(BFM Bourse) - L’ensemble des places boursières souffrent depuis quelques jours, malgré des résultats rassurants de la part de Nvidia. Les peurs autour d'une bulle de l'IA restent vives. Les investisseurs ont aussi des craintes sur la dette japonaise et ils sont moins confiants sur les baisses de taux de la Fed.
Depuis quelques jours, l'ensemble des Bourses mondiales tremblent sans s'effondrer.
Le "Vix", le fameux "indice la peur" de Wall Street, qui sert de thermomètre de la volatilité de marché, a grimpé à 27 points, son plus haut niveau depuis avril. En début de semaine, il se situait à seulement 19,8 points.
Signe de cette nervosité, le S&P 500, indice phare de Wall Street, est passé d'une hausse de 1,93% à une baisse de 1,56% au cours de la journée de jeudi, remarque Deutsche Bank.
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Hypervolatilité de marché
La banque allemande souligne qu'il s'agit du plus grand écart au cours d'une même séance depuis le fameux "Liberation Day" d'avril, lorsque Donald Trump avait paniqué le marché avec l'annonce des droits de douane réciproques.
Ce vendredi, le contrat à terme sur le S&P 500 reprend un peu de terrain (+0,44%).
Les bourses asiatiques, très connectées aux marchés américains, ont souffert, ce vendredi. Le Nikkei 225 de Tokyo a abandonné 2,4%, tandis que le Hang Seng de Hong Kong a perdu 2,4%.
Le marché parisien limite la casse, avec un CAC 40 qui recule de 0,04%. Mais d'autres indices européens, qui signent de bien meilleures performances que le CAC 40 sur l'ensemble de 2025, se retrouvent davantage sous pression, le DAX 40 perdant 0,3% et l'Ibex 35 de Madrid de 0,9%.
"Ces dernières 24 heures ont été véritablement remarquables, avec une série de mouvements presque impossibles à prévoir", écrit Deutsche Bank.
Un mélange de plusieurs éléments explique ce stress de marché. Tour d'horizon.
>Les craintes de bulles ne s'affaissent pas malgré Nvidia
Certes, cela fait plus de deux ans que les investisseurs s'interrogent sur la présence d'une bulle dans la tech américaine, en raison du succès stratosphérique de la thématique de l'intelligence artificielle (IA) à Wall Street.
Toutefois, ces inquiétudes sont nettement accrues depuis la fin de l'été.
Le marché fronce les sourcils à la vue de valorisations tendues dans la tech américaine et des dépenses d'investissement ("capex") massives des "hyperscalers" (Amazon, Microsoft, Oracle, Alphabet) dans les data centers et l'IA, à coups de dizaines voire de centaines de milliards de dollars.
D'après Dan Ives, analyste de la tech chez Wedbush, les "big techs" vont dépenser 400 milliards de dollars de "capex" cette année, contre 280 milliards de dollars initialement attendus.
Selon une enquête mensuelle de Bank of America dont la dernière mouture a été publiée mardi, 45% des gérants de fonds sondés ont jugé en novembre qu'une bulle de l'IA constituait le plus grand risque pour Wall Street, contre 33% en octobre et un peu plus de 10% en septembre.
Autre point saillant: pour la première fois depuis août 2005, les investisseurs jugent en majorité que les entreprises "surinvestissent" à l'heure actuelle. "Cette hausse s'explique par les inquiétudes liées à l'ampleur et au financement du boom des dépenses d'investissement dans l'IA", constatait Bank of America.
Avec ses résultats trimestriels rassurants et publiés jeudi soir, Nvidia devait apaiser ces craintes de marché. Cela a été le cas…Pendant une quinzaine d'heures à peine.
Rappelons que Nvidia se trouve au bout de la chaîne des "capex" des grands groupes de tech. Les dépenses d'IA de Meta ou de Microsoft visent justement à acheter par milliers les processeurs graphiques (GPU) de la société pour équiper les data centers et donner de la puissance de calcul nécessaire au développement des grands modèles de langage d'intelligence artificielle.
Une précarité mise à nue
En conséquence, les bonnes prévisions de Nvidia ont pu être interprétées, dans un second temps, comme un signe supplémentaire de l'exubérance des dépenses dans l'IA.
"Après les dernières séances tumultueuses sur les marchés actions, on espérait vivement que les résultats de Nvidia apaiseraient les craintes d'une bulle spéculative autour de l'IA sur le point d'éclater. Mais le rebond initial des actifs à risque, à la suite des publications de résultats impressionnants, fut de courte durée", exposent les stratégistes de Barclays.
"Lors de nos rencontres avec nombre de clients cette semaine, il est apparu clairement que la monétisation de cette extraordinaire explosion des capex, ainsi que la valorisation, les flux de trésorerie/l'endettement, la demande énergétique et le financement circulaire (les groupes tech n'arrêtent pas d'annoncer des accords de ce type, NDLR), sont devenus des préoccupations majeures", poursuivent-ils.
"Personne ne doute de la poursuite de cette frénésie d'investissements, mais nombreux sont ceux qui s'inquiètent de sa rentabilité à long terme", pointent-ils, ajoutant que "la fatigue IA est papable".
"L'impressionnante publication des résultats de Nvidia était censée stabiliser les marchés et les mener sereinement vers la fin de l'année. Au lieu de cela, elle a révélé à tous leur véritable niveau de précarité, dans un contexte de saturation des investissements, d'absorption de l'offre et de tensions sur les bilans – exactement ce à quoi il faut s'attendre lorsque les dépenses dépassent les recettes", abonde Stephen Innes de Spi AM.
>Le retour des "bond vigilantes" au Japon
Un autre facteur de fragilité ambiante demeure la hausse impressionnante des rendements des titres de dette souverain japonais.
Pour rappel, plus les rendements des obligations souveraines montent plus leur valorisation baisse, et, souvent, plus les investisseurs s'inquiètent de l'état des finances publiques d'un pays.
C'est ce qui se produit avec le pays du Soleil levant. Le taux du titre de dette à 30 ans du pays est passé de 3,04% fin octobre à 3,33% actuellement, et celui à 10 ans de 1,65% à 1,79%. Ces rendements ont atteint cette semaine des niveaux inédits depuis 2008.
En cause, les craintes d'un afflux de dette du pays sur le marché pour financier l'énergétique plan de relance de la Première ministre japonaise, Sannae Takaichi, très favorable à l'expansion budgétaire.
La dirigeante - ex-batteuse dans un groupe de hard rock et admiratrice de Margaret Thatcher - a dévoilé vendredi ce "package" budgétaire de 21.300 milliards de yens, soit environ 117 milliards d'euros, qui inclut des subventions aux factures énergétiques et des réductions d'impôts, selon l'agence de presse Kodyo citée par l'AFP.
Ce alors que la dette du pays rapportée au produit intérieur brut (PIB) atteignait déjà 237% en 2024, d'après le Fonds monétaire international (FMI) soit plus du double de celui de la France.
"Cette initiative de relance a suscité des inquiétudes quant à l'aggravation du fardeau de la dette déjà considérable du Japon, ce qui a entraîné une hausse sans précédent des rendements des obligations d'État en début de semaine et une dépréciation du yen par rapport au dollar", explique Deutsche Bank.
Barclays évoque le retour des "bond vigilantes" au Japon, c'est-à-dire des investisseurs qui vendent des obligations souveraines en période de stress, car ils sanctionnent les gouvernements pour ce qu'ils considèrent comme de mauvais choix politiques.
La banque note que ce "come-back" des "bond vigilantes" au Japon a accru "l'angoisse des marchés" causée par les doutes autour de l'IA. De même que le moindre optimisme du marché quant aux baisses de taux de la Réserve fédérale américaine (Fed).
La Fed pas si accommodante ?
C'est le dernier grand ingrédient du cocktail qui plombe les marchés depuis quelques semaines. Les investisseurs ont, précédemment, intégré des projections agressives de baisse des taux de la part de la Réserve fédérale américaine (Fed), la plus importante banque centrale au monde.
Ce qui peut notamment s'expliquer par l'absence de nombreuses données économiques américaines cruciales (comme le rapport sur l'emploi américain) provoquée par le "shutdown" aux États-Unis, qui entraîné la fermeture de nombre d'administrations américaines pendant 43 jours.
Rappelons que des baisses de taux de la part d'une banque centrale diminuent le coût du crédit pour les ménages et les entreprises, augmentent les liquidités sur le marché, et favorisent ainsi les actifs risqués comme les actions.
Mais les investisseurs ont fait preuve d'un excès d'optimisme sur ces baisses de taux, ce qui se paie cash en Bourse.
Plusieurs rappels à l'ordre de la part des membres de la Fed sont survenus.
Alexandre Baradez, d'IG Markets France évoque des déclarations de nombreux membres de la Réserve Fédérale ces derniers jours qui insistent sur le fait que l’inflation n’est pas un problème réglé. "Comme ces propos de Beth Hammack, la présidente de la Fed de Cleveland: 'abaisser les taux d’intérêt pour soutenir le marché du travail risque de prolonger cette période d’inflation élevée, et cela pourrait également encourager la prise de risque sur les marchés financiers'", relève-t-il.
"Alors que les marchés étaient convaincus que la Fed continuerait à aligner les baisses de taux par rapport à l’évolution du marché du travail, de nombreux membres de la Fed ont rappelé l’importance du mandat concernant l’inflation. Faisant également écho aux propos de Jerome Powell lors de la dernière conférence de presse en octobre qui avait indiqué qu’une baisse de taux en décembre n’était pas garantie…", ajoute-t-il.
"Comme nous, une majorité des membres de la Fed était pour une pause dans les baisses de taux en décembre d’après les minutes de la réunion d’octobre de la Fed. Mais la décision reste incertaine", souligne de son côté, Xavier Chapard, stratégiste chez LBPAM.
"Les marchés intègrent désormais un peu moins de 40% de chance de baisse de taux (en décembre, NDLR), contre quasiment 100% de chance il y a un mois. Cela nous parait plus raisonnable et réduit les risques de surprise de la Fed qui pèserait de nouveau sur les marchés", poursuit-il.
Malgré ces trois inquiétudes majeures, la panique n'est pas de mise. "En l’état, nous pensons toujours qu’il s’agit d’une respiration plutôt saine après les fortes performances de septembre/octobre plutôt qu’un changement de tendance. En effet, si les incertitudes restent élevées, la toile de fond macroéconomique est toujours plutôt favorable", constate Xavier Chapard.
Marke Haefele, directeur des investissements chez UBS Wealth Management, se montre lui confiant sur la thématique de l'intelligence artificielle. "L’IA demeure un moteur essentiel des marchés actions. Nous prévoyons que la hausse des 'capex' et l’accélération de son adoption soutiendront la progression des actions liées à l’IA au cours de l’année à venir", estime-t-il.
