(BFM Bourse) - Le secteur a subi lundi et mardi en Europe et aux États-Unis un mouvement de correction assez violent. Les investisseurs redoutent que les prouesses de l'intelligence artificielle permettent de développer des suites logicielles plus rapidement et à moindres coûts.
Depuis l'essor de la thématique de l'intelligence artificielle (IA) en Bourse, début 2023, les investisseurs se sont presque autant (sinon davantage) efforcés de trouver les perdants que les gagnants de cette révolution technologique.
Les spécialistes de la relation client externalisée ont rapidement été identifiés comme de potentielles victimes. L'action Teleperformance (renommé depuis mars 'TP') s'est ainsi régulièrement retrouvée sous pression.
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Notamment lorsque la Fintech Klarna avait dévoilé, début 2024, un assistant d'IA qui aurait été capable d'effectuer la charge de travail de 700 équivalents temps plein avec une satisfaction client similaire. Il s'avèrera que ces prouesses étaient exagérées et Klarna reconnaîtra, un an plus tard, que ses agents en chair et en os étaient nécessaires pour pallier les erreurs de l'IA en question et contenter ses clients.
Plus récemment, les investisseurs ont commencé à redouter que le boom de l'IA bouleverse le modèle des agences publicitaires. Arthur Sadoun, le PDG de Publicis, a d'ailleurs lui-même déclaré aux analystes, mi-juillet, que son secteur faisait face "à des disruptions (des perturbations, NDLR)" liées à l'accélération de l'IA, ajoutant que "l'IA menace de banaliser les marques". "Les risques liés à l'IA semblent freiner les investissements dans le secteur des agences en général, et chez Publicis en particulier", remarque de son côté UBS, dans une récente note.
Les éditeurs de logiciels sont-ils les prochains sur la liste? Le marché a en tout cas fait preuve de nervosité ces derniers jours.
"L'IA est en train de dévorer les logiciels"
Lundi, plusieurs actions du secteur ont souffert à Wall Street. Adobe a reculé de plus de 2%, Salesforce de 3,3%, Workday de 3,8%. Surtout Monday.com, une application web et mobile de gestion de projet, s'est effondrée de 29,8% après avoir livré des perspectives jugées décevantes.
Le mouvement s'est propagé à l'Europe mardi. Dassault Systèmes, groupe du CAC 40 spécialisé dans les logiciels de gestion de cycle de vie des produits, a relativement bien résisté. Mais l'action a tout de même reculé de 2,4%, accusant le deuxième plus fort repli du CAC 40.
SAP, le champion allemand des logiciels professionnels et accessoirement première capitalisation européenne (290 milliards d'euros), a davantage souffert, avec un plongeon de 6,96%. Sage, une société de logiciel de comptabilité cotée à Londres, a perdu 4,7%, tandis que Nemetschek, un groupe allemand comparable à Dassault Systèmes, s'est effondré de 11,1% à Francfort.
Difficile de trouver un déclencheur isolé à cette mini-panique boursière sur le secteur du logiciel. Toutefois, une note de Melius Research consacrée à Adobe et citée par plusieurs médias dont Yahoo! Finance, a fait grand bruit.
Le bureau d'études a estimé que le basculement de l'activité vers l'IA était en train de déclencher "un début de contraction des multiples boursiers" pour les sociétés spécialisées dans le SaaS, le "software as-a-service", c'est-à-dire les entreprises qui commercialisent des suites logicielles en ligne.
"Le monde prend conscience du fait que 'l'IA est en train de dévorer les logiciels'", a même écrit Melius Research. Le bureau d'études a estimé que "presque tout le monde [...] peut créer une application si performante qu'elle peut rapidement et efficacement concurrencer les autres" grâce à l'IA, ce qui sape les avantages des modèles basés sur l'abonnement.
Les logiciels, la "nouvelle fast-fashion"?
"Les valorisations des logiciels restent sous pression en raison du discours sur la 'mort des logiciels due à l'IA', qui devrait entraîner une volatilité continue à court terme", ont de leur côté écrit mardi les analystes de RBC Capital Markets, dans une note citée par Bloomberg.
Dans une note publiée mercredi, UBS relève que "la plupart" de ses clients aux États "s'inquiètent désormais que les logiciels soient disruptés (moins d'emplois de cols blancs avec l'IA et donc moins de licences et d'abonnements) avec la menace que représente le SaaS développé en interne".
De quoi mettre sur leurs gardes les investisseurs. D'autant que les enfants prodiges de l'IA ont les dents longues. OpenAI tout du moins. Son directeur général, Sam Altman, a écrit début août que le SaaS entrait "bientôt dans l'ère de la fast fashion" car l'IA permettra de produire plus vite et à moindre coût des applications.
Lors de la présentation du nouveau modèle d'IA d'OpenAI, GPT-5, la semaine dernière, Sam Altman en a remis une couche. Selon UBS, le dirigeant a déclaré que "cette idée de logiciel à la demande ser(ait) un élément déterminant de l'ère GPT-5".
Reste à savoir si, comme cela lui arrive parfois, le marché n'a pas fait preuve d'exagération.
Citée par CNBC, Morgan Stanley est passée à l'achat mardi sur Monday.com, jugeant les craintes liées à l'IA "surfaites". Un constat partagé par Brent Thill, de Jefferies qui a considéré, dans une interview à CNBC, que les inquiétudes du marché étaient "exagérées". "Les investisseurs ne s'intéressent pas à un groupe mais à un angle d'attaque", a-t-il ajouté, estimant que le marché montre "une incompréhension dans la manière dont les logiciels sont construits et maintenus".