(BFM Bourse) - Une communication hasardeuse de la directrice financière de la société américaine a, la semaine, dernière, conduit Wall Street à s'inquiéter de la prépondérance de la start-up américaine dans l'écosystème de l'intelligence artificielle. À tort ou à raison?
Quelques jours après Halloween, un couac de communication a donné le frisson à la Silicon Valley et à Wall Street, la semaine dernière.
Une déclaration de la directrice financière d'OpenAI, la start-up à l'origine des grands modèles de langage d'intelligence artificielle (IA) générative GPT (et donc de ChatGPT) a fait grand bruit.
Lors d'une conférence organisée par le Wall Street Journal, mercredi 5 novembre, Sarah Friar a évoqué la possibilité pour le gouvernement américain de "soutenir la garantie qui permet" de financer les dépenses dans les infrastructures d'IA, comme des data centers.
La remarque n'avait rien de très concret. Mais dans la mesure où OpenAI a passé des "deals" astronomiques pour développer l'IA - le chiffre de 1.400 milliards de dollars sur huit ans a été avancé par Sam Altman - avec des groupes de semi-conducteurs (Nvidia, AMD, Broadcom) ou des fournisseurs d'infrastructures cloud (Oracle, Amazon), les observateurs ont froncé les sourcils.
"En évoquant la possibilité d’un soutien public pour financer les infrastructures de l’entreprise, elle (Sarah Friar, NDLR) a ravivé le spectre du 'too big to fail'", explique John Plassard, de Cité Gestion dans une note publiée ce lundi et consacré à cet épisode.
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Sam Altman sort la lance à incendie
"Bien que vagues, ces remarques ont rapidement suscité de fortes réactions de la part des observateurs de l'industrie, qui y ont vu une indication qu'OpenAI se plaçait dans le camp des entreprises 'too big to fail' et s'attendait à un renflouement gouvernemental pour son audacieuse stratégie de construction de centres de données", abonde Bloomberg.
Pour rappel, la notion de "too big to fail" renvoie au secteur bancaire et à l'idée qu'une banque, de par sa taille et sa place dans le système financier, ne peut faire faillite. Faute de quoi l'économie mondiale serait ébranlée. L'État serait ainsi le "prêteur de dernier ressort" de cet établissement, et se verrait obligé de voler à la rescousse de ladite banque.
Or l'intelligence artificielle et l'écosystème en découlant revêtent un caractère de plus en plus systémique pour l'économie américaine (de même que pour Wall Street). En septembre, une analyse de Deutsche Bank montrait que sans les dépenses de tech liées à l'IA, l'économie américaine serait proche de la stagnation, voire de la récession, cette année.
D'où les inquiétudes qui ont entouré OpenAI. Très vite la société a rattrapé le coche. Interrogé par Bloomberg, un porte-parole de la jeune pousse américaine a assuré que les propos de Sarah Friar ne s'appliquaient pas à OpenAI mais à l'ensemble du secteur.
Jeudi dernier, Sam Altman a lui-même voulu remettre les points sur les "i" dans un post sur X (ex-Twitter). Le dirigeant a, en clair, assuré qu'OpenAI ne souhaitait pas la garantie de l'État pour financer la construction de data centers.
"Nous pensons que les gouvernements ne devraient pas choisir les gagnants ou les perdants, et que les contribuables ne devraient pas renflouer les entreprises qui prennent de mauvaises décisions commerciales ou qui échouent sur le marché. Si une entreprise échoue, d'autres entreprises feront du bon travail", a-t-il déclaré.
Au passage, le dirigeant a précisé qu'OpenAI devrait atteindre, fin 2025, un "exit rate" (un rythme en fin de période) de croissance permettant de monter à 20 milliards de dollars de revenus en année pleine. Avant d'aboutir à "des centaines de milliards de dollars" d'ici à 2030.
Des craintes pas apaisées
"Il y a eu une communication un peu malheureuse", résume Christophe Pouchoy, gérant Tech chez La Financière de l'Échiquier, dans BFM Bourse, vendredi 8 novembre.
Malgré les tentatives du groupe de calmer l'incendie, le mal a été causé. David Sacks, le conseiller spécial de la Maison Blanche en charge de l'IA et des cryptos a prévenu sur X, qu'il n'y aurait de sauvetages fédéraux liés à l'IA.
"Les États-Unis comptent au moins cinq grandes entreprises pionnières (en matière de langage d'IA, NDLR). Si l'une d'entre elles échoue, d'autres prendront sa place", a-t-il affirmé.
De son côté, Wall Street a souffert. La semaine dernière, le Nasdaq Composite a connu plusieurs séances compliquées, reculant notamment de 3% en rythme hebdomadaire. L'indice rebondit toutefois ce lundi, prenant 1,7% dans les premiers échanges, grâce à des espoirs sur la fin du "shutdown".
Dans une note publiée dimanche soir, Dan Ives, analyste en charge de la tech chez Wedbush, évoque une période "diabolique" pour la tech américaine, dont celle-ci devrait toutefois sortir plus forte.
Parmi les éléments qui ont plombé le secteur en Bourse la semaine dernière, le spécialiste cite pêle-mêle les réactions de marché déconcertantes sur les résultats de Palantir (un porte-étendard de l'IA en Bourse), les craintes d'une bulle liée à l'IA, ou encore les achats d'options de vente ("put") sur des groupes de tech par le célèbre investisseur Michael Burry. Mais aussi "les peurs qu'OpenAI soit devenu 'too big to fail'".
Les clarifications apportées par la direction d'OpenAI n'ont d'ailleurs pas totalement effacé les inquiétudes.
"Friar a clairement indiqué qu'ils souhaitaient obtenir un soutien financier de la part du gouvernement", a déclaré à Bloomberg Michael O'Rourke, stratégiste en chef des marchés chez Jonestrading. "Donc non, le fait qu'OpenAI ait retiré sa déclaration après son rejet par le marché n'apaise en rien les craintes", ajoute-t-il.
Circularité et bulles
Comme dit précédemment, OpenAI est devenu la clef de voûte du développement à la vitesse grand V de l'IA via ses nombreux accords à coup de milliards de dollars et/ou de gigawatts, avec les sociétés cotées les plus importantes de Wall Street, comme Oracle, Nvidia, Microsoft ou encore Amazon.
Le sentiment d'un système qui tourne en boucle autour d'une poignée de grandes entreprises, avec OpenAI au centre, a pu gagner le marché.
"Le modèle d’investissement devient en effet très circulaire: Nvidia investit dans OpenAI, qui en retour lui achète des puces à prix réduit pour construire ses data centers", explique John Plassard.
"Ce système, courant dans l’industrie, concentre désormais les risques sur quelques acteurs. Comme l’IA est devenue le moteur principal des marchés et de la croissance américaine, la moindre secousse dans cette chaîne pourrait peser sur l’économie", ajoute-t-il.
"Nous pensons qu'il serait juste de dire que la vague d'annonces d'accords, dont certaines semblent pour le moins circulaires et grandiloquentes, a conduit à une certaine lassitude et méfiance de la part des investisseurs", souligne pour sa part Sameer Samana, de Wells Fargo, cité par Bloomberg.
Ces interrogations sont d'autant plus importantes qu'elles surviennent à un moment où le risque de bulle sur la tech est régulièrement pointé du doigt par des intervenants de marché (et par Sam Altman lui-même d'ailleurs).
"Les inquiétudes liées à la bulle de l'IA refont surface, et sont sans doute plus vives que jamais, compte tenu d'un certain nombre d'évolutions (préoccupantes ?): une hausse significative des valorisations de nombreuses entreprises exposées à l'IA, la poursuite d'investissements massifs dans le développement de l'IA et la circularité croissante de l'écosystème de l'IA, avec (…) des fournisseurs d'infrastructures et des hyperscalers qui signent entre eux des accords qui brouillent les frontières entre les clients", exposait récemment Goldman Sachs.
Une consolidation de marché?
Pour autant, faut-il réellement penser qu'OpenAI s'avère "too big to fail", au point qu'une défaillance de la société remettrait tout l'écosystème IA en cause?
Christophe Pouchoy relativise. "OpenAI est un acteur important et a donné de gros contrats à beaucoup de fabricants de semi-conducteurs et d'hébergeurs 'cloud', mais, au final, si OpenAI a des difficultés, d'autres LLM (les grands langages d'IA parmi lesquels figurent Gemini de Google ou Llama de Meta, NDLR) pourraient le remplacer", explique le gérant spécialisé dans la tech.
Citant les propos de David Sacks, le gérant explique qu'une consolidation de marché pourrait très bien s'opérer.
Par ailleurs, Christophe Pouchoy rappelle que l'actionnaire de référence d'OpenAI demeure Microsoft, un géant doté d'une assise financière impressionnante. Sur son dernier exercice le groupe a dégagé 101,8 milliards de dollars de bénéficeet un flux de trésorerie opérationnel de 136,16 milliards de dollars. "Avec des financiers derrière comme cela, ils ont le temps de voir venir", conclut Christophe Pouchoy.
"On est peut-être arrivé au bout d'une logique de rêve (dans l'IA, NDLR), d'annonces, et on passe à 'show me the money' ('montrez-moi que vous êtes rentables')", commente Sébastien Lalevée, directeur général de La Financière Arbevel, également invité de BFM Bourse vendredi.
Dans cette "nouvelle période", "tout est un peu stigmatisé par OpenAI, qui fait un peu rêver, car elle n'est pas cotée, vaut 500 milliards de dollars sur la base de la dernière levée et ne fait que 13 milliards de dollars de chiffre d'affaires", ajoute-t-il.
Mais "combien de sociétés dans le monde (comme OpenAI, NDLR) sont capables d'avoir 500 millions d'utilisateurs, qui aujourd'hui ne paient pas grand-chose, et qui demain paieront plus car ils n'auront pas le choix. Et qui en plus fournissent les API (les interfaces de programmations applicatives, NDLR) aux sociétés qui utilisent leurs technologies ?", s'interroge Sébastien Lalevée.
Ce dernier rappelle que certains analystes estiment que les revenus d'OpenAI pourraient atteindre 200 milliards de dollars d'ici "quatre-cinq ans".
"Pour les investisseurs comme pour les États, la clé sera de garder la tête froide: admirer l’ambition, mais exiger la preuve", tranche de son côté John Plassard.
