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Marché : Comment distinguer le bon du mauvais pricing power en Bourse

dimanche 12 février 2023 à 12h00
Toutes les entreprises n'ont pas la même capacité à imposer leurs prix

(BFM Bourse) - L'actuelle saison des résultats d'entreprises met de nouveau en avant la capacité ou non des entreprises à fixer leurs prix sans perdre de clients. Un pricing power qui avait été quelque peu mis de côté avec les hausses généralisées des prix ces derniers mois. Mais la donne a changé.

La hausse des prix est aussi à un tournant en Bourse. Car le pricing power redevient un élément crucial à analyser. Le pricing power, c'est la capacité d'une entreprise à fixer ses prix. Une société qui a un fort pricing power peut augmenter ses prix sans que la demande ne recule. Apple a longtemps constitué un bon exemple, avec des iPhones de plus en plus chers et des volumes de ventes qui ne cessaient de grimper. On retrouve derrière cette notion la force de la marque, des barrières à l'entrée ou encore une technologie de pointe difficile à copier.

Inversement, un groupe qui a un faible pricing power est obligé de comprimer ses prix et ses marges pour maintenir ses ventes. La concurrence joue à plein et il n'est pas facile de se distinguer sur autre chose que le prix. C'est historiquement le cas de secteurs comme la grande distribution, les télécoms ou les compagnies aériennes.

Le problème ces deniers mois, c'est qu'on a bien du mal à distinguer le "vrai" pricing power du "faux" pricing power. "Le retour de l’inflation au cours de l’année passée a singulièrement brouillé les cartes, pour les investisseurs. La hausse des coûts de production (renchérissement des matières premières et de l’énergie, raréfaction de la main d’œuvre, grippage des chaînes d’approvisionnement…) a en effet forcé les entreprises à augmenter indistinctement leurs grilles tarifaires afin de sauvegarder leurs marges. Le mouvement massif de hausse des prix qui en a découlé a pu donner l’impression que toutes les entreprises disposaient d’un pricing power. Mais il n’en est rien", analyse dans une note récente Gilles Constantini, gérant du fonds Amplegest Pricing Power.

Des hausses de prix "pas soutenables dans le temps"

"Faute de pricing power, de nombreuses hausses de prix imposées depuis un an ne sont pas soutenables dans le temps", ajoute-t-il. Car cela coince de plus en plus chez les consommateurs. Le pouvoir d'achat est sous pression et les ménages font de plus en plus attention à leurs dépenses. L'épargne accumulée pendant les confinements a pu permettre d'adoucir le choc de l'inflation ces derniers mois. Mais ce n'est plus le cas avec un pouvoir d'achat qui recule mois après mois. Les salaires de base ont progressé de 3,8% au quatrième trimestre sur un an en France, d'après les derniers chiffres de la Dares. C'est beaucoup moins que l'inflation, qui est de 6% sur la période. Et ceux qui voient le plus leur pouvoir d'achat se faire rogner, ce sont les cadres. Or ce sont eux qui ont le plus de marge sur leur budget pour arbitrer et décider d'acheter tel ou tel produit.

On le voit aussi sur les ventes des derniers mois en France dans l'alimentaire. La consommation alimentaire a baissé de 4,6% en 2022 selon l'Insee. Ce n'était jamais arrivé depuis 1960. Les ménages font aussi plus attention à leur consommation d'électricité et de gaz. Ils achètent moins de voitures. Pour simplifier : ils se serrent la ceinture. Et ce qui se passe en France s'observe un peu partout dans le monde.

D'ailleurs, dans les résultats d'entreprises de ces dernières semaines, beaucoup de sociétés sont à la peine pour fixer leurs tarifs. Par exemple, le géant Procter & Gamble, qui détient des marques comme Pampers, Ariel ou Gilette, a augmenté de 10% en moyenne ses prix au dernier trimestre sur un an. Résultat: ses volumes de vente ont reculé de 6%. Une fois pris en compte les effets de change et les familles de produits vendus, le chiffre d'affaires du groupe a reculé de 1% sur un an entre octobre et décembre.

Perte d'abonnés chez Disney +

En France cette semaine, on a eu un autre exemple intéressant avec le constructeur de maisons individuelles Hexaom. Pour la seule branche d'activité "construction de maisons individuelles", le chiffre d'affaires est en hausse de 12,2% à 809,3 millions d'euros en 2022. Mais en parallèle, les réservations ont plongé de pratiquement 29% l'an dernier. Le groupe a dû monter ses prix mais les clients n'ont pas pu tous suivre. C'est notamment lié à la flambée des taux immobiliers. Car des taux qui montent, sont synonymes de budget qui baisse, alors que les prix montent.

Il y aussi des sociétés qui, même en baissant leurs tarifs, ne parviennent plus à juguler l'hémorragie. C'est le cas de Beyond Meat, le spécialiste des substituts à la viande à base de protéines végétales. Le groupe a été contraint de baisser ses prix (-11,2% par livre de viande en moyenne) mais les volumes vendus continuent malgré tout de plonger: pratiquement -12,8% sur un an au troisième trimestre 2022.

On peut aussi parler de Disney: le groupe a augmenté le prix de ses abonnements à Disney + de 38% en décembre dernier aux Etats-Unis. Or, le groupe vient d'annoncer qu'il perd pour la première fois des abonnés: 2,4 millions en moins au dernier trimestre 2022.

Et même le roi Apple n'arrive plus à faire monter ses prix. Les revenus tirés des ventes d'iPhone ont reculé de 8% sur un an au dernier trimestre. Il y a eu, certes, des problèmes de production avec le Covid et le marché des smartphones souffre. Mais il y a aussi visiblement un problème de prix. Et d'ailleurs, comme Bloomberg l'a dévoilé, Apple vient de réduire ses prix en Chine pour relancer les ventes, ce qui est particulièrement rare pour la firme à la pomme.

Des entreprises au fort pricing power

D'autres entreprises, au contraire, parviennent à faire grimper à la fois leurs prix et leurs ventes. Parmi les derniers grands groupes à avoir publié, on peut par exemple citer Legrand. L'entreprise est portée par la demande en efficacité énergétique. Les revenus ont bien progressé en 2022: +19,2% en données publiées et +9,7% sur un an en données comparables (à périmètre et taux de change comparables). En parallèle, la marge est stable. Ce qui fait dire aux analystes de Royal Bank of Canada que Legrand bénéficie certainement d'un fort pricing power.

Autre exemple avec Vinci Autoroutes. Malgré des tarifs de péage en hausse, le trafic dépasse désormais le niveau de 2019 (+1,7% en 2022 par rapport à 2019) et les revenus progressent (+7% par rapport à 2019). Et ce dans un contexte de montée des prix des carburants

Dans un tout autre secteur, il y a ASML, une entreprise hollandaise qui fabrique des machines pour les fabricants de semi-conducteurs. "Incontournable sur son marché", ASML est "parvenu à accroître ses prix de vente tout en affichant une progression de ses commandes, dans un contexte de relocalisation des lieux de production particulièrement porteur", note Amplegest.

"Cette divergence croissante des trajectoires commerciales rappelle qu’aujourd’hui comme hier, la capacité à maîtriser durablement sa politique de prix est très inégalement répartie entre les entreprises", estime Gilles Constantini. "Après une année de banalisation et de "derating" des entreprises qui en sont le mieux dotées, le pricing power devrait peu à peu retrouver sa place centrale et discriminante dans les grilles d’analyse", juge-t-il. Les réactions des marchés face aux publications de ces derniers jours lui donnent pour l'instant raison.

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