(BFM Bourse) - Patronne de la Fed de 2014 à 2018, la "colombe" Janet Yellen va devenir la première femme à occuper le poste de secrétaire au Trésor américain, en succession de Steven Mnuchin. Et les marchés voient cette nomination d'un très bon œil. Explications.
Dans une Amérique que les observateurs dépeignent comme divisée en deux camps irréconciliables, Janet Yellen apparaît comme le trait d'union idéal à même de faciliter les discussions sur le futur plan de relance au Congrès. Elle réussit en effet la prouesse de bénéficier du soutien de l'aile gauche du parti démocrate et d'être appréciée par les républicains. Première femme à avoir présidé la très puissante Banque centrale américaine, la Fed, l'économiste devrait désormais devenir la première femme secrétaire au Trésor des Etats-Unis en plus de deux siècles, selon les informations recueillies par l'AFP auprès d'une source proche de l'équipe du président-élu Joe Biden.
Si sa nomination est confirmée par le Sénat, ce qui ne fait guère de doute, elle succèderait à Steven Mnuchin, nommé par Donald Trump en 2017. Ce dernier a d'ailleurs -enfin- concédé à demi-mots sa défaite, en recommandant à l'agence gouvernementale chargée du transfert du pouvoir de faire "ce qui est nécessaire concernant les protocoles". L'équipe de Joe Biden a aussitôt pris note d'une étape permettant "un transfert du pouvoir pacifique et sans accroc, et la future nomination de Janet Yellen a fuité dans la foulée. Celle-ci a provoqué un sursaut de Wall Street, permettant au Dow et au S&P d'enregistrer respectivement des gains de 1,1% et 0,6%.
Une "amie des marchés"
C'est que l'ancienne patronne de la Fed est réputée pour être une "colombe (du nom des adeptes d'une politique monétaire accommodante, par opposition aux "faucons" préoccupés par l'inflation et partisans d'une orthodoxie monétaire, NDLR) très favorable à la Fed" selon les termes de Kyle Rodda, analyste chez le courtier IG. Ce qui explique pourquoi sa nomination aux commandes de la politique budgétaire reçoit un accueil princier de la part des Bourses mondiales.Son "track-record" à la tête de la Fed plaide également en sa faveur. "Elle a supervisé la hausse des taux d'intérêt dans la période qui a suivi la crise financière et cette politique a été menée de manière mesurée et bien signalée", estime David Madden, analyste chez CMC Markets. Sous sa présidence, la Fed a en effet procédé à sa première hausse de taux en 10 ans, en décembre 2015, avant que deux autres ne suivent en décembre 2016 puis juin 2017 sans déclencher la panique annoncée par certains sur les marchés.
Autre réussite à mettre au crédit de Janet Yellen: la Fed était parvenue, fin 2014, à mettre un terme à ses achats de titres initiés sous la présidence de Ben Bernanke (2006-2014). Pour faire face à la crise économique et financière, ce dernier avait lancé les trois grands premiers programmes dits de "Quantitative Easing" (rachats alors limités aux crédits hypothécaires et aux emprunts du Trésor), faisant bondir le bilan de la Fed de 800 à 4.000 milliards de dollars. Celui-ci a ensuite atteint un point haut à 4.500 milliards avant d'entamer une lente décrue à partir de fin 2017.
Selon la presse américaine, qui cite des proches de Joe Biden, elle est aussi considérée "comme une autorité crédible sur les dangers du retrait prématuré des mesures de relance du gouvernement". Pour rappel, Janet Yellen avait reçu quelques critiques pour la relative lenteur dont elle avait fait preuve pour normaliser la politique monétaire, offrant ainsi un soutien sans faille aux marchés qui signait le plus long "bull run" de leur histoire avec plus de 3.500 jours de hausse sans connaître de krach majeur. L'économiste est aussi vue comme quelqu'un susceptible de collaborer étroitement avec la Fed et les agences de l'exécutif pour obtenir plus de soutien si le Congrès hésite à agir.
Elle a en outre l'avantage de bien connaître l'actuel patron de l'institution Jerome Powell, qui fut son second lorsqu'elle pilotait le Comité monétaire.
Titulaire d'un doctorat en économie de l'université de Yale -sous la supervision des deux prix Nobel, excusez du peu, James Tobin (pro-keynésien) et Joseph Stiglitz (néo-keynésien) récompensé pour ses travaux réalisés avec le mari de Janet Yellen, Georgle Akerlof, la future secrétaire au Trésor jouit d'une expérience rare puisqu'elle a également été conseillère de Bill Clinton à la Maison Blanche (1997-1999), présidente de la Fed de San Francisco (2004-2010) puis vice-présidente de l'institution (2010-2014).
Faciliter la coordination entre l'exécutif et la banque centrale.
Aguerrie aux lendemains de crise, Janet Yellen devra néanmoins faire face à des vents contraires plus importants à sa prise de fonction, alors que l'essentiel de la crise économique et financière était déjà dans le rétroviseur en 2010. Elle pourra toutefois compter sur le soutien des deux camps politiques, à juger les réactions enthousiastes à sa probable nomination. L'ancienne candidate à la présidentielle Elizabeth Warren, porte-étendard de l'aile gauche du parti démocrate, a estimé qu'elle serait "un choix exceptionnel". "Elle est intelligente, ferme et a des principes", a-t-elle commenté sur Twitter. De l'autre côté de l'échiquier, l'ancien conseiller économique de Donald Trump Gary Cohn a déclaré n'avoir "aucun doute sur la capacité de Janet Yellen à assurer la stabilité dont nous avons besoin pour promouvoir une économie au service de tous, particulièrement en ces temps difficiles".Comme nombre d'économistes, elle s'est récemment déclarée en faveur d'un nouveau soutien budgétaire, condition sine qua non pour lutter contre le chômage et maintenir les petites entreprises. Janet Yellen qualifie d'ailleurs régulièrement le creusement des inégalités de menace pour les valeurs et l'avenir des Etats-Unis.
Pour toutes ces raisons, le président de Meeschaert Financial Services Gregori Volokhine souligne que Janet Yellen est considérée comme "une amie des marchés". "Elle semble consciente des limites de la politique monétaire et donne la priorité à la collaboration avec l'administration en matière de dépenses budgétaires", explique également Naka Matsuzawa, stratège Macro de Nomura.
Après trois semaines de blocage de la transition et les tensions de la semaine dernière entre le Trésor et la Fed sur le soutien à l'économie et alors que Steven Mnuchin appelle un plan de relance de ses voeux depuis de longs mois, la nomination de Janet Yellen pourrait faciliter l'obtention d'un compromis entre les deux camps.
Enfin, comme le rappelle à juste titre le responsable de la recherche marchés chez IG Alexandre Baradez, Janet Yellen avait évoqué dès 2016 que la Fed pourrait acheter des actions et des obligations corporate en cas de nouveau retournement économique, précisant à l'époque que ce n'était pas un besoin immédiat. Un outil que l'expert qualifie d'"arme absolue contre le mal". La Fed a déjà fait un pas dans cette direction en lançant ses premiers programmes d'achat d'ETF obligataires en avril dernier.