par Gwénaelle Barzic et Leila Abboud
PARIS (Reuters) - Lagardère tente un coup de poker risqué en prévoyant d'introduire en Bourse ses parts dans Canal+ France, une opération stratégique pour le groupe de médias pressé par ses actionnaires de se défaire de ses participations minoritaires.
Son dirigeant Arnaud Lagardère a annoncé cet été qu'il souhaitait céder ses 20% dans le groupe de télévision payante par le biais d'une introduction en Bourse, faute de s'être entendu sur le prix avec Vivendi qui détient les 80% restants.
L'enjeu est de taille pour le gérant commandité dont la stratégie est critiquée alors que le titre a sousperformé l'indice européen des médias ces trois dernières années.
En faisant le pari d'une IPO, Lagardère espère faire pression sur Vivendi qui souhaite à terme contrôler la totalité de sa filiale. Mais, il n'a pas le droit à l'erreur : valorisée entre 1,0 et 1,25 milliard d'euros, la participation représente environ 20% de la valeur d'entreprise de Lagardère et sa cession est considérée comme l'un des seuls facteurs positifs d'évolution pour le titre, estiment des analystes.
"Pour Lagardère, la monétisation de ses 20% dans Canal+, via une IPO ou via un accord avec Vivendi est déterminante. La vente de Canal+ est l'un des catalystes positifs les plus importants dans les six mois à venir et l'une des principales raisons d'acheter le titre", souligne Julien Roch de Barclays Capital.
MARCHÉ DES IPO TOUJOURS CONVALESCENT
Programmée au printemps, l'opération permettrait à Lagardère d'améliorer sa valeur boursière en réduisant la décote de conglomérat qui pèse sur son cours du fait de ses diverses participations et que les analystes estiment entre 10% et 20%.
Ebranlé au printemps par une campagne de l'actionnaire activiste Guy Wiser-Pratte, le groupe de médias a déjà accéléré son recentrage sur ses actifs stratégiques et engagé fin décembre des négociations exclusives avec l'américain Hearst pour céder sa branche magazine internationale.
Les actionnaires peuvent en outre espérer recueillir une partie du produit de l'IPO sous la forme d'un rachat d'actions ou d'un dividende exceptionnel, estimé entre 3 et 7 euros par titre par des analystes dans le cas où les deux opérations - l'IPO et la vente des magazines internationaux - se feraient.
Mais le projet n'est pas sans risque comme l'a montré l'échec récent de la tentative d'entrée en Bourse de Lucien Barrière faute d'intérêt des investisseurs.
Même si le marché européen des IPO a connu un léger rebond au dernier trimestre 2010, les investisseurs restent particulièrement regardants sur le prix et sur le potentiel de croissance, selon des sources bancaires.
Il n'est pas garanti que le marché offre un prix supérieur à celui que pourrait accepter Vivendi, l'acheteur naturel, et Lagardère sera vraisemblablement obligé de concéder une décote - entre 10% et 15% - pour espérer séduire les investisseurs.
"Ce n'est pas toujours une très bonne idée d'introduire en Bourse quelque chose pour donner uniquement une porte de sortie à un actionnaire", souligne Thibaut De Smedt, banquier à Bryan Garnier.
Pour Vivendi, qui a dit ne pas être hostile à l'IPO des 20% de sa filiale, le scénario n'est pas optimal car il pourrait devoir s'acquitter d'une prime afin de racheter les actions Canal+ sur le marché. A l'inverse, une valorisation trop basse ne serait pas non plus dans son intérêt.
ACCORD DE DERNIÈRE MINUTE ?
L'introduction en Bourse, si elle se concrétise, entraînerait par ailleurs un certain nombre d'obligations nouvelles en termes de publication de résultats notamment.
Dans ce contexte, il n'est pas impossible que les deux groupes trouvent un compromis de dernière minute.
"Les deux finalement n'ont pas grand intérêt à ce que l'IPO se fasse. Aucun ne souhaite vraiment qu'elle ait lieu", souligne un analyste qui a requis l'anonymat.
Les préparatifs avancent cependant et le directeur financier de Lagardère Dominique D'Hinnin a confirmé en novembre que l'opération devrait se faire en avril.
De l'avis de plusieurs observateurs, il s'agit avant tout d'un problème de calendrier plus que de prix puisque que les deux partenaires ont eu amplement le temps de négocier et connaissent avec précision la valeur de l'actif.
"Lagardère veut vendre, Vivendi est potentiellement intéressé mais il veut d'abord éventuellement faire SFR. C'est autant un problème de calendrier et de priorité qu'un problème de volonté", explique un analyste basé à Paris, en faisant référence au projet de Vivendi de racheter les minoritaires de l'opérateur mobile, dont le groupe a fait sa priorité.
Lagardère valorise dans ses comptes ses 20% dans Canal+ à 1,5 milliard d'euros en se basant sur la valeur des options de vente exercées par TF1 et M6 en 2009 et 2010. Les analystes doutent toutefois que le groupe, qui ne dispose pas d'option de vente, puisse atteindre une telle valorisation.
L'entité Canal+ France ne regroupe qu'une partie des actifs du groupe Canal et ne distribue pas de dividende mais elle génère un flux stable de trésorerie grâce à ses onze millions d'abonnements.
Son plus proche équivalent parmi les sociétés cotées est le groupe britannique de télévision par satellite BSkyB dont News Corp souhaite racheter les 61% qu'il ne détient pas déjà pour 7,8 milliards de livres (9 milliards d'euros). L'offre a été jugée insuffisante.
Avec Kylie MacLellan, édité par Jean-Michel Bélot
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