(BFM Bourse) - Le marché parisien débute le mois d'octobre comme il a fini septembre : sous pression. Avec un Cac 40 retombé hier sous 3600 pts, l'heure est-elle encore aux prises de bénéfices, ou faut-il déjà acheter ? Alice Lhabouz, gérante chez Turgo Asset Management livre son analyse et nous explique les caractéristiques de la méthode originale développée pour gérer le fonds Turgot Multicaps Euro.

Tradingsat.com : Comment interprétez-vous la correction actuelle du marché ?

Alice Lhabouz : Elle a débuté il y a deux semaines avec un vaste scandale de délits d'initiés visant le fonds américain Galleon, qui s'est retrouvé contraint de liquider près de 7 milliards de dollars sur les marchés en quelques jours. Le deuxième élément déclencheur a été la publication par Goldman Sachs d'une estimation de la croissance du PIB du 3ème trimestre de +2,7%, nettement inférieure à celle du consensus qui était de +3,2%. Cela a eu pour effet de faire paniquer les marchés avant l'annonce jeudi dernier d'une hausse de… 3,5% du PIB, supérieure à toutes les attentes.

Tradingsat.com : Comment voyez vous la suite des évènements ?

Alice Lhabouz : Le vrai rendez-vous sur les marchés aura lieu à la fin de l'année, où l'on pourra juger du comportement du consommateur américain pendant les fêtes de Noël. Il y a peu de chances que les marchés d'actions baissent beaucoup plus d'ici là. Ces derniers jours constituent donc plutôt une opportunité pour acheter, pour trois raisons. D'abord parce que l'on est sur un marché de flux, soutenu par la reprise des fusions-acquisitions et des introductions en Bourse. Celle de la filiale brésilienne de la banque espagnole Santander a par exemple été sursouscrite 7 fois ! Deuxièmement, 86% des sociétés du S&P 500 ont dépassé les attentes au 3ème trimestre, signe que les analystes financiers préfèrent aujourd'hui prendre le risque de sous-estimer la reprise que de décevoir avec des attentes qui seraient trop optimistes. Enfin, il y a beaucoup de liquidités encore prêtes à se déverser sur les marchés ; de plus en plus d'acteurs ayant raté la hausse commencent à courir après le papier. Pour 2010, je suis en revanche plus vigilante et réservée. Il ne faudra pas remonter trop rapidement les taux ou interrompre les plans de relance, afin de ne pas étouffer la reprise.

Tradingsat.com : Le fonds Turgot Multicaps Euro gagne 27% depuis sa création, fin janvier 2009. Vous appliquez une méthode de gestion particulière.

Alice Lhabouz : Nous l'appelons « gestion multithématique évolutive ». Nous partons d'un univers d'investissement très large, qui comprend « la grande Europe », c'est-à-dire la zone Euro, le Royaume-Uni, la Scandinavie, et les pays de l'Est, soit plus de 13000 valeurs. Nous appliquons à cet univers un filtre en amont, qui restreint l'univers à 600 valeurs environ, sur lesquelles nous allons faire du stock picking, selon une approche value. Le portefeuille est structuré avec 4 thématiques de maturités différentes : une thématique naissante, deux thématiques en croissance, et une thématique mature mais pas encore arrivée à son point d'inflexion, mais qui a vocation à sortir la première du portefeuille.

Tradingsat.com : Quelles thématiques composent actuellement le fonds ?

Alice Lhabouz : Pour la thématique mature, nous avons choisi les matières premières, qui recouvrent les secteurs minier, de l'acier, et bien sûr du pétrole. Les plans de relance constituent l'une des thématiques en croissance, avec d'un côté les plans keynésiens via les investissements des Etats dans les transports, les infrastructures ou les énergies renouvelables comme aux Etats-Unis, et de l'autre les politiques de relance monétaire, dont profitent les banques, les assurances… Autre thématique en croissance, mais un petit peu plus défensive : la sécurité, qui comprend la défense et l'armement, de même que la sécurité des échanges, la biométrie, ou encore la protection individuelle et la sécurité numérique. La thématique en naissance est celle de l'environnement : beaucoup de nouvelles technologies vont apparaître dans ce domaine qui n'en est selon nous qu'au « début du commencement »….

Tradingsat.com : Quelles valeurs avez-vous par exemple acheté dernièrement ?

Alice Lhabouz : Recylex, pour jouer la hausse des prix du plomb. Plus les prix du plomb montent et plus il devient intéressant d'acheter du plomb recyclé, donc plus l'activité de recyclage se porte bien. Nous misons aussi sur Bouygues, dans la thématique « plans de relance », le groupe étant très présent dans la construction. Avec Saft, nous jouons le potentiel des batteries au lithium, qui bénéficient d'importantes subventions aux US. Un concurrent américain de Saft s'est d'ailleurs récemment introduit en Bourse sur la base de ratios de valorisation très élevés. Nous détenons aussi des positions dans le producteur de caoutchouc SIPH, ainsi que dans plusieurs groupes parapétroliers. Vallourec notamment, parce que ses tubes haut de gammes sont incontournables alors que les gisements sont de plus en plus difficiles à exploiter. Nous avons également fait quelques allers retour sur Soitec.

Tradingsat.com : Soitec ne semble pourtant correspondre à aucune de vos thématiques.

Alice Lhabouz : Pour autant, on ne s'interdit pas d'acheter des valeurs sur lesquelles nous avons identifié de forts potentiels. Comme pour Soitec, qui a annoncé début septembre une levée de fonds de 150 millions d'euros malgré une trésorerie positive. Ce qui laisse supposer qu'ils préparent un développement stratégique. La rumeur parle du domaine des LED, pour viser le marché de l'éclairage grand public. Un scénario confirmé par la direction de l'entreprise, qui a clairement affiché les ambitions du groupe dans ce domaine lors des derniers résultats trimestriels, même si aucun accord avec un industriel n'a encore été annoncé. Je note que dans le même temps, le néerlandais Philips, l'un des leaders mondiaux de l'éclairage, s'est montré très optimiste sur les perspectives des LED… C'est pourquoi je garde Soitec en portefeuille. A une époque, certains analystes n'hésitaient pas à valoriser le titre 20 euros, alors que Soitec était une entreprise mono-client et mono-produit (le SOI). Je ne vois pas pourquoi elle vaudrait moins avec deux produits et plusieurs clients, dès lors que les marchés d'actions auront fini de se normaliser…

Propos recueillis par François Berthon