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Marché : La revanche des "pays du Club Med" sur le marché de la dette

lundi 9 juin 2025 à 12h15
Le Sud de l'Europe prend sa revanche

(BFM Bourse) - L'Espagne, l'Italie, la Grèce et le Portugal ont, récemment, vu leurs taux obligataires se détendre dans un marché qui, en parallèle, se montre bien plus prudent à l'égard de grands pays comme les États-Unis, Japon ou le Royaume-Uni. Ces pays bénéficient de perspectives de croissance plus robustes et/ou de déficit maîtrisés.

Il y a peine 10 ans, le mot "Grexit" (une sortie de la Grèce de la zone euro en raison de finances publiques à l'agonie) était presque passé dans le langage courant. Au-delà du pays hellénique, les investisseurs scrutaient avec vigilance les États du Sud de l'Europe, dont les taux obligataires s'étaient envolés quelques années auparavant, à l'acmé de la crise de la dette souveraine de la zone euro.

Pour calmer les marchés, le président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, avait dû lâcher son fameux "whatever it takes", signifiant que la banque centrale européenne ferait l'absolu nécessaire pour préserver l'euro. Ces pays méditerranéen étaient alors parfois désignés, notamment dans la presse anglo-saxonne, comme les membres du "Club Med".

Une dizaine d'années plus tard, un virage à 180 degrés s'est opéré du côté des investisseurs, notamment sur le marché obligataire.

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À rebours du Japon et des États-Unis

Le marché obligataire évolue actuellement sous tension. De grands pays à l'aura autrefois plus enviable que celle des membres du "Club Med" ont vu leur réputation être écornée auprès des investisseurs.

Un simple coup d'œil à l'évolution des rendements obligataires le montre. Selon les données de Bloomberg, le taux du titre de dette à 10 ans des États-Unis se tend de 10 points de base (0,1 point de pourcentage) sur un mois et de 4 points de base sur un an. Pour le Royaume-Uni, les taux ont progressé de respectivement 4 et 34 points de base. Du côté du Japon, cela passe à 9 points de base sur un mois et 49 points de base sur un an.

Les investisseurs ont plusieurs motifs de crispation à l'égard de ces pays. Les États-Unis souffrent des incertitudes causées par la politique économique de Donald Trump, tant sur les droits de douane que sur son projet de loi budgétaire qui risque de fragiliser un peu plus les finances publiques. Ces éléments ont créé une certaine défiance du marché vis-à-vis des actifs américains, comme les obligations. "Les déficits jumeaux (déficit budgétaire et déficit commercial, NDLR) des États-Unis sont désormais plus difficiles à financer et le régime du marché a changé", notait la semaine dernière Deutsche Bank.

Le Japon, lui, peine à trouver des investisseurs institutionnels pour prendre le relais de la Banque du Japon dans le financement de ses émissions de dette. La banque centrale du pays nippon a commencé à réduire ses achats d'obligations alors qu'elle portait presque à elle seule le marché obligataire japonais ces dernières années. Fin mai, une adjudication (une sorte de mise aux enchères) d'obligations japonaises à 40 ans a enregistré la plus faible demande en 10 ans.

Stephen Innes, de Spi AM, évoque une "sirène d'alarme". "Si la Banque du Japon pensait pouvoir s'engager sur la voie de la normalisation tout en détenant 52% du marché obligataire, elle vient d'être confrontée à la réalité", explique-t-il. "Et alors que le Japon avait besoin de crédibilité fiscale, celle-ci est introuvable. Les élections à la Chambre haute approchent et les partis politiques jouent au bingo des réductions d'impôts", assène encore le spécialiste.

Selon Reuters, Tokyo réfléchirait à racheter certaines de ses propres obligations pour apaiser le marché.

Le Royaume-Uni, lui, pâtit d'une lente dégradation de ses finances publiques. "Les États souverains dont l'équilibre budgétaire est médiocre ont été confrontés à une 'grève des acheteurs' (sur le marché de la dette, NDLR), comme nous l'avons particulièrement remarqué aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Japon", notait Barclays, fin mai.

Le "Club Med" bat tout le monde sur les taux

En comparaison, les perspectives en zone euro "ne sont pas si mauvaises", ajoutait la banque britannique.

Malgré sa volonté d'emprunter plus pour financer la défense et les infrastructures, l'Allemagne voit le taux de son titre de dette à 10 ans reculer de 4 points de base sur un mois et de 10 points de base sur un an. La France, elle, connaît un repli de 8 points sur un mois mais une hausse de 36 points sur un an, causée en réalité par l'incertitude politique provoquée par la dissolution de l'Assemblée nationale, il y a un an jour pour jour.

Ce sont surtout les pays du "Club Med" qui voient la pression sur les taux diminuer. Le rendement sur le titre de dette à 10 ans de l'Italie baisse de 18 points de base sur un mois et de 53 points sur un an. L'Espagne est à 18 points et 26 points respectivement, le Portugal à 10 et 23, et la Grèce à 15 points et 45 points.

Cette tendance n'a pas échappé à Bloomberg. "Aujourd'hui, l'Italie, la Grèce et l'Espagne se sont imposées comme les gardiennes d'une certaine prudence budgétaire, en maintenant les déficits après avoir durement appris les leçons d'une austérité forcée qui a fait tomber les dirigeants politiques", écrit l'agence de presse dans un article publié ce lundi 9 juin.

Il n'y a, en effet, pas de grand secret sur ce regain de forme du "Club Med" sur le marché de la dette. Ces pays ont soit assaini leurs finances publiques, soit enregistré de meilleures perspectives de croissance, soit les deux.

"Les pays du Sud de l’Europe – l’ancien "Club Med" – sont désormais le moteur économique de la zone (euro). Une banque italienne (Unicredit qui vise Commerzbank, NDLR) souhaite racheter l’une des principales banques allemandes (inimaginable il y a cinq ans), le Portugal emprunte à un taux moins élevé que la France, la Grèce peut se vanter d’avoir un excédent budgétaire et une production industrielle parmi les plus élevées de la zone euro, l’Espagne a un indicateur PMI (un indicateur d'activité du secteur privé, qui est positif à partir de 50, NDLR) à 56, etc.", écrivait l'an passé Christopher Dembik, conseiller en investissement chez Pictet AM.

Croissance et finances publiques assainies

Les dernières projections économiques de la Commission européenne l'illustrent bien. La croissance espagnole est attendue 2,6% cette année, celle du Portugal à 1,8% et celle de la Grèce à 2,3%, contre une moyenne de 0,9% en zone euro. Pour le déficit public, les projections de Bruxelles tablent, pour cette année, sur 2,8% du produit intérieur brut pour l'Espagne, et même des excédents de 0,7% et 0,1% respectivement pour la Grèce et le Portugal.

L'Italie reste un cas un peu à part, avec une croissance relativement molle (0,7% attendu en 2025) mais un déficit qui est sur la bonne trajectoire. Après 3,4% en 2024, il est attendu à 3,3% cette année et 2,9% en 2026. Surtout, rappelle Barclays, l'Italie affiche un excédent budgétaire primaire (hors charge de la dette) et un surplus en matière de des comptes courant. Ce qui signifie que le pays ne dépend pas de l'épargne extérieure pour se financer.

Rome a d'ailleurs récemment obtenu plusieurs satisfécits de la part des agences de notation. S&P a relevé sa note de crédit à "BBB+" en avril, notant les progrès dans "la stabilisation des finances publiques depuis la pandémie". Le genre d'avis qui tranche avec ceux rendus à l'égard de la France.

Soulignant également les efforts budgétaires accomplis par le pays transalpin mais aussi la stabilité politique, Moody's a rehaussé à "positive" la perspective sur la note "Baa3" de l'Italie.

Plus largement dans les pays du Sud de la zone euro (également appelés pays "de la périphérie"), "les déficits budgétaires ont tous évolué dans la bonne direction, ce qui n'a pas été le cas pour de nombreux pays 'core' (France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Autriche, etc…)", a déclaré à Bloomberg Felipe Villarroel, gestionnaire de portefeuille chez TwentyFour Asset Management.

"Ces pays sont allés loin dans les problèmes, dans les souffrances (au début des années 2010, NDLR) et depuis on a vu une restructuration, une autre façon de concevoir l'économie, avec des coûts qui ont énormément baissé. Mais les efforts au bout de quelques années portent leurs fruits", a, de son côté, expliqué en avril sur BFM Bourse Alain Bokobza, responsable de la stratégie de l'allocation mondiale d'actifs chez Société Générale CIB.

Le spécialiste de marché estime que cette nouvelle donne sur l'obligataire a vocation à perdurer. Ce car les pays européens au "Nord de la France" comptent renforcer les dépenses militaires et leurs infrastructures et donc dépenser plus. "Les marchés obligataires de ces pays-là sont en danger. Il est possible à terme, à horizon 2026, que les taux en Allemagne ne restent pas aussi bas qu'ils sont aujourd'hui", fait-il valoir.

En parallèle, dans "les pays du Sud", "il y a beaucoup plus de restrictions sur les dépenses fiscales, cela va protéger les marchés obligataires dans les quelques années qui viennent", poursuit Alain Bokobza. Le stratégiste conclut que les pays périphériques de la zone euro ne deviendront pas un refuge pour les investisseurs en zone euro. "C'est déjà le cas", tranche-t-il.

Julien Marion - ©2025 BFM Bourse
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