(BFM Bourse) - Souvent négligées, les conférences téléphoniques tenues par les entreprises avec les analystes à la suite de résultats fourmillent d'indications intéressantes voire cruciales. Ce qui peut amener une action à se retourner brutalement. La dernière saison des résultats l'a encore démontré avec plusieurs exemples.
La saison des résultats semestriels s'est encore apparentée à une véritable avalanche pour les investisseurs. Pas moins de 27 groupes du CAC 40 ont publié leurs résultats semestriels la semaine dernière.
Ce qui n'a pas laissé beaucoup de temps aux gérants et autres opérateurs de marché pour écouter les différentes conférences téléphoniques avec les analystes, organisées dans la foulée des publications. D'autant que ces "call" demeurent très chronophages, dépassant parfois 1h30 (comme ceux tenus par L'Oréal et Totalenergies durant cette saison de résultats) voire 2h.
Ce qui s'avère dommageable, car ces conférences téléphoniques constituent souvent l'occasion pour les dirigeants d'un groupe coté de livrer des indications intéressantes pour la suite de l'année, voire cruciales.
Au point que ces "call" éclipsent parfois totalement les résultats précédemment publiés et peuvent provoquer un brutal retournement de l'action de l'entreprise en question. Plusieurs exemples l'ont encore très bien illustré, lors de la dernière saison des résultats.
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Publicis plombé par ses propres commentaires
Publicis a appris à ses dépens que les investisseurs pouvaient se concentrer sur des détails en apparence peu signifiants. Le groupe publicitaire avait livré, mi-juillet, une publication bonne sous toutes coutures. La croissance en données comparables s'était établie à 5,9% au deuxième trimestre, largement au-dessus des attentes (4,5%) et surtout de ses concurrents.
L'entreprise expliquait alors qu'elle avait surperformé, en moyenne sur le trimestre, la croissance de ses rivaux de 800 points de base (8 points de pourcentage). Publicis avait, au passage, relevé sa prévision de croissance pour 2025.
Pourtant, malgré cette copie qui cochait toutes les bonnes cases, l'action s'était brutalement retournée durant le "call" tenu à 10h par la direction avec les analystes. Après avoir perdu près de 4% en début de séance, l'action a terminé sur un repli de 6,65%.
Les analystes ont éprouvé certaines difficultés à expliquer ce retournement de tendance.
Certains ont estimé que le relèvement de l'objectif de croissance était trop timoré. D'autres ont pointé des éléments communiqués par la société durant la conférence. Dans les faits, l'action avait à peu près commencé à décrocher lorsque le PDG, Arthur Sadoun, avait livré des indications sur Sapient, filiale de transformation numérique et de consulting digital de Publicis, et qui représente environ 15% des revenus de la société.
Le dirigeant avait expliqué que Sapient afficherait encore une performance négative au second semestre, en ligne avec celle du premier, et ce malgré une légère amélioration au deuxième trimestre.
Ces mêmes analyste ont aussi évoqué le fait que la direction de la société avait souligné "la disruption (bouleversement, NDLR) du secteur de la publicité et de la communication", quand bien même la direction avait assuré que cette "disruption" favorisait le groupe.
Dans une note publiée quelques temps après les résultats de la société, la banque UBS a écrit que "les risques liés à l'intelligence artificielle (IA) semblent freiner les investissements dans le secteur des agences en général, et chez Publicis en particulier".
"Si nous reconnaissons que les nouvelles technologies ont accru l'incertitude, nous ne sommes pas convaincus par les arguments selon lesquels l'IA représente un risque majeur pour la croissance organique de Publicis, en particulier au cours des deux prochaines années", a néanmoins fait valoir la banque suisse.
Dassault Systèmes et une trajectoire de cash qui reste en travers de la gorge du marché
Dassault Systèmes constitue, de son côté, un cas d'école. Le spécialiste des logiciels de fabrication et de conception assistées par ordinateur (CFAO) avait publié des résultats semestriels qualifiés de "décents" par Oddo BHF avec notamment une croissance supérieure aux attentes.
L'action avait ouvert en hausse avant là encore de se retourner brutalement à la baisse durant la conférence téléphonique tenue à 10h. Le titre avait terminé sur une chute de 8,38%.
Deux éléments ont été pointés du doigt pour expliquer cette chute. Tout d'abord, le directeur financier, Rouven Bergmann, avait indiqué que le groupe tablait sur un flux de trésorerie en nette baisse au troisième trimestre, et, plus largement, stable sur l'ensemble de 2025, alors que les investisseurs espéraient mieux.
"Ce qui était notable dans cette conférence téléphonique, c'était le commentaire de la direction sur la baisse prévue de 120 millions d'euros du flux de trésorerie au troisième trimestre par rapport à la même période de l'année précédente et le fait que, d'une manière générale, la trésorerie du second semestre continuera à souffrir, car l'entreprise enregistre des contrats avec des paiements en cash avantageux (pour les clients, NDLR) qui sont différés et qui seront encaissés début 2026", résumera Deutsche Bank.
Autre point qui avait pu crisper le marché: Rouven Bergmann avait indiqué que Dassault Systèmes avait consolidé sur quasiment l'intégralité du deuxième trimestre une petite acquisition, l'allemand Ascon Qube, dont le rachat n'avait été annoncé que début juillet. Ce qui avait pu soulever des questions sur la performance croissance au deuxième trimestre 2025. Il y a-t-il eu un impact significatif lié à cette acquisition?
"On n'arrive pas à quantifier cet impact qui doit être en réalité faible puisque la société compte une quarantaine d'employés. Mais encore une fois cela jette par défaut le doute et donne encore des arguments aux 'bears'" (les investisseurs qui misent sur une baisse de l'action, NDLR)", confiait un analyste.
L'Oréal et sa "routine beauté" des résultats
Fort heureusement, ces conférences téléphoniques peuvent, à l'inverse, rassurer les investisseurs et faire basculer un titre dans le vert.
Le cas échéant avec L'Oréal. Le 29 juillet au soir, le groupe de cosmétiques avait publié des résultats semestriels, a priori sans grand éclat. La croissance du deuxième trimestre s'établissait à 2,4% en données comparables soit moins que le consensus, logé à 2,9% selon UBS.
Mais derrière ces chiffres bruts se cachait en réalité une accélération assez franche de la croissance, masquée par des effets de "phasage" liés au déploiement d'un nouveau système informatique du groupe.
L'Oréal a mis en place, depuis 2024, un calendrier de mise en place différents pour ses divisions et ses régions de ces nouveaux outils informatiques. Or, ces nouveaux systèmes informatiques conduisent la société à surstocker ses produits auprès de ses grossistes dans la zone ou la division où ces outils sont déployés.
Ces effets de "phasage" ont en conséquence eu des impacts assez gigantesques, d'un trimestre à l'autre, sur les performances de chaque division de la société, et sur sa croissance globale . Ainsi, au deuxième trimestre, la croissance retraitée de ces effets s'était en réalité établie à 3,7% en données comparables, après 2,6% au premier trimestre.
Durant la conférence avec les analystes, organisées le lendemain matin de la publication, la direction avait détaillé ces effets de "phasage" et leurs impacts, ce qui avait permis aux analystes d'avoir une lecture plus claire des performances du deuxième trimestre.
Point crucial par ailleurs, le directeur général, Nicolas Hieronimus, avait confirmé durant la conférence téléphonique la prévision du groupe d'une croissance du marché de la beauté de 4% en 2025. Sachant que L'Oréal a tendance à surperformer ce marché, cela a pu faire espérer aux investisseurs une accélération de la croissance au second semestre, les six premiers mois de l'année s'étant traduite par une progression des revenus de 3% en données comparables.
"Les consommateurs se tournent désormais vers une routine beauté en six étapes, et nous nous sommes désormais orientés vers une routine des résultats L'Oréal en deux temps (les résultats puis la conférence téléphonique, NDLR)", avait plaisanté Bank of America, dans une note.
"Le 'call' nous a donné davantage confiance dans la capacité d'exécution du groupe et sur une accélération au second semestre", avait surtout écrit la banque américaine.
Après avoir ouvert en baisse, l'action L'Oréal avait terminé la séance sur une hausse de 4%, grâce aux indications données par la direction durant la conférence téléphonique.
L'action Tesla toujours suspendue aux déclaration de Musk
Évidemment, cet aspect "critique" du "call" avec les analystes ne se retrouve pas qu'avec les groupes français. Aux États-Unis également, la conférence téléphonique s'avère très importante. Dans le cas d'Apple, les perspectives pour le trimestre en cours sont toujours communiquées durant ce "call" par le directeur financier (Luca Maestri puis désormais Kevan Parekh).
Le meilleur exemple reste encore Tesla. Souvent les propos du directeur général Elon Musk importent bien plus que la teneur des résultats trimestriels du constructeur automobile électrique.
Cela a encore été le cas au cours de cette saison. Concrètement, le marché n'avait pas grand-chose à faire des comptes publiés par le constructeur au deuxième trimestre, ce bien que la société a affiché un plongeon de ses revenus de 16% au niveau de la division automobile, et de 12% à l'échelle du groupe, le plus fort repli depuis plus d'une décennie.
Dans les échanges post-marché, l'action Tesla évoluait peu. Mais elle a brusquement décroché lorsqu'Elon Musk a prévenu, durant le "call", que plusieurs trimestres difficiles attendaient encore probablement Tesla.
Ce en raison de la fin de mesures de soutien aux États-Unis à l'achat de véhicules électriques, avait expliqué le dirigeant. La loi de finances de Donald Trump récemment approuvée prévoit la suppression à compter du 30 septembre de crédits d'impôts de 7.500 dollars pour les "véhicules propres".
Elon Musk avait estimé que la fin de cette aide fiscale pour les ménages risquait de poser des difficultés à Tesla jusqu'à ce que le groupe monte en puissance et déploie à grande échelle ses services de robotaxis, ce qui est prévu pour la seconde partie de 2026.
UBS souligne que ces commentaires montrent que les fondamentaux de Tesla font de plus en plus face à des "défis". "L'évolution de l'action demeure toujours un combat entre ce que pourrait être Tesla et ce qu'elle est", résume la banque, pas emballée en réalité par la valeur (son objectif de cours, à 215 dollars est inférieur de plus de 30% au niveau actuel du titre).
In fine, ces exemples montre que les investisseurs avisés ne peuvent pas se contenter de lire simplement la publication d'une entreprise, car celle-ci ne donne qu'une partie des éléments nécessaires à l'appréciation de ses résultats. Et donc qu'une vision parcellaire de ses performances.
"Le problème c'est quand l'entreprise garde pour la conférence téléphonique des indications cruciales pour la compréhension de l''equity story' (la thèse d'investissement sur une action) car cela nous met au tapis dans les premières interprétations que nous pouvons faire des résultats", peste, sur ce dernier point, un analyste. "La conférence téléphonique en devient plus importante que les résultats", conclut-il.