(BFM Bourse) - La hausse des prix est plus forte et plus durable que prévu. Et généralement, on estime que c'est une mauvaise nouvelle pour les marchés actions. Pourtant, lorsqu'on regarde les données historiques, ce lien est loin d'être évident.
L'inflation est au cœur de toutes les attentions et en particulier de la Réserve fédérale. En septembre, elle a accéléré à 5,4% sur un an aux Etats-Unis, un niveau qui n'avait plus été observé depuis le dernier pic de 2008, selon les données du Bureau of labor statistics (le Bureau de la statistique du Travail). Alors que la hausse des prix reste plus forte et durable que prévu, la Fed va enclencher la réduction progressive de son soutien à l'économie. Elle ne prévoit cependant pas de hausse des taux d'intérêt directeurs pour le moment.
Alors que les politiques monétaires ultra-accommodantes ont été un des grands facteurs de la progression des marchés ces dernières années, faut-il s'attendre à une chute des Bourses mondiales avec le retour de l'inflation? Car, en théorie, une inflation plus forte n'est pas une bonne nouvelle pour les actions pour trois grandes raisons. Premièrement, à cause du coût du capital. Car face à une inflation qui s'installe, les banques centrales finissent par augmenter les taux d'intérêt. Et cela finit par se répercuter sur les entreprises qui empruntent de l'argent à leur banque ou sur les marchés. L'argent devient plus cher. C'est moins avantageux pour les entreprises et donc les actions. Les valorisations partent à la baisse.
Deuxièmement, si les taux d'intérêt montent, cela veut dire que les rendements obligataires aussi. Et donc cette classe d'actifs va afficher un meilleur rendement. Cela signifie qu'il y a plus de concurrence entre actifs: les gérants vont investir un peu plus d'argent dans les obligations et un peu moins dans les actions. Et donc cela pousse la tendance en Bourse à la baisse.
Enfin, troisièmement, les entreprises sont, elles aussi, directement touchées par les hausses de prix, par exemple au niveau des matières premières. Or, elles ne peuvent pas toujours répercuter tout de suite cette hausse sur leurs prix de vente pour leurs clients. Autrement dit, leurs marges diminuent et donc leurs bénéfices. Et donc les dividendes versés à terme pour les actionnaires.
Une progression proche de sa moyenne historique pour le S&P
Mais dans la pratique, est-ce que cette logique se vérifie? Pas tellement, selon les calculs réalisés par John Plassard, directeur des investissements de Mirabaud, dans une note publiée cette semaine. En regardant année par année l'évolution du S&P 500 et l'évolution de l'inflation, aucune corrélation évidente n'apparaît. Parfois les actions baissent lorsque l'inflation monte. Parfois, c'est le contraire. D'ailleurs, les actions se sont plutôt bien comportées lors des moments de forte inflation dans les années 1970 et les années 1980.
C'est aussi le cas si on se concentre sur les 17 années où l'inflation a été extrême aux Etats-Unis depuis 90 ans, c'est-à-dire où la hausse des prix a été de plus de 5% sur l'année. L'inflation ces années-là oscille entre 5,7% en 1976 et 14,4% en 1947 juste après la Deuxième Guerre mondiale. Au cours de ces 17 années, les actions performent plutôt bien, avec une progression du S&P de 9,4% en moyenne. Ce qui correspond grosso modo au rendement annuel moyen du S&P depuis 90 ans (qui est de l'ordre de 9,8% selon CNBC).
Même en prenant en compte l'inflation, les actions résistent bien. C'est ce qu'on pourrait appeler le rendement réel. Autrement dit la performance affichée à laquelle on retranche l'inflation. Si on reprend nos 17 ans avec des hausses de prix très importantes, on reste quand même en positif, avec un rendement supérieur de 0,7 point à l'inflation en moyenne. Ce qui n'est vraiment pas si mal, car ces hausses d'inflation se produisent souvent dans des situations de forte instabilité. Et donc finalement, les marchés actions, en tout cas aux Etats-Unis, semblent bien protéger l'épargnant contre l'inflation.
Le pricing power comme élément clé
Une des raisons qui expliquent cette différence entre ce qu'on pourrait attendre en théorie et ce qui se passe dans la réalité, c'est que les marges des entreprises résistent généralement mieux que ce qu'on pourrait penser en période de forte inflation. Certes, les prix des matières premières augmentent, parfois également les salaires. Mais de nombreuses entreprises arrivent finalement à répercuter ces hausses sur leurs prix de ventes. Et donc les bénéfices augmentent. Par exemple, de 1971 à 1974, les bénéfices des entreprises du S&P 500 ont flambé de 75%. En parallèle, l'inflation aux Etats-Unis a été d'environ 27% entre début 1971 et fin 1974.
Toutes les actions ne sont en revanche pas nécessairement logées à la même enseigne en période de forte inflation. Il faut privilégier les actions des entreprises qui possèdent un vrai pricing power, comme le montrait une étude de la Fed publiée en 2000. Le pricing power correspond à la capacité d'une entreprise à augmenter ses prix sans voir ses ventes baisser. C'est par exemple le cas d'Apple, qui arrive régulièrement à augmenter ses prix pour ses produits. Récemment, les analystes d'UBS ont listé 10 sociétés cotées américaines qui disposent le plus de pricing power actuellement. Apple en fait partie. On peut aussi citer Advance Auto Parts, un fournisseur de pièces détachées automobiles, Danaher Corp, qui fabrique des appareils médicaux, la société Extra Space Storage, qui propose des espaces de stockage, Salesforce ou encore Nike.
Pour la France, c'est certainement le secteur du luxe qui dispose historiquement du plus grand pricing power : LVMH, Hermès ou Kering. À une nuance près, ce secteur est très exposé à la Chine et donc à un tour de vis des autorités locales sur la consommation de produits haut de gamme.
Inversement, on voit déjà que pour d'autres sociétés, l'inflation persistante est déjà un problème. C'est en ce moment le cas de Danone, qui a du mal à préserver ses marges, comme l'ont montré ses derniers résultats trimestriels. Donc si l'inflation persiste plus longtemps que prévu, sans doute que les investisseurs devront être un peu plus sélectifs et moins miser sur une hausse générale des indices.