(BFM Bourse) - Ce revers judiciaire a retranché la semaine dernière environ 8 milliards d'euros de capitalisation boursière à la première banque française. Pour Jefferies cet impact est exagéré et l'action est trop bon marché pour être ignorée.
C'est un revers judiciaire qui a effacé plusieurs milliards d'euros de capitalisation boursière à la banque: le Soudan. Ou plus exactement le dossier "Kashef and al versus BNP Paribas".
En 2016, plusieurs réfugiés soudanais aux États-Unis (dont Entesar Osman Kashef) ont déposé une plainte contre la banque française, l'accusant d'être complice des violences commises par le régime d'Omar Al-Bachir, ancien président soudanais renversé par un coup d'État en avril 2019, et par des milices affiliées.
Vendredi 17 octobre, un jury populaire de New York a reconnu BNP Paribas complice d'exaction, en ayant organisé des transactions commerciales dont les recettes auraient financé le régime Al-Bachir.
Le jury a décidé que BNP Paribas était responsable des pertes et souffrances de chacun des trois plaignants, qui ont été expropriés, torturés et emprisonnés par des soldats soudanais et des miliciens, a rapporté l'Agence France Presse (AFP). Le jury a prononcé des dommages et intérêts de 20,75 millions de dollars (au total), soit environ 18 millions d'euros.
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BNP Paribas multiplie les initiatives
La banque, elle, a fait valoir que sa responsabilité n'avait pas été démontrée et que le régime d'Omar Al-Bachir aurait commis les mêmes exactions sans elle, selon l'AFP.
Le lundi suivant (le 20 octobre donc), l'action BNP Paribas a perdu près de 8%. Plus que le verdict du jury populaire, ce sont les estimations des coûts d'une potentielle "class action" (action de groupe), formulées par Bloomberg, qui ont effrayé les investisseurs.
Car au-delà des trois plaignants concernés par le verdict de la semaine dernière, les avocats de la défense cités par Reuters ont chiffré à 23.000 le nombre de réfugiés soudanais qui pourraient potentiellement être indemnisés.
Selon Royal Bank of Canada, Bloomberg a évoqué un montant allant jusqu'à10 milliards de dollars.
Comme souvent, dans ce genre de situations, les investisseurs ont "adopté une approche très prudente", soulignait Oddo BHF.
BNP Paribas a de son côté démultiplié les initiatives pour rassurer les investisseurs. Le groupe a annoncé qu'il ferait appel et a affirmé que le verdict du jury populaire était "manifestement erroné".
L'établissement soutient notamment que ce dossier relève de la justice suisse et a affirmé que le gouvernement suisse avait confirmé que les allégations des plaignants "étaient dénuées de fondement juridique". Le gouvernement suisse "a même pris la mesure extraordinaire de soumettre au tribunal, avant le procès, une lettre confirmant l'absence de toute action en responsabilité de complicité contre BNP Paribas", avait expliqué l'établissement.
La banque française prévenait également qu'extrapoler le jugement du verdict du jury populaire de New York était "erroné" tout comme le fait de spéculer sur un éventuel "settlement" (un accord transactionnel, NDLR). BNP Paribas a assuré qu'elle n'avait "aucune pression" pour établir ce type d'accord.
Un "overhang"
Son directeur financier, Lars Marchenil, a ensuite assuré aux analystes, lors d'une conférence téléphonique, que le groupe n'avait pas passé de provisions liées à ce litige dans ses comptes.
Si toutes ces communications et ces initiatives sont notables, il est difficile pour le marché de se départir de sa prudence sur ce dossier.
"L'initiative de BNP d'organiser une conférence téléphonique a été appréciée, mais nous pensons qu'il faudra du temps pour avoir une visibilité sur l'impact financier potentiel, certaines questions sur le processus, le calendrier et le montant des réclamations restant ouvertes", a expliqué la semaine dernière Royal Bank of Canada.
Barclays, de son, côté, a dégradé à "pondération en ligne" son conseil sur le titre, contre "sous-pondérer" précédemment. La banque britannique juge que ce dossier soudanais empêchera l'action BNP Paribas de repartir à la hausse, en raison des nombreuses incertitudes qui l'entourent.
Pour Jefferies, au contraire, l'action est trop bon marché pour être ignorée. La banque a réitéré à "l'achat" son conseil sur le titre ce lundi 27 octobre, tout en ajustant son objectif de cours à 95 euros contre 94 euros précédemment.
Selon Jefferies, la chute de l'action BNP Paribas a été trop violente. "Nous considérons le dossier Kashef (le litige soudanais donc, NDLR) comme un 'overhang' (une épée de Damoclès, NDLR) pour le titre BNP, mais pas comme un obstacle insurmontable", explique le bureau d'études. "Et un risque qui ne justifie pas une perte de capitalisation boursière de 8 milliards d'euros. Nous estimons donc que la chute du cours est exagérée", tranche-t-elle.
"De nombreux acteurs du marché ont tenté d'interpréter le procès de trois personnes comme s'il s'agissait d'un recours collectif de plus de 20.000 personnes", développe encore Jefferies.
Or "le verdict rendu dans l'affaire Kashef n'est pas pertinent pour le recours collectif : ce qui s'est passé avec les trois plaignants ne nous apprend rien sur les quelque 20.000 autres personnes concernées par le recours collectif".
L'amende de 2014
"Nous pensons également que BNP dispose de nombreux motifs pour faire appel dans cette affaire et, éventuellement, contester (à nouveau) la certification du recours collectif elle-même", explique encore Jefferies.
L'intermédiaire financier note toutefois qu'un point complique la situation: l'amende de près de 9 milliards de dollars dont avait écopée BNP Paribas en 2014 auprès des autorités américaines pour avoir contourné des embargos liés au Soudan, à l'Iran et à Cuba. BNP Paribas avait alors accepté de plaider coupable mais avait conservé sa licence bancaire aux États-Unis.
"Bien que ces actes illégaux aient été commis à l'encontre des États-Unis et non des plaignants Kashef, le plaidoyer de culpabilité offre aux plaignants Kashef une base factuelle", écrit Jefferies.
Le bureau d'études note aussi que la volatilité sur le titre BNP Paribas (et donc la violence de la chute provoquée par ce dossier judiciaire) est aussi liée au fait que le ratio de solvabilité CET 1 (qui rapporte les fonds propres aux encours pondérés du risque) de la banque de la rue d'Antin ne dépasse pas toujours 13%. Ce constat avait également été effectué par UBS. La banque suisse, la semaine dernière, écrivait que plusieurs investisseurs aimeraient que BNP ait un ratio plus élevé.
Avec une décote de 30% de sa valorisation en Bourse par rapport à la valeur de son actif comptable ("tangible book value"), "l'action doit être achetée et pas vendue", tranche Jefferies.
BNP Paribas publiera ses résultats du troisième trimestre, mardi 28 octobre. Selon le consensus Visible Alpha cité par Jefferies, les analystes attendent des revenus de 12,84 milliards d'euros et un bénéfice net de 3,07 milliards d'euros.
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