(BFM Bourse) - Les entreprises ont eu tendance, ces dernières années, à multiplier les rachats de leurs propres titres. Cette forme de retour à l'actionnaire crée mécaniquement une amélioration du bénéfice par action. Mais porte-t-elle vraiment les cours pour autant?
C'est une forme de retour à l'actionnaire qui a le vent en poupe ces dernières années: les rachats d'actions.
Cette pratique consiste tout simplement pour une société à racheter un certain montant de ses titres sur les marchés. Si elle les annule par la suite, mécaniquement, et toute chose également par ailleurs, le bénéfice par action augmente. C'est ce que l'on appelle une relution en Bourse.
Ce type de distribution monte en puissance. Jeudi soir encore, Alphabet a annoncé avoir autorisé un nouveau programme de rachats d'actions allant jusqu'à 70 milliards de dollars, et ce malgré les incertitudes économiques actuelles.
L'an passé, Goldman Sachs estimait que les rachats d'actions atteindraient 925 milliards de dollars aux États-Unis pour 2024, après 815 milliards en 2023. La banque américaine projetait, par ailleurs, que le montant dépasserait la barre des 1.000 milliards de dollars en 2025 (1.075 milliards).
Sur le CAC 40, on a toutefois observé une légère respiration l'année dernière. Les pensionnaires de l'indice parisien ont racheté pour 25,5 milliards de dollars de leurs propres titres en 2024 contre 30,1 milliards d'euros en 2023, selon des données compilées par les auteurs de la lettre Vernimmen. Ce qui constituait tout de même la deuxième "meilleure" année sur la période de cette étude, c'est-à-dire de 2003 à 2024.
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Absence de récurrence
Plusieurs raisons peuvent conduire les entreprises à opter pour des rachats d'actions plutôt que des dividendes pour retourner du cash à leurs actionnaires. Outre des motifs fiscaux, la principale raison reste que les rachats d'actions n'impliquent aucun engagement implicite de récurrence. Augmenter le dividende et même en verser un suggère, en effet, que la société va à minima maintenir ce dividende (ou ce niveau de dividende) par la suite.
Rappelons que les rachats d'actions, comme les dividendes, ne constituent pas un "cadeau" aux actionnaires. La société ne fait en réalité que redistribuer des liquidités qu'elle possède déjà. Pour autant, McKinsey notait en 2005 que les rachats d'actions étaient souvent bien reçus par le marché car ils envoient un signal de confiance de la part des entreprises. Ou soulignent que le cours est trop bas.
Ces opérations permettent-elles vraiment d'entraîner une hausse des cours de l'action? Ce n'est pas si simple.
"Puisque la valeur de l'entreprise reste la même mais que l'offre d'actions est plus faible, le prix de l'action augmentera. Toutefois, cela dépend du comportement du marché", explique Banco Santander.
Certes, les rachats d'actions impliquent que les bénéfices d'une société sont divisés par un plus petit nombre de titres. Mais, "contrairement à ce que l'on pense généralement, les rachats ne créent pas de valeur en augmentant le bénéfice par action", expliquait en 2001 la revue Harvard Business Review . "Après tout, l'entreprise a dépensé des liquidités pour acheter ces actions, et les investisseurs ajusteront leurs évaluations pour refléter les réductions des liquidités et des actions, annulant ainsi tout effet sur le bénéfice par action", complétait-elle. L'entreprise a ainsi modifié sa structure financière, ce qui normalement ne créé pas de valeur, comme l'ont théorisé les économistes Frederic Modigliani et Merton Miller.
Un "sophisme"
Les auteurs de la lettre Vernimmen écrivaient en juillet que penser que les rachats d'actions font monter les cours constitue un "sophisme", c'est-à-dire un raisonnement en apparence juste et pourtant faux. Les auteurs prenaient pour preuve la performance du "S&P 500 buybacks", un indice qui retient les 100 entreprises du S&P 500 avec les ratios de rachats d'actions les plus élevés au cours de l'année précédente.
Les auteurs notaient que, sur dix ans, le rendement du S&P 500, dividendes réinvestis, dépassait celui du "S&P 500 buybacks" (9% contre 13%). "L’objectif des rachats d’actions n’est pas de faire monter les cours, mais plus simplement de rendre aux marchés financiers qui ont financé l’entreprise y procédant, des capitaux propres devenus excédentaires, au moins transitivement, par rapport à ses besoins", expliquaient-ils alors.
En janvier, dernier, les auteurs de la lettre Vernimmen ont cette fois regardé les 10 entreprises du CAC 40 qui ont racheté le plus de titres sur la période 2012 à 2024, ce rapporté à leur capitalisation. Par exemple, Arcelormittal, Carrefour et Totalenergies ont acquis sur la période respectivement 9,4 milliards d'euros, 2,3 milliards d'euros et 31,1 milliards d'euros d'actions, soit, 50%, 23% et 22% de leurs capitalisations boursières respectives.
Sur ces 10 entreprises, quatre surperforment le CAC 40 sur dix ans mais six le sous-performent. Là encore les auteurs se servent de cet exemple pour illustrer le fait que les rachats d'actions ne font pas monter les cours.
Une question de sociétés ?
Une étude de 2014 de S&P notait toutefois que les sociétés américaines annonçant des rachats d'actions présentaient des surperformances notables lors des séances suivant l'annonce. Une tendance que les auteurs de l'étude n'observaient, cependant pas, pour les sociétés européennes et australiennes.
"En réalité, l'impact des rachats d'actions sur le cours des sociétés dépend, je pense, avant tout de la nature de l'entreprise. Il faut faire la distinction entre les sociétés en croissance, pour qui ces rachats d'actions constituent une vraie stratégie de création de la valeur, et les entreprises parvenues à maturité, pour qui les rachats d'actions constituent plus un complément de retour à l'actionnaire", tranche Frédéric Rozier, gérant chez Mirabaud.
"Dans les cas des grands groupes américains de tech, notamment d'Apple qui a racheté pour plus de 800 milliards de dollars de ses propres titres depuis 2012, ou d'Alphabet, il semble clair que les rachats d'actions ont constitué un soutien net aux cours de Bourse", explique-t-il.
"En Europe, les rachats d'actions ne sont pas souvent effectués par des sociétés en croissance. Elles peuvent être parfois contraintes de les effectuer sous la pression des investisseurs, notamment des investisseurs activistes. On arrive alors à des approches court-termistes, avec potentiellement de la déperdition de valeur sur le cash", poursuit le gérant.
"Dans certains secteurs, comme les banques et les majors pétrolières, il peut aussi y avoir une forme de pression sur les rachats d'actions, car ces secteurs sont recherchés avant tout pour leur taux de retour à l'actionnaire", explique encore Frédéric Rozier
Une chose semble certaine: les rachats d'actions ne constituent en aucun cas une panacée. L'annonce de rachats d'actions concomitante à des résultats mauvais ne portera pas une entreprise en Bourse, car les investisseurs se focaliseront sur les comptes décevants. "Il faut avoir à l'esprit que les rachats d'actions ne se substituent pas aux fondamentaux d'une entreprise", conclut ainsi Frédéric Rozier.