par Yann Le Guernigou
PARIS (Reuters) - A l'été 2006, Daniel Bouton ne cachait pas sa fierté de voir la Société générale désignée "banque de l'année" par Euromoney.
En distinguant la banque de La Défense, le magazine britannique saluait la stratégie de croissance très rentable de son P-DG, qui a défendu bec et ongles son indépendance face aux convoitises de prétendants plus ou moins discrets.
Dix-huit mois plus tard, alors qu'il vient de fêter ses dix ans à la tête de la Générale, les appels à sa démission se multiplient chez les responsables politiques après le choc des révélations sur les pratiques d'un trader qui, échappant aux contrôles, a provoqué un trou record de 4,9 milliards d'euros dans les comptes de la banque.
Le chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy, a donné le ton en déclarant que, "quand on a une forte rémunération, ce qui était sans doute légitime, et qu'il y a un fort problème, on ne peut s'exonérer de responsabilités".
Auteur d'un rapport remarqué sur la gouvernance des entreprises françaises, Daniel Bouton n'a pas attendu les réactions hostiles du monde politique, avec lequel il garde ses distances.
Il a présenté lui-même sa démission au conseil d'administration de la banque, qui l'a refusée en lui renouvelant sa confiance pour gérer la crise.
Interrogé mardi sur Europe 1, il a assuré que sa démission était "toujours sur la table", ajoutant que le conseil "décidera de l'exercer quand il veut".
Cette issue paraît aujourd'hui probable aux yeux de nombreux observateurs, tant la réputation de la Société générale a été atteinte.
AMATEUR D'OPERA
Car si Daniel Bouton s'est fait fort de souligner que son modèle de développement équilibré, basé sur un portefeuille d'activité diversifié, était toujours valable en dépit de cet "épouvantable accident", c'est le coeur de la banque même qui a été touché.
De fait, l'"excellence" des équipes qu'il mettait en avant en commentant le prix Euromoney, dans un groupe aimant à se présenter comme une banque d'ingénieurs ayant la maîtrise des process dans les gènes, a été battue en brèche par les acrobaties d'un "trader junior".
Jérôme Kerviel a semé le doute sur sa capacité à maîtriser ses risques, une qualité vitale pour tout établissement financier mais encore plus qu'ailleurs à la Société générale, dont la banque d'investissement s'est bâtie une renommée mondiale avec la conception de produits très sophistiqués, les dérivés actions.
Agé de 57 ans, Daniel Bouton est un pur produit de la méritocratie républicaine. Issu d'un milieu modeste, il est sorti de l'ENA à 23 ans, devenant alors le plus jeune inspecteur des finances de France.
Ce grand amateur d'opéra et joueur de golf émérite a dirigé le cabinet d'Alain Juppé lors de son passage au ministère du Budget, de 1986 à 1988.
Trois ans plus tard, il est débauché de l'administration par Marc Viénot, le patron de la Société générale privatisée depuis 1987, et saura s'imposer dans cette banque à la culture d'entreprise très forte pour lui succéder en 1997.
Moins d'un an plus tard, il affronte sa première tempête, la crise asiatique, qui l'amènera à repenser radicalement la stratégie de l'établissement.
RELAIS DE CROISSANCE
Il met en route ainsi un projet de rapprochement avec Paribas, s'attirant les foudres de la BNP qui se sent trahie, ayant discuté peu de temps auparavant de la possibilité de fusionner avec sa vieille rivale.
La banque présidée par Michel Pébereau contre attaque en lançant une double offre hostile sur les fiancés et déclenche ainsi une bagarre qui divisera la place de Paris.
Au bout de six mois, BNP met la main sur Paribas mais échoue sur la Société générale. Il se dit alors que Daniel Bouton a menacé de se jeter dans les bras d'un étranger si le gouverneur de la Banque de France, Jean-Claude Trichet, autorisait la BNP à rester à son capital (elle s'était assurée 37,5% du capital de la Générale, mais seulement 31,8% des droits de vote, soit moins que la minorité de blocage) à l'issue de son offre.
Blessée dans son orgueil, la Société générale repart sur de nouvelles bases, adoptant une stratégie qui s'avèrera très payante et qui reposera sur le développement des relais de croissance que sont la banque de détail dans les pays émergents, essentiellement en Europe de l'Est, les services financiers spécialisés et la gestion d'actifs.
Les cash flows dégagés par sa banque d'investissement, une des plus rentables en Europe, et les réseaux français servent à financer cette expansion, qui trouve grâce aux yeux du marché.
La valeur du titre Société générale sera ainsi multipliée par 3,8 entre fin août 1999, après l'épilogue de la bataille avec la BNP, et le plus haut de 162 euros touché au printemps 2007.
Cette évolution tient pour l'essentiel au parcours impressionnant réalisé par la banque mais aussi en partie à son caractère spéculatif, les marchés s'interrogeant à intervalles réguliers sur sa capacité à rester à l'écart du mouvement de consolidation du secteur financier en Europe.
Daniel Bouton a toujours défendu la même position sur le sujet, à savoir que la Société générale a les moyens de continuer à se développer seule de façon rentable et qu'une fusion ne s'imposerait que si elle lui permettait de faire mieux encore.
Si elle parvient à redresser la barre après cette perte de trading qui fera date dans l'histoire financière, la banque devra se reposer la question de façon aiguë et ce ne sera pas forcément Daniel Bouton qui apportera la réponse.
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