(BFM Bourse) - Bloomberg a rapporté que l'idée de nommer l'actuel secrétaire au Trésor à la Fed fait son chemin chez les conseillers de Donald Trump. L'information n'a pas été confirmée par la Maison Blanche. Une telle nomination fragiliserait un peu plus l'indépendance de la Fed, déjà sérieusement entamée par Donald Trump.
Et si Scott Bessent, le secrétaire au Trésor américain, équivalent du ministre de l'Économie et des Finances, prenait la tête de la Réserve fédérale américaine (Fed)?
L'hypothèse, saugrenue de prime abord, a pris de l'épaisseur mardi soir, après que la très sérieuse agence de presse Bloomberg a rapporté que de nombreux conseillers, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'administration Trump, poussent pour que Bessent soit nommé à la présidence de la banque centrale américaine.
Le mandat de l'actuel président, Jerome Powell, échoit en mai 2026 et il appartient au président des États-Unis, Donald Trump, de désigner son successeur. Le Sénat américain doit toutefois confirmer la personne nommée par le locataire de la Maison Blanche. Donald Trump a déclaré vendredi que sa décision serait "très bientôt" rendue.
D'autres noms circulent pour ce poste, notamment Kevin Warsh, un ancien membre du conseil des gouverneurs de la Fed de 2006 à 2011, explique Bloomberg.
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Un principe mis à mal
Contacté par l'agence, Scott Bessent a déclaré avoir "le meilleur job à Washington", ajoutant que "le président décidera ce qui est le mieux pour l'économie et les citoyens américains". Un haut membre de l'administration Trump, également sondé par Bloomberg, a contesté les informations de l'agence de presse mais sans donner davantage de détails. Selon une note rédigée par Deutsche Bank, la maison Blanche a démenti que Bessent était un candidat pour la Fed.
Rappelons toutefois que l'administration Trump avait acté, en avril, une "pause" sur les surtaxes douanières quelques jours après avoir vigoureusement démenti envisager une telle option. Autrement dit, les démentis du gouvernement américain sont parfois à prendre avec précaution.
Le simple fait que Bessent soit évoqué pour présider la Réserve fédérale risque d'entailler un principal fondamental de l'économie: l'indépendance de la banque centrale.
Par essence, Scott Bessent est proche de Donald Trump. Or la politique budgétaire, apanage de l'exécutif et des parlementaires, et la politique monétaire, aux mains d'une banque centrale, ne sont pas censés être pilotées par les mêmes personnes.
"Scott Bessent est considéré comme une 'colombe monétaire' ("un dirigeant favorable aux baisses de taux, NDLR) à l'image de Donald Trump, et les marchés n'ont pas d'appétit pour les lignes floues entre la politique budgétaire et la politique monétaire", prévient Stephen Innes de Spi AM. "L'indépendance de la Fed reste un terrain sacré", ajoute-t-il.
Une indépendance vitale pour lutter contre l'inflation
Janet Yellen a, certes, elle aussi occupé les postes de président de la Fed et de Secrétaire au Trésor (sous Joe Biden). Mais elle avait effectué le trajet inverse, arrivant à Washington en 2021 après avoir été présidente de la banque centrale américaine de 2014 à 2018.
"La personne que le Sénat confirmera à ce poste devra prouver au monde entier que l'indépendance de la Fed à l'égard des ingérences politiques reste intacte", prévient Bloomberg.
Rappelons que le but d'une banque centrale est premièrement de préserver la stabilité de la monnaie tout en veillant, certes, à la bonne tenue de l'économie. Le mandat de la Banque centrale européenne (BCE) implique que l'institution vise une inflation proche de 2%. La Fed compte aussi comme objectif premier la stabilité des prix mais elle a, en sus, une deuxième cible, à savoir le plein emploi.
"L’indépendance de la banque centrale vise à éviter" les "interférences de nature à dévier du mandat (ou dans le cas de la Fed, du double mandat)", rappelait Oddo BHF en 2024. "L’évidence empirique sur une multitude de pays montre qu’une banque centrale indépendante maîtrise mieux l’inflation qu’une banque centrale sous domination fiscale tenue d’aider au financement des déficits budgétaires", ajoute le courtier.
"L’indépendance de la banque centrale est communément admise comme un pilier des économies modernes", rappelait encore Oddo BHF, sauf "dans le cercle autour de Trump".
Donald Trump n'a, en effet, eu de cesse briser la règle tacite de ses prédécesseurs qui veut que le président américain ne commente pas les décisions de la Fed, au moins officiellement.
"Malversations monétaires"
Le milliardaire n'a donc cure de ce type de bonnes pratiques. Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump a enjoint à de multiples reprises le président de la Fed, Jerome Powell, à baisser les taux directeurs, ce à quoi la Fed se refuse.
Le président américain a frôlé la limite de l'injure vis-à-vis de Jerome Powell, l'appelant "monsieur trop tard". Il a surtout menacé à demi-mot de le limoger avant de se rétracter. La semaine dernière, Donald Trump a encore affirmé ce mercredi 11 juin que la Fed devait baisser "massivement" ses taux.
Le vice-président JD Vance a rejoint ce mercredi le président dans ses critiques envers le patron de la Fed. "Le président le dit depuis un certain temps, mais c’est encore plus clair : le refus de la Fed de baisser les taux est une "malversation" monétaire", a-t-il partagé sur X en commentant le ralentissement de l'inflation américaine.
Dans un éditorial, L'Agefi cite un essai de Stephen Miran, un économiste réputé avoir l'oreille de Trump. Ce texte recommande une coopération renforcée entre le Trésor et la Fed qui "ressemble fort à une mise sous tutelle", explique le média financier. "Ce ne serait pas une bonne nouvelle pour le système financier mondial. La Réserve fédérale sert de prêteur en dernier ressort dans un monde dollarisé", écrivait L'Agefi.
Cette immixtion dans les affaires de la Fed et les menaces de Trump à l'égard de Powell n'ont guère plu au marché.
Barclays note que l'éviction du président de la Fed a été perçu comme un "risque extrêmement dangereux" par les investisseurs.
"Bien qu'il soit peu probable que Jerome Powell soit démis de ses fonctions avant la fin de son mandat, en mai 2026, le simple fait de discuter de l'indépendance de la Fed a ajouté une nouvelle couche d'incertitude. Cette situation, combinée aux tensions commerciales persistantes, a augmenté les risques extrêmes pour les investisseurs et a accentué la pression sur le dollar", a écrit UBS dans une récente note.
À noter que si Trump critique ouvertement la Fed, des anecdotes historiques suggèrent que les précédents présidents américains agissaient davantage en catimini.
L’histoire des relations entre la Maison Blanche et la Réserve fédérale fourmille d’anecdotes, pas toujours vérifiables, sur les tensions ayant existé entre ces deux lieux de pouvoir. Lyndon Johnson aurait, dit-on, un jour collé au mur le président de la Fed en lui intimant d’arrêter de durcir la politique monétaire pendant que "mes gars se font tuer au Vietnam".
Les Nixon Tapes révèlent une pression sur la Fed au début des années 1970", expliquait Oddo BHF en 2024. "Dans ses mémoires, Paul Volcker raconte que le directeur de cabinet de Ronald Reagan lui avait demandé de ne pas monter les taux avant la campagne de 1984 (ce n’était pas d’actualité)", ajoutait le courtier.