(BFM Bourse) - L’action d'American Eagle, marque de vêtements spécialisée dans les jeans, a terminé en hausse de 23,7% lundi à Wall Street après que le président Donald Trump a loué la publicité de la société en cause dans une polémique aux États-Unis. Cet épisode remet sur le devant de la scène le phénomène des "meme stocks", ces actions poussées par des petits porteurs et qui montent ainsi quand bien même leurs fondamentaux restent fragiles.
C'est la publicité dont tout le monde parle actuellement aux États-Unis (et bien au-delà) : le spot d'American Eagle mettant en scène l'actrice Sydney Sweeney, présente notamment dans la série Euphoria.
Pour rappel, la publicité de la marque de jeans reste relativement sobre. L'actrice vante les mérites des articles de la société (elle explique notamment qu'ils mettent en valeur ses attributs physiques) pendant une trentaine de secondes.
La polémique a surtout été provoquée par la phrase prononcée à l'issue du spot, "Sydney Sweeney has great jeans" ("Sydney Sweeney a de superbes jeans") comprise comme un jeu de mot entre "jeans" et "genes", les gènes biologiques. La belle actrice étant blonde aux yeux azur, plusieurs internautes ont jugé la publicité discriminante voire raciste. Quand d'autres ont loué l'audace du spot.
Cette polémique a ainsi illustré un clivage dans la guerre culturelle en cours aux États-Unis : les conservateurs se revendiquant "anti-woke" y voient une célébration de la beauté traditionnelle face à des progressistes qui dénoncent des standards excluants et grossophobes.
Souvent enclin à s'exprimer sur les sujets de société, le président américain s'est invité dans la polémique lundi. "Sydney Sweeney, membre du Parti républicain, a réalisé la publicité la plus 'hot' du moment. Elle est pour American Eagle, et les jeans 's'arrachent'. Vas-y Sydney !", a écrit Donald Trump sur son réseau social Truth Social.
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Une action en hausse de 23,7%
Le président américain faisait référence à des informations de plusieurs titres de presse, dont le Guardian, rapportant que l'actrice s'était enregistrée en juin 2024 en Floride en tant qu'affiliée au parti républicain.
Quoi qu'il en soit, l'action American Eagle Outfitters, cotée à la Bourse de New York, s'est envolée lundi, terminant sur une hausse de 23,65%.
"Quand le président américain dit quelque chose, émet un avis, cela a souvent un impact en Bourse", souligne Vincent Juvyns, directeur de la stratégie d'investissement chez ING Belgium.
"Il faut également rappeler que, sous l'administration Trump, la 'corporate culture' américaine qui faisait précédemment la part belle à la diversité, à une approche sociétalement engagée, a connu un retour en arrière. Certains grands noms ont mis fin à des programmes de diversité et d'inclusion (c'est le cas de Boeing qui avait mis fin à sa politique en la matière peu après l'élection de Donald Trump, NDLR), il y a eu un rééquilibrage. C'est ce qu'illustre à mon sens la campagne publicitaire d'American Eagle", développe-t-il.
L'action American Eagle avait déjà décollé après la diffusion de la publicité avec Sydney Sweeney, il y a quelques semaines. L'action avait ouvert sur une hausse de plus de 10% avant de terminer sur une progression plus modérée, de 4%. À l'heure actuelle, American Eagle Outfitters pèse pour environ 2,3 milliards de dollars de capitalisation boursière, ce qui est l'équivalent d'une capitalisation moyenne en Europe, mais d'un nain boursier à Wall Street.
Le parcours boursier d'American Eagle vient une nouvelle fois mettre en exergue un phénomène de marché très américain à savoir les "meme stocks".
Pour rappel, ce terme renvoie à la pandémie, quand des investisseurs américains particuliers se liguaient sur les forums boursiers pour acheter massivement les actions de groupes qu'ils affectionnaient et prendre ainsi à revers les vendeurs à découvert, c'est-à-dire les investisseurs qui misaient sur une chute du titre.
Un "meme stocks" parmi d'autres
Le cas le plus emblématique reste évidemment le groupe de distribution de jeux vidéo Gamestop, fer de lance de la vague des "meme stocks". Mais d'autres actions, comme Blackberry ou l'exploitant de salles de cinéma AMC s'inscrivent dans cette mouvance.
Ces "meme stocks" ont connu une recrudescence ces dernières semaines. Comme le notait Bloomberg dans un récent article, d'autres sociétés ont commencé à connaître des envolées boursières justifiée par aucune annonce, simplement des "buzz" sur les réseaux sociaux et les forums boursiers. Cela a concerné à des échelles diverses le spécialiste des caméras portables Gopro (+41% sur une séance le 22 juillet dernier), le groupe de donuts Krispy Kreme (+26,7% le 22 juillet) voire la chaîne de restauration rapide Wendy's.
"Krispy Kreme semble être le dernier venu dans cette frénésie (…) Comme pour les autres, aucune nouvelle significative ne justifiait cette hausse, qui était uniquement due à la dynamique du marché des investisseurs particuliers", a expliqué Daniel Hathorn de Capital.com dans un note. "Cette évolution souligne à quel point la dynamique des 'meme stocks' reste vivace, davantage motivée par l'enthousiasme et le positionnement des investisseurs que par les performances des entreprises", ajoutait-elle.
Les envolées boursières de ces groupes sont, en effet, souvent déconnectées des fondamentaux de l'entreprise.
American Eagle coche à ce titre toutes les cases des "meme stocks". Sa hausse à Wall Street après sa publicité avec Sydney Sweeney a été abondamment commentée sur les réseaux sociaux, certains internautes osant des comparaisons (humoristiques) entre l'actrice et le célèbre investisseur Warren Buffet. Wallstreetbets, une section de Reddit spécialisée dans les commentaires de marché, a un sujet consacré au groupe de jeans et la publicité avec Sydney Sweeney.
Un phénomène très américain
Surtout, les performances financières d'American Eagle ne sont pas forcément au beau fixe. Sur le dernier trimestre publié par la société, ses revenus s'étaient contractés de 3% sur un an et l'entreprise accusait une perte opérationnelle de 85 millions de dollars. Le PDG d'American Eagle, Jay Schottenstein, reconnaissait que le groupe était "déçu" de sa propre performance. D'ailleurs, malgré les "coups de pouce" apportés par Sydney Sweeney et Donald Trump, le titre reste en baisse de 20,3% sur l'ensemble de 2025.
Précisons au passage que le phénomène des "meme stocks" reste très américain et ne s'est pas vraiment diffusé à l'Europe. Cela tient au fait que les petits porteurs américains sont plus nombreux, avec une puissance de frappe bien plus grande.
"En Europe, les ménages investissent relativement peu en actions tandis que les Américains sont beaucoup plus investis dans leur marché. Par ailleurs la taille du marché américain est beaucoup plus grande, avec davantage de profondeur. Le marché européen, lui, n'existe que théoriquement, car il reste morcelé, fragmenté", explique Vincent Juvyns.
Selon des chiffres d'ING fournis par l'expert de marché, la capitalisation boursière du marché américain représente environ 170% du produit intérieur brut (PIB) du pays, soit environ 50.000 milliards de dollars, quand l'ensemble des marchés de l'Union européenne pèsent pour environ 60% du PIB du Vieux continent soit 11.640 milliards de dollars. Autrement dit, la taille du marché américain représente près de cinq fois celle de l'Europe. Par ailleurs, toujours selon ces données, autour de 55% des Américains sont directement ou indirectement investis sur les marchés actions, contre 20 à 25% pour les Européens.