(BFM Bourse) - Une récente étude de la Fed de San Francisco montre que cette épargne accumulée en réserve durant la pandémie par les ménages américains a désormais disparu. En Europe, il semble encore il y avoir un reliquat. Mais cette épargne n'apportera pas un soutien à la conjoncture et donc au marché.
Cela a été un facteur qui a permis d'amortir les chocs économiques qui ont suivi la pandémie: l'épargne Covid. Cette épargne a été accumulée durant la crise sanitaire par les ménages, lorsqu'ils ont bénéficié de différentes mesures de soutien de la part des gouvernements alors que leurs dépenses étaient, par nature, contraintes par les restrictions sanitaires.
"L'épargne excédentaire a atteint près de 10% du PIB aux États-Unis - où l'aide publique a été particulièrement généreuse - et environ 7% en Europe", soulignait Société Générale Private Banking dans une présentation datant de mars.
Cet excès d'épargne a ensuite permis de lisser les impacts négatifs liés à l'inflation et la hausse des taux d'intérêt. Ce qui a alimenté les espoirs du marché "d'un atterrissage en douceur" de l'économie, avec des taux directeurs des banques centrales qui culminent sans trop malmener les ménages et les entreprises.
"Ces filets de sécurité ont constitué l'une des particularités de la reprise post-Covid: ils ont permis aux ménages d'atténuer les chocs liés à la hausse de l'inflation et des taux d'intérêt. En particulier, les ménages américains ont largement puisé dans cet excès d'épargne pour financer un boom des dépenses", explique Société Générale Private Banking.
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La dette des ménages augmente
Cela a par exemple pu porter le secteur du luxe. "La croissance exubérante de la demande de produits de luxe après le Covid-19 a été, selon nous, alimentée par des 'achats de vengeance'", notait en janvier HSBC. En clair, certains consommateurs ont acheté des produits de luxe après s'être réfrénés durant la crise sanitaire. Le secteur des loisirs et de l'hôtellerie a lui connu du "revenge travel" en 2022 et 2023, c'est-à-dire des voyageurs qui ont beaucoup dépensé après des années à rester dans leurs pays d'origine.
Reste que cette épargne Covid a désormais disparu, tout du moins aux Etats-Unis. Début mai, la Réserve fédérale de San Francisco a publié une étude montrant que ces bas de laine, après avoir culminé à 2.100 milliards de dollars en août 2021, ont été épuisés en mars dernier. Le chiffre est même devenu négatif à 72 milliards de dollars. Ce qui veut dire que l'écart de l'épargne des ménages par rapport à sa moyenne historique est devenue négative.
Avec la baisse de l'épargne Covid, les Américains ont activé d'autres leviers de financement, comme la dette. A fin 2023, la dette des ménages s''élevait, en cumulé, à 17.503 milliards de dollars, en hausse de 604 milliards sur un an. Le passif tiré sur les cartes de crédit a lui atteint 1.130 milliards, soit 143 milliard de plus qu'à fin 2022.
Un record dans l'absolu, selon CNN, qui nuance toutefois: en ajustant de l'inflation, ce chiffre reste inférieur de 20% au record de 2008.
"Les consommateurs ont encore beaucoup d'argent à dépenser, c'est pourquoi les données relatives aux cartes de crédit sont souvent mal interprétées", a déclaré à CNN Russell Price, économiste en chef chez Ameriprise Financial. "La valeur en dollars de la dette liée aux cartes de crédit n'a jamais été aussi élevée, mais la population, l'emploi et le revenu des consommateurs le sont également", ajoute-t-il.
John Plassard, conseiller en investissement chez Mirabaud, souligne de son côté, que le marché du travail américain est resté très solide ces dernières années, ce qui pourrait aider les consommateurs à maintenir leurs dépenses quand bien même l'épargne Covid n'est plus là. Les ménages américains peuvent aussi puiser dans l'épargne non liée à la pandémie, comme les gains enregistrés sur leurs actions en 2023, ou sur des actifs non financiers.
"En conclusion, malgré la fin (théorique) de l’épargne supplémentaire accumulée durant le Covid, il est bien trop tôt pour enterrer la croissance de la première économie mondiale", souligne John Plassard.
Une épargne sur des actifs peu mobilisables en Europe
Les données de la Fed de San Francisco soulignent en tout cas que l'épargne Covid semble bel et bien épuisée. La Réserve fédérale américaine (Fed), et non une de ses antennes locales, avait quant à elle estimé que cette manne avait disparu dès le premier trimestre 2023 aux Etats-Unis.
La différence d'évaluation entre les deux Fed aux Etats-Unis s'expliquait, selon Capital Economics, par une divergence sur la définition "d'épargne excessive", avec des tendances d'épargne en temps normaux moins élevées dans l'estimation de la Fed de San Francisco.
En zone euro, l'épargne Covid ne semble pas avoir totalement disparu. En novembre, des économistes de la Banque centrale européenne estimaient encore, sur un blog, l'épargne excédentaire autour de 2-3% du revenu disponible des ménages, à fin juin 2023. Selon une note de Rothschild & Co de mars, le montant dépassait encore 1.000 milliards d'euros à la fin du troisième trimestre 2023.
Mais le chef économiste de la banque, Marc Antoine Collard, écrivait alors que cette épargne ne permettrait probablement pas de dynamiser la conjoncture.
"L'idée des investisseurs selon laquelle un déblocage important de l'épargne excédentaire donnera une impulsion supplémentaire à la consommation pourrait être erronée, car les ménages n'ont pas décidé de conserver leur argent sous forme d'espèces ou de dépôts bancaires, qu'ils peuvent facilement liquider pour acheter des biens et des services, mais ont plutôt investi dans des actifs financiers à long terme, plus illiquides, tels que les actions et les obligations, ou dans l'achat d'actifs non financiers tels que le logement", expliquait-t-il.
"De plus, les ménages situés au sommet de la distribution des revenus détiennent l'essentiel de l'épargne excédentaire et ont également la plus faible propension à consommer, c'est-à-dire qu'ils ont tendance à dépenser moins pour chaque euro supplémentaire de revenu disponible", ajoutait l'économiste.