(BFM Bourse) - Le président américain avait prévenu dans un post sur son réseau social que le moment d'acheter sur le marché était "idéal", ce, quelques heures avant d'annoncer une volte-face sur les droits de douane qui a propulsé les actions américaines. Plusieurs membres du parlement américain crient au délit d'initié et entendent lancer une enquête.
Contrairement à la tradition qui veut que les présidents américains s'abstiennent de commenter l'évolution des marchés financiers, Donald Trump adore parler de Wall Street. Enfin, surtout pour s'approprier la bonne santé des indices américains.
Mercredi 9 avril, le président américain a récidivé, en postant sur son réseau social "Social Truth" un message destiné à rassurer les investisseurs. "C'est le moment idéal pour ACHETER! DJT", avait-il écrit, peu après l'ouverture de Wall Street. Les trois lettres "DJT" font référence au nom complet du président à savoir Donald John Trump.
Notons que "DJT" correspond aussi au "ticker" (le code sur les marchés) de "Trump Media & Technology Group", la société de média de Donald Trump cotée à Wall Street et qui chapeaute Truth Social.
Quelques heures plus tard, Donald Trump a annoncé, toujours sur Social Truth, une pause de 90 jours (ou plus exactement une réduction à 10%) sur les droits de douanes réciproques, à l'exception de la Chine. Cette annonce a catapulté les indices américains.
Le Dow Jones a alors gagné 7,9% tandis que le S&P 500 a pris 9,5%. Le Nasdaq Composite s'est envolé de 12,16%. Selon John Plassard, de Mirabaud, le Dow Jones a signé sa meilleure séance depuis 2008 et le Nasdaq sa deuxième meilleure performance historique. Trump Media & Technology a pour sa part gagné 21,7%, une hausse finalement assez similaire à celle des grands groupes de Wall Street comme Tesla (+22%) et Nvidia (+18%).
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Les démocrates s'insurgent
Autrement dit, les investisseurs qui ont suivi les conseils de Donald Trump ont été largement gagnants.
Problème: cet enchaînement des messages de la part du président américain fait planer le doute sur une potentielle manipulation de marché et ce que l'on appelle du "insider trading", c'est-à-dire un délit d'initié. Un délit d'initié survient quand une personne disposant d'informations privilégiées les utilisent soit pour prendre une position elle-même sur le marché soit pour en faire profiter quelqu'un d'autre. Ce type d'infraction est lourdement sanctionné aux États-Unis.
Selon la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme américain de la Bourse, un délit d'initié est passible d'une peine maximale de 20 ans d'emprisonnement et de 5 millions de dollars d'amende pour un individu seul, chiffre qui monte à 25 millions pour une "personne non naturelle", comme une entreprise.
Donald Trump envisageait-il de reporter les droits de douane lorsqu'il avait appelé les investisseurs à acheter le marché? Associated Press a demandé des clarifications à la Maison Blanche qui n'a toutefois pas vraiment éclairci la situation.
"Il est de la responsabilité du président des États-Unis de rassurer les marchés et les Américains sur leur sécurité économique face à l'alarmisme permanent des médias", a répondu à l'agence le porte-parole de la Maison Blanche, Kush Desai.
La question de la manipulation de marché peut sembler d'autant plus troublante que Trump a ponctué son poste de "DJT", donc. Précisons toutefois, comme le rappelle Associated Press, que le président américain a tendance a signé par intermittence ses posts "DJT" pour simplement rappeler qu'il a écrit lui-même le message.
Du côté du Capitole, nombre de membres du Congrès américain ne décolèrent pas. "En quoi cela ne constitue-t-il pas une manipulation du marché ?", a cinglé le membre de la Chambre des représentants Mike Levin, démocrate de Californie, sur X.
"Cela pourrait être une énorme arnaque" a de son côté affirmé le sénateur démocrate du Connecticut, Chris Murphy. "La question est, 'qui parmi les proches de Trump savait qu'il allait suspendre les surtaxes douanières, qui parmi ses amis de Mar-A-Lago (l'hôtel de Trump en Floride, NDLR) ou ses conseillers milliardaires ont été capables de capitaliser'" là-dessus, a-t-il poursuivi.
Le sénateur Adam Schiff, également démocrate, a déclaré sur X qu'il fallait déterminer si oui ou non il y a eu manipulation de marché. "Nous allons demander des réponses à l'administration (Trump, NDLR)", a-t-il assuré, ajoutant qu'il faudrait lancer une investigation. "Qui savait ce que le président allait faire?" lorsqu'il avait posté son premier message invitant à acheter le marché, s'est-il interrogé.
La populaire membre (démocrate) de la Chambre des Représentants, Alexandria Ocasio-Cortez, a elle appelé tous les membres du Congrès américains qui avaient passé des ordres boursiers au cours des dernières 48 heures à dévoiler leurs opérations.
"La date limite de divulgation est fixée au 15 mai. Nous sommes sur le point d'apprendre certaines choses", a-t-elle affirmé sur X. "Il est temps d'interdire les délits d'initiés au Congrès", a conclu l'élue américaine.
La SEC n"a pas commenté
"AOC" réagissait alors à un post sur X de Spencer Hakimian, fondateur de Tolou Capital Management. Cet expert de marché avait lui-même reposté un graphe qui semblait montrer une envolée des volumes d'achats sur un ETF - un fonds indiciel – répliquant le Nasdaq, ce quelques minutes avant les annonces de Trump.
Trump a-t-il donc manipulé le marché? Seules les futures et potentielles enquêtes pourront trancher.
Citée dans plusieurs américains, Kathleen Clark, experte en droit de l'éthique gouvernementale à la faculté de droit de l'université de Washington, estime que les post de Donald Trump devraient normalement déclencher une enquête de la part de la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme américain de la Bourse. "Il envoie le message qu'il peut manipuler le marché efficacement et en toute impunité", a-t-elle déclaré à l'agence Associated Press.
Interrogée par le New York Times, la SEC n'a pas souhaité répondre aux questions du quotidien américain sur les posts de Donald Trump.
Thierry Breton, ancien commissaire européen et ancien PDG du groupe Atos (coté en Bourse) ne pense pas que la manipulation de cours boursier va de soi. "On ne peut pas dire cela, on verra bien", a-t-il estimé sur BFMTV-RMC, ce jeudi. "Si jamais il y a délit d'initié on le saura, il y aura sans doute des enquêtes" mais le président américain pourra se défendre en déclarant "j'ai annoncé au monde entier que c'était la bonne période pour acheter", a ajouté Thierry Breton.
L'ex-commissaire européen est davantage surpris par le fait que Donald Trump a annoncé ses décisions alors que Wall Street était ouverte. "Généralement lorsqu'on fait une annonce dont on sait qu'elle va avoir un impact sur les marchés, on attend que ceux-ci soient fermés. Pourquoi ne pas avoir attendu trois heures de plus?", a-t-il développé.