(BFM Bourse) - Le constructeur automobile a beau avoir renoué récemment avec la croissance, grâce surtout à une base de comparaison clémente, sa visibilité demeure faible. Les investisseurs risquent encore d'en manquer d'ici à la présentation du plan stratégique, au deuxième trimestre 2026.
Stellantis s'apprête à tourner la page d'une année 2025 bien difficile, la première de l'ère post-Carlos Tavares.
Boursièrement, il s'agit encore d'un millésime à oublier pour le constructeur aux 14 marques. L'action chute encore de 33,2% depuis le 1er janvier après avoir perdu 40% sur l'ensemble de 2024.
Stellantis a été pris dans la tempête boursière liée aux droits de douane américains, tant pour les automobiles que pour les camions et poids lourds, qui font l'objet de surtaxes douanières séparées. Le groupe a indiqué attendre un impact pour 2025, autour de 1 milliard d'euros.
Surtout, le constructeur automobile a continué de pâtir des maux apparus l'an passé et que la précédente direction a mis trop de temps à prendre aux sérieux.
"L'ancien directeur général Carlos Tavares a trop insisté pour améliorer les marges en réduisant les coûts et en augmentant les prix, ce qui a donné des résultats initiaux spectaculaires, mais a finalement détérioré les relations et entraîné des pertes de parts de marché, conduisant à son départ", rappelait en septembre Bernstein.
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De lourdes pertes
Cette situation a abouti à des niveaux de stocks très élevés en Amérique du Nord, région dans laquelle Stellantis a par le passé affiché des marges vertigineuses (18,1% de marge opérationnelle courante au premier semestre 2022).
La société a pris des mesures drastiques pour les réduire ces stocks, quitte à sacrifier le "pricing power", qui faisait autrefois la fierté de Carlos Tavares.
Les résultats du premier semestre 2025 ont bien traduit la douleur infligée par cette nécessaire correction. Les revenus ont chuté de 13%. La marge opérationnelle a, elle, tout juste été positive (0,7%) dans l'ensemble du groupe, mais a basculé dans le rouge vif en Amérique du Nord (-3,4%). Le groupe a également accusé une perte nette de 2,3 milliards d'euros et a brûlé pour 3 milliards d'euros de trésorerie.
Certes, un premier signal positif a été enregistré sur les ventes de septembre aux États-Unis avec une hausse des immatriculations de 13,5%. Et le troisième trimestre, dans sa globalité, a marqué un retour à la croissance de l'entreprise, les revenus augmentant de 13%.
Mais, ce rebond tient pour beaucoup à une base de comparaison faible, les ventes ayant chuté de 27% au troisième trimestre 2024, sous les effets des mesures prises pour réduire les stocks.
Par ailleurs, "Stellantis avait, certes, affiché des ventes en hausse aux États-Unis au troisième trimestre. Mais cette progression était surtout due à une base de comparaison favorable et à un effet d’anticipation des ventes de véhicules électriques et hybrides rechargeables afin de profiter du crédit d'impôt fédéral de 7.500 dollars avant l'expiration du programme, ce qui pourrait avoir artificiellement gonflé les chiffres. Les données indiquent que le groupe n’avait pas réellement regagné de parts de marché significatives face à GM et Ford", a expliqué à BFM Bourse Adrien Brasey, analyste chez le bureau d'études Alphavalue.
Un manque de direction de la part de la direction
Arrivé en juin dernier pour prendre la succession de Carlos Tavares, le nouveau directeur général, Antonio Filosa doit encore faire ses preuves. Si sa présence lors de la conférence téléphonique des ventes du troisième trimestre a été appréciée - du temps de Carlos Tavares seul le directeur financier ou la directrice financière était présent lors des "call" suivant des chiffres d'affaires trimestriels - son intervention a laissé les opérateurs de marché sur leur faim.
"La direction a donné très peu de détails sur le redressement attendu, on n'est pas plus avancé qu'hier. Il y a donc de l'incertitude sur le fait que la reprise des volumes se translate dans les résultats", regrette un analyste. "Ils ont vraiment donné peu de billes", ajoute-t-il.
Exemple assez marquant: la direction a refusé de répondre à un analyste qui lui demandait si l'Amérique du Nord retrouverait une marge opérationnelle courante positive au second semestre. Le "management" de Stellantis a simplement rappelé que la société ne donnait pas d'indications par zones.
Toutefois, l'Amérique du Nord demeure la région la plus critique pour la trajectoire de la rentabilité de la société.
Or Stellantis compte dégager une marge opérationnelle "low-single digit" (de 1% à 4%) au second semestre, ce qui semble très difficile sans un retour dans le vert de la zone "Amérique du Nord".
Le précédent directeur financier de la société, Doug Ostermann, qui a quitté la société fin septembre remplacé par Joao Laranjo, avait lui évoqué une marge opérationnelle positive au second semestre pour cette région.
Les investisseurs peuvent s'attendre à des efforts de la nouvelle direction de Stellantis pour redresser les volumes et les parts de marché plutôt que de retrouver la rentabilité insolente des années Tavares.
Antonio Filosa a jugé que viser une marge opérationnelle courante de 6% à 8% pour le groupe était "raisonnable" à moyen et long terme. Du temps de son prédécesseur, la société comptait dégager une rentabilité à deux chiffres, peu importe les conditions macroéconomiques et de marché.
Antonio Filosa a notamment indiqué que le groupe s'attelait à "combler les trous" dans son portefeuille de produits, avec, par exemple, la réintroduction de motorisations thermiques des "muscle cars" de Dodge ou encore le lancement du Jeep Cherokee qui a renforcé l'offre du groupe sur le SUV "milieu de gamme", un créneau représentant environ 20% du marché américain.
Stellantis en "'show me' territory"
Au-delà de ces quelques indications, la visibilité quant à la stratégie de la société reste relativement limitée. Signe qu'Antonio Filosa a probablement du pain sur la planche, la société a étendu l'horizon de présentation de son futur plan stratégique. Initialement prévu pour le premier trimestre 2026, cet évènement surviendra "au premier semestre" de l'an prochain. Donc potentiellement davantage en juin qu'en mars.
De l'avis, de la grande majorité des analystes, Stellantis n'a pour l'heure pas suffisamment donné de gages pour que les investisseurs se montrent confiants, avant cette journée clef, et misent ainsi sur le redressement de la société.
Royal Bank of Canada se montre "prudente", soulignant que "les efforts visant à regagner des parts de marché en Amérique du Nord et en Europe pourraient peser sur la rentabilité à court terme".
Par ailleurs, la banque canadienne doute que le Jeep Cherokee lancé par la société améliore réellement les marges de l'entreprise.
"La marque a été affectée par la politique tarifaire mise en place après la pandémie (comprendre des prix élevés, NDLR) et par des investissements limités dans les produits, ce qui pourrait nécessiter plusieurs années pour être effacé", écrit Royal Bank of Canada.
Bernstein, de son côté, estime que la société se trouve toujours en "'show me' territory", c'est-à-dire que le marché attend toujours la preuve par les actes (et les chiffres).
Que ce soit pour les nouveaux modèles de Ram (de nouvelles versions et options pour le Ram 1500) ou pour le Cherokee Jeep (qui évolue sur un créneau ultra-concurrentiel, avec les marques japonaises, coréennes ou encore Chevrolet) "nous pensons que le marché exigera des preuves plus claires d'une amélioration soutenue et séquentielle des parts de marché sur ces segments avant que la confiance ne soit rétablie", conclut Bernstein.
Pour Oddo BHF, il est bien trop tôt pour valider "une trajectoire de reprise pour le constructeur si loin de la journée dédiée aux investisseurs prévue au deuxième trimestre 2026".
Ce "compte tenu notamment de la visibilité limitée sur la capacité de la nouvelle équipe de direction récemment nommée à remédier rapidement aux faiblesses structurelles (surcapacités, positionnement technologique et de marque) et du profil fragile" de la société, poursuit le courtier.
Pour cette raison, le bureau d'études préfère Renault, qui offre une valorisation plus attrayante et une visibilité plus élevée sur les six à douze prochains mois.
Vers des décisions sur les marques en 2026?
"Nous restons sceptiques quant à la stratégie et aux perspectives de Stellantis, compte tenu de la visibilité limitée sur la capacité de la nouvelle équipe de direction à remédier rapidement aux faiblesses structurelles telles que la surcapacité de production en Europe. En outre, l'absence d'indications de la part de la direction concernant l'ampleur d'une éventuelle reprise au cours de l'exercice 2026 pèse sur notre sentiment", abonde de son côté Adrien Brasey d'Alphavalue.
"Nous maintiendrons une opinion 'bearish' (pessimiste, NDLR) jusqu'à ce que l'amélioration des parts de marché en Amérique du Nord et en Europe soit évidente, en fonction du succès de l'offensive produit", poursuit-il.
In fine, il faudra vraisemblablement attendre la présentation du plan stratégique pour trouver des catalyseurs sur le titre ainsi que des décisions fortes. Les interrogations portent notamment sur le positionnement (voire la suppression pour certaines?) des 14 marques du groupe.
"Stellantis a trop de marques et de surcapacités. Mais il n'est pas sûr que la direction décidera de supprimer sèchement des marques. Il se peut très bien que certaines marques se retrouvent à souffrir d'un manque structurel d'investissement, ce qui les conduiraient à terme à 'mourir de mort naturel', juge sur ce dernier point, un intermédiaire financier.
"Il y aurait besoin de le faire (réduire le nombre de marques, NDLR) mais je ne sais pas s'ils le feront. Tavares avait une approche, tirée de l'exemple Opel. Il laissait une dernière chance aux marques de proposer un 'business model' pour rester viable. Mais il y a quand même des marques qui ne sont pas en excellente forme, comme Alfa Romeo ou Lancia. Quant à Maserati, le groupe n'affiche pas les marges qu'il devrait au vu de son positionnement. Vont-ils essayer de monétiser cette marque avec des investisseurs?", considère un autre.
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