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Comment la maison-mère de Tinder et Hinge espère reconquérir le cœur de Wall Street

samedi 15 février 2025 à 07h00
Comment rallumer la flamme de la croissance chez Tinder

(BFM Bourse) - Match Group a perdu plus de 80% de sa valeur en Bourse en trois années et demi, pénalisé par une décroissance de ses utilisateurs payants et par un certain manque d'innovation. Le spécialiste des applications de rencontre mise sur l'intelligence artificielle et de nouvelles fonctionnalités pour séduire de nouveau les femmes et dynamiser sa croissance. Faute de quoi une sortie de la Bourse sera probablement privilégiée par les investisseurs activistes à son capital.

Peut-être avez-vous profité de la Saint-Valentin, vendredi soir, pour passer la soirée avec votre partenaire? Dans tous les cas, nous espérons que votre vie sentimentale se porte bien mieux que la relation entre Match Group et Wall Street. La maison-mère des applications de rencontres Tinder, Hinge et OKCupid a, certes, autrefois connu une idylle avec les investisseurs.

À son zénith boursier, fin 2021, la société affichait une capitalisation boursière (la valeur de la totalité de ses actions en Bourse) de près de 50 milliards de dollars, largement supérieure à celle de nombreux groupes du CAC 40. En un peu plus de trois ans, la romance a quelque peu tourné au vinaigre.

Match Group a vu son cours être divisé par près de six et sa capitalisation boursière est tombée à seulement 8,5 milliards de dollars. Introduit en Bourse début 2021, le grand rival Bumble (une autre application de rencontres) a connu une trajectoire similaire, avec une capitalisation passée de 11 milliards à 1,3 milliard de dollars en trois ans et demi.

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Une base d'utilisateurs payants qui fond

Comme d'autres sociétés, (Snap Inc, la maison mère de Snapchat, ou Pinterest), Match avait vu son activité et sa valorisation boursière être catapultée durant la pandémie. La fin de la crise sanitaire et le retour à des interactions sociales plus traditionnelles et surtout moins virtuelles ont mis à mal le groupe en Bourse.

Les analystes ont aussi pointé un certain manque d'innovation majeure chez Tinder, rapporte le Wall Street Journal.

Match Group n'a pas non plus échappé à deux phénomènes récents. Premièrement, la forte inflation qui s'est observée dans de nombreux pays, ces dernières années, a conduit les ménages à mettre la pédale douce sur les dépenses discrétionnaires, comme des abonnements payants à des applications de rencontres.

Deuxièmement, ces mêmes applications n'ont plus forcément autant la cote qu'auparavant, notamment auprès d'une catégorie stratégique pour leurs succès: les femmes. Comme le soulignait le Financial Times l'an passé, les femmes sont souvent minoritaires sur les plateformes de rencontres (le quotidien britannique évoque sur la base des chiffres d'Ofcom un ratio 39%-61% sur Tinder et 41%-59% sur Bumble) et se retrouvent sursollicitées. Pour ne pas dire parfois agressées.

"Essayer d'attirer les jeunes femmes est le plus grand défi pour les applications de rencontres", a déclaré au Financial Times Rebecca McGrath, directrice associée pour les médias et la technologie chez Mintel. "L'important déséquilibre entre les sexes signifie qu'il est plus difficile pour les hommes de trouver des partenaires et, par conséquent, les femmes sont souvent bombardées, ce qui rend l'expérience encore plus difficile pour tout le monde", ajoutait-elle.

In fine, la base d'utilisateurs payants de Match Group s'érode de plus en plus. L'an passé le chiffre d'affaires a, certes progressé de 3%. Mais cette progression peut s'expliquer par des hausses de tarifs. Le nombre d'utilisateurs payants a, lui, reculé de 5% (avec une baisse de 7% pour Tinder), à 14,9 millions, après avoir déjà diminué de 5% en 2023 et de 1% en 2022.

Les investisseurs activistes flairent le bon coup

Les difficultés opérationnelles de Match ont récemment attiré des investisseurs dits activistes. Ces investisseurs ont tendance à cibler les entreprises qui présentent certains problèmes (gouvernance, stratégie, exécution etc…). Le Wall Street Journal avait révélé en janvier 2024 , qu'Elliott Capital, connu pour avoir croisé le fer avec l'Argentine notamment, avait pris une position représentant 1 milliard de dollars. Anson Fund Management a suivi en mars, selon Bloomberg. Puis à l'été dernier ce fut le tour de Starboard Value.

La semaine dernière, le directeur général de Match Group, Bernard Kim, a démissionné, remplacé par Spencer Rascoff , cofondateur et ex-directeur général de Zillow, une sorte de version américaine de leboncoin.fr. Invité de BFM Business la semaine dernière, Charles Monot, le président de Monocle Asset Management, y a vu une décision forte de la part des fonds activistes. "Ils avaient déjà dit deux-trois fois que si les résultats ne bougent pas ils allaient agir. Ils ont agi en changeant le CEO (le directeur général, NDLR) et en nommant un homme à eux", a-t-il expliqué.

Si Match Group connaît donc des difficultés et des remous, l'entreprise n'est pas dénuée d'atouts pour autant. Par essence, les investisseurs activistes ne prennent pas d'initiatives dans des dossiers sans potentiel.

"Avec un peu de recul, Match remplit de nombreuses conditions pour les investisseurs: c'est un leader du marché dans une catégorie qui, jusqu'à récemment, ne semblait pas être proche d'une pénétration numérique complète, il affiche des marges très attrayantes, est peu capitalistique et, par conséquent, l'entreprise produit une conversion des résultats en flux de trésorerie élevée et a une capacité significative à retourner du cash aux actionnaires", énumérait Deutsche Bank en juillet dernier. "Pour ne rien gâcher, Match possède également l'application de rencontres grand public à la croissance la plus rapide, Hinge", ajoutait l'établissement allemand.

Starboard Value ne dit d'ailleurs pas autre chose. Dans une lettre adressée au conseil d'administration de Match , l'investisseur activiste évoquait en juillet "une société en croissance, de grande qualité qui est profondément sous-évaluée".

Le fonds jugeait qu'une grande partie des problèmes de Tinder était liée à un manque d'"innovation produit". Il déplorait toutefois que les marges de la société se soient affaissées malgré la croissance des revenus et jugeait que l'entreprise devait être en mesure de parvenir à une marge opérationnelle ajustée de plus de 40% (contre 36% en 2024).

Starboard soulignait au passage combien la société évolue à des cours déprimés, avec une capitalisation boursière qui représente moins de 10 fois le flux de trésorerie généré en 2024 (882 millions de dollars). C'est près de moitié moins que la médiane d'un panier de groupes de "tech" comparables, remarquait le fonds.

L'IA pour relancer la flamme

Mais une faible valorisation sans catalyseur ne suffit pas. Match Group se doit donc de redresser l'opérationnel, comme le souhaitent les fonds activistes. La société a, dans cette optique, tenu en décembre dernier son premier "investor day" (journée dédiée aux investisseurs) depuis son introduction en Bourse. Ce qui lui a permis d'exposer sa stratégie de reconquête.

L'entreprise compte améliorer vivement l'expérience utilisateur et entend miser – sans surprise – sur l'intelligence artificielle (IA). Match a notamment mis en lumière un outil (intégré dans Hinge) appelé "AI Photo finder", une fonctionnalité qui aide l'utilisateur à déterminer quelle photo de profil est la plus susceptible de faire mouche sur ses applications. L'IA doit aussi permettre de mieux appréhender les profils d'utilisateurs de sorte à augmenter le taux de "matchs de qualité".

Faye Iosotaluno, la directrice générale de Tinder, a plus particulièrement présenté à cette occasion un plan "pour rallumer la flamme" de la croissance de l'application phare de la société. Parmi les initiatives exposées, Tinder teste un nouveau "livenesse check" biométrique qui vise à lutter contre les faux comptes et les fausses informations. Et donc améliorer la sécurité. Faye Iosotaluno a expliqué que la phase initiale de test avait produit des résultats prometteurs. Dans le même but, le groupe teste l'obligation de soumettre sur l'application des photos de visage pour s'identifier.

"Double date" et "coach" en séduction

La société entend également améliorer "le résultat pour les utilisateurs", en particulier pour les femmes pour qui ce point s'avère "critique", a expliqué Faye Iosotaluno. L'intelligence artificielle améliorée doit ainsi permettre, d'ici le second semestre 2025, de perfectionner les recommandations aux utilisateurs. La dirigeante a cité l'exemple d'une utilisatrice qui aime les activités d'extérieurs, comme la randonnée. L'IA peut lui suggérer un profil qui, certes, ne mentionne pas la randonnée à proprement parler, mais aime la nature et s'est pris de passion pour le kayak.

Tinder teste aussi une fonctionnalité qui permet d'identifier des comptes avec des amis communs. Selon Faye Iosotaluno, les utilisateurs sont davantage susceptibles d'apprécier un profil suggéré si celui-ci présente des amis en commun, en particulier les femmes (même si cela dépend des pays). Autre initiative pour remettre du "fun" au cœur de son réacteur, et là encore améliorer l'expérience pour les femmes, Tinder compte lancer une fonctionnalité permettant des "double date", avec deux paires d'amis qui ont un rendez-vous commun.

Avec ces initiatives, Tinder entend infléchir la (mauvaise) tendance. La société table sur une légère baisse de ses revenus en 2025, avant une stabilisation en 2026 puis un retour à la croissance en 2027.

Plus dynamique que Tinder, Hinge recourra également à l'IA, notamment pour "l'intelligent matching" ainsi que pour "coacher" les utilisateurs pas très doués dans leurs conversations avec leurs interlocuteurs ou interlocutrices. Des mesures qui doivent aider cette plus jeune application a atteindre 1 milliard de dollars de revenus en 2027, contre 550 millions en 2024.

De façon plus transversale, Match Group entend augmenter sa présence en Asie (hors Chine) qui représente un marché de 260 millions de célibataires pour un taux de numérisation faible (7%).

Vers une sortie de la cote?

In fine, Match vise une croissance de 4% à 6% par an sur la période 2024-2027 et une marge opérationnelle ajustée de 39% en 2027.

Ces promesses seront évidemment scrutées par les investisseurs. "Pour la première fois depuis longtemps, ils ont défini des cibles", a déclaré Marc Regenbaum, gestionnaire de portefeuille chez Neuberger Berman Investment Advisers, cité par le Wall Street Journal. " Maintenant, c'est indéniablement à eux de les réaliser..", a-t-il ajouté.

Faute de redressement opérationnel à moyen terme, les jours en Bourse de Match Group seraient probablement comptés. Les investisseurs activistes pousseraient certainement pour une sortie de la cote. C'est notamment le scénario de Shweta Khajuria, analyste chez Wolfe Research, citée par Bloomberg.

"C'est un business qui peut attirer les fonds de private equity (capital-investissement) car il génère des cash-flow réguliers", explique sur ce point Charles Monot.

Starboard Value ne s'en est d'ailleurs pas caché. "Si les performances ne s'améliorent pas, nous pensons que des changements doivent être envisagés, ce qui devrait inclure un examen approfondi de la question de savoir si la meilleure voie à suivre pour Match serait celle d'une société non cotée en Bourse", écrivait l'investisseur activiste en juillet.

La relation "je t'aime moi non plus" de Match Group avec le marché se terminerait alors par un divorce.

Julien Marion - ©2025 BFM Bourse
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