(BFM Bourse) - L'encours d'obligations françaises détenues par les investisseurs japonais a fondu à hauteur de 30 milliards d'euros en 2024, selon Barclays. Ce mouvement est notamment lié à l'incertitude politique dans l'Hexagone. Pour autant, ces cessions ne constituent pas des signaux d'alerte sur la dette tricolore.
Réputés friands de dette tricolore, les investisseurs japonais se sont pourtant détournés du papier français, ces derniers trimestres.
Gérant chez Eleva Capital et invité régulier de BFM Business, Stéphane Deo a remarqué sur X (ex-Twitter) que l'encours de dette française détenue par les investisseurs du pays avait été divisé par près de deux depuis son pic de 2019-2020.
"Il semble que l'appétit des investisseurs japonais pour la dette française s'amenuise", conclut le gérant.
Cette tendance s'est accélérée en 2024. Selon les données collectées par Barclays et citées par la banque le 10 février dernier, les investisseurs japonais ont procédé à des ventes nettes (les achats diminués des ventes) d'obligations françaises à hauteur de 4.700 milliards de yens, soit 29,7 milliards d'euros, sur l'ensemble de 2024.
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L'incertitude politique en question
Évidemment, ce mouvement n'est pas étranger à la période d'instabilité politique que traverse la France depuis la dissolution de l'Assemblée nationale, à la mi-juin 2024. Cet épisode a provoqué une importante incertitude qui a créé des tensions sur la dette française, sur le marché secondaire, et a conduit le CAC 40 à sous-performer les autres grands indices actions en 2024.
Dans une note rédigée en décembre dernier, UBS remarquait que les investisseurs japonais avaient vendu, en net, pour plus de 20 milliards d'euros d’obligations assimilables du Trésor français (OAT) sur la seule période allant de juin à novembre.
"Les cessions d'obligations françaises de la part des investisseurs japonais en 2024 ont quand même traduit une forme de défiance vis-à-vis de l'incertitude politique en France. Ce que l'on n'a pas forcément retrouvé avec les autres pays de la zone euro", explique Axel Botte, chef de la stratégie de marché chez Ostrum AM.
Ce délestage de la part des investisseurs japonais n'est pas à prendre à la légère, dans la mesure où la dette française est davantage détenue par les investisseurs étrangers que dans d'autres pays. Selon les données de la Banque de France, 54,2% de l'encours de dette française était détenu par les non-résidents à fin septembre 2024. En comparaison, ces taux de détentions se situent plutôt autour de 28% pour l'Italie, 30% pour les États-Unis, 40% pour l'Espagne et 45% pour l'Allemagne, selon Reuters.
Les obligations japonaises deviennent attrayantes
Faut-il pour autant s'inquiéter de la fuite des investisseurs japonais? Pas forcément.
Si l'incertitude politique française les a poussés à réduire la voilure, les investisseurs japonais ont aussi pu tout simplement rediriger leurs fonds vers la dette domestique.
Pendant des années, le Japon a connu une inflation quasi-nulle (voire négative) accompagnée de taux directeurs ultra-bas. Les investisseurs japonais devaient ainsi regarder à l'étranger pour trouver des obligations offrant du rendement. Et donc placer leur argent.
Mais la donne a récemment changé. Le Japon est sorti de sa spirale déflationniste. En décembre, l'inflation hors prix alimentaire s'est établie à 3% sur un mois. Et après des années de politique monétaire ultra-accommodante, la Banque du Japon a commencé à relever ses taux, portant son principal taux à 0,5% en janvier. Bank of America estime que deux hausses de taux d'un quart de point surviendront encore en 2025, ce qui ramènerait ce taux à 1% en décembre.
En conséquence, les rendements obligataires japonais sont remontés, rendant la dette japonaise plus attrayante. Alors qu'il évoluait encore autour de 0% ou presque fin 2021, le taux de l'obligation japonaise à 10 ans est passé à 0,6% fin 2023 et se situe à environ 1,38% actuellement.
"En conséquence, ils ont moins d'appétence à chercher du rendement à l'étranger, explique Axel Botte. D'autant que, dans leurs calculs, les investisseurs japonais doivent prendre en compte le coût des couvertures de changes sur les placements dans les obligations en zone euro. Or ces coûts sont encore élevés et peuvent être très pénalisants", ajoute-t-il
"Les investisseurs se sont certes délesté d'obligations françaises de façon importante mais cela s'inscrit dans un mouvement plus large. Les investisseurs japonais ont, en réalité, vendu des actifs étrangers tous azimuts et ont réalloué des fonds vers leurs actifs domestiques, car les taux remontent au Japon, ce qui rend les actifs japonais plus intéressants", abonde Vincent Juvyns, stratégiste de marché chez JPMorgan.
D'ailleurs, s'il a concerné la France au premier chef, le délestage de titres de dette par les investisseurs japonais s'est opéré sur l'ensemble de la zone euro, l'an passé. Selon les données de Barclays, ces investisseurs ont vendu, en net, pour 8.600 milliards de yens (54,3 milliards d'euros) d'obligations de la zone monétaire en 2024, dont 2.100 milliards de yens de dette néerlandaise, 900 milliards de yens de dette allemande et 700 milliards de yens de dette italienne.
Un poids exagéré?
Par ailleurs, il n'est pas certains que les investisseurs japonais aient un poids si critique dans la détention de la dette française. L'Agence France Trésor ne précise pas la ventilation de la détention des obligations tricolores par pays .
Mais dans une étude de juin dernier consacrée à l'influence de la demande japonaise sur les OAT, Barclays relativisait. "La détention d'obligations françaises par les investisseurs japonais est faible par rapport à l'encours de la dette française", écrivait la banque britannique. "Toutefois, étant donné que nous disposons de données mensuelles sur les achats/ventes nets des investisseurs japonais par pays, cela illustre utilement l'impact de l'incertitude politique sur le comportement des investisseurs", ajoutait-t-elle.
Dans sa note de décembre dernier, UBS redoutait que la France ait plus de mal à convaincre les investisseurs étrangers d'absorber la hausse de ses besoins de financement en 2025. Mais la banque suisse reconnaissait que la France possédait un atout indéniable: elle dispose "d'une grande base d'investisseurs institutionnels" sur sa dette, ce qui constitue un facteur de stabilité.
Par ailleurs, le principal baromètre de la confiance du marché sur la signature tricolore, l'écart de rendement de l'obligation à 10 ans avec l'Allemagne, reste sous contrôle. Ce "spread" s'établit actuellement à 68 points de base (0,68%), loin des 90 points de base qu'il avait atteint à l'automne dernier.
"'Quant on regarde le spread actuel, il n'y a rien d'inquiétant et les tensions se sont apaisées sur la dette française. Ce qui ne veut pas dire, pour autant, que les finances publiques se sont assainies ou que l'instabilité politique a disparu", explique Vincent Juvyns.
Par ailleurs, "les dernières adjudications de dette française se sont très bien passées et les investisseurs ont plus que largement répondu présent. Ils cherchent du rendement et les obligations françaises en offrent", ajoute-t-il.
"Pour l'heure, les adjudications d'obligations par la France, comme d'ailleurs pour la plupart des pays européens, se sont bien passées. La demande du marché pour la dette souveraine reste élevée", estime également Axel Botte.
Lors de la dernière émission d'OAT de moyen terme par l'Agence France Trésor, le 6 février dernier, la demande des investisseurs a représenté, en moyenne 3,16 fois l'offre.
In fine, "ces cessions de ventes d'obligations françaises par les investisseurs japonais ne sont pas très inquiétantes. Mais cela constitue certainement un sujet de préoccupation pour l'AFT qui est soucieuse de maintenir une base d'investisseurs étrangers la plus large possible", conclut Axel Botte.