans le cadre de la scission en quatre du groupe.
En novembre 2024, l'AMF a d'abord donné raison au Groupe Bolloré qui estime qu'il n'exerce pas de contrôle de la société au sens de l'article 233-3.
Mais, coup de théâtre, la cour d'appel de Paris a désavoué l'AMF dans un arrêt rendu le 22 avril dernier, jugeant donc que Bolloré contrôle Vivendi.
La cour d'appel avait renvoyé le dossier à l'AMF pour statuer dans une nouvelle décision sur le champ d'application de l'article 236-6. C'est-à-dire trancher sur le fait de savoir si oui ou non Bolloré doit lancer une OPA.
L'AMF a, en juillet, dernier, répondu par l'affirmative et enjoint Groupe Bolloré et Vincent Bolloré à déposer un projet d'OPA dans un délai de six mois.
Mais entretemps Vivendi s'était pourvu en cassation à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Paris.
Or l'avocat général de la Cour de cassation estime qu'un des moyens invoqués par Vivendi (sur quatre) permet d'"encourir" la cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Paris.
Dans ce moyen, Vivendi estime notamment que la cour d'appel a ajouté des critères et adopté des motifs "impropres" pour caractériser le contrôle de fait de la société Vivendi par Bolloré, selon le texte de l'avis.
En conclusion, l'avocat général propose de casser l'arrêt de la cour d'appel de Paris.
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