(BFM Bourse) - Apparue en Chine en août 2018, la fièvre porcine africaine fait des ravages et décime les élevages chinois, au point de contraindre Pékin à se tourner vers Washington. Contrairement aux autres négociations commerciales entre les deux superpuissances, ce sont les États-Unis qui ont les clefs de celles-ci.
La Chine est prise d'une "porc panique", celle de venir à manquer de cette viande, de loin la plus consommée dans l'empire du Milieu. En cause, l'apparition de la fièvre porcine africaine en avril 2018 sur le sol chinois, "qui fait des ravages et se diffuse dans les pays limitrophes" constate John Plassard, directeur adjoint des investissements chez Mirabaud Securities. "D'après une estimation de la banque agricole hollandaise Rabobank, les pertes se seraient élevées à 200 millions de bêtes sur l’année 2019, soit le tiers de la production annuelle" souligne l'expert, qui rappelle que la Chine "est le premier pays producteur et consommateur de porc au monde avec environ 55 millions de tonnes consommées en 2017" (soit près de 40 kg par personne et par an).
À titre de comparaison, les États-Unis sont les deuxièmes consommateurs mondiaux avec moins de 10 millions de tonnes par an. Devenue "particulièrement vulnérable avec ses millions de petites exploitations", la Chine est désormais dépendante de ses partenaires commerciaux.
"Vision à long terme, fierté culturelle ou encore choix tactique, la Chine détient quasiment toutes les cartes dans ses mains lorsqu’il s’agit de négociations commerciales. Cependant il y en a une qu’elle ne maîtrise pas: la dépendance du pays à la consommation de viande de porc" prévient John Plassard. Pire pour Pékin, sur cet "enjeu stratégique majeur, les clés sont aujourd’hui détenues (en partie) par les… États-Unis. Et l'expert d'insister sur la gravité de la situation: "L’ampleur de cette épidémie dans le monde animal semble inédite, d’autant que le virus n’est actuellement contré par aucun traitement ni vaccin".
60% de la consommation de viande du pays
De loin la viande préférée des Chinois, le porc représente 60% de toutes les viandes consommées dans le pays devant le poulet, le bœuf, le veau, le mouton ou l'agneau. Et la raréfaction de l'offre provoque une flambée des prix, comme en témoigne les chiffres publiés le 9 septembre dernier qui indiquent une hausse de 52.6% sur un an au moins d’août (après +85.7% au mois de juillet), ainsi qu'"un transfert des consommateurs sur d'autres viandes".
"Ces fortes progressions de prix se sont répercutées de plein fouet sur l’inflation chinoise qui a ainsi atteint 2,4% en août en rythme annuel" la viande de porc représentant pas moins de 10 points de pourcentage des prix alimentaires et plus de trois points sur l’Indice des prix à la consommation chinois dans son ensemble, "ce qui est inédit en comparaison avec d’autres pays dans les achats des ménages" relève John Plassard. Il ajoute que l’industrie porcine contribue, d’après les estimations, à hauteur de 128 milliards de dollars à l’économie nationale, soit près de 1% du PIB chinois (2019).
Autre problème identifié par John Plassard : la faiblesse des stocks de porc congelé. "La société Enodo Economics, une société de conseil basée à Londres, estime que les réserves de porc avaient diminué de 452.000 tonnes entre septembre 2019 et août 2020. Cela signifierait que les réserves de porc du pays sont à des niveaux dangereusement bas. Le pays aurait actuellement 100.000 tonnes de porc congelé en réserve, ce qui représenterait deux à trois mois de stock", les Chinois consommant (en grande majorité) du porc frais.
Un élevage dépendant du soja
L’alimentation des porcs est constituée en majeure partie de produits végétaux sélectionnés pour leurs grandes qualités nutritives. Sous forme de granulés ou bien de farine, ces aliments sont composés à 61% de céréales (blé, maïs et orge), à 35% d’oléoprotagineux (soja, tournesol et colza), et à 4% de minéraux, avec une ration moyenne d’environ 1kg par jour. "Si le soja est cultivé en Asie depuis des millénaires, ce n’est qu’au cours du siècle dernier que sa culture s’est réellement étendue au reste du monde. Ces 50 dernières années, la production du soja a décuplé passant de 27 à 267 millions de tonnes (et même 340 millions de tonnes selon le ministère américain de l'Agriculture en 2019, NDLR)" observe John Plassard. La superficie dédiée à la culture du soja recouvre désormais plus d'un million de kilomètres carrés, "soit l’équivalent des superficies de la France, de l’Allemagne, de la Belgique et des Pays-Bas réunis" énumère-t-il.Près des trois quarts du soja produit à travers le monde étant destiné à nourrir les animaux, notamment la volaille et le porc, c'est l'augmentation constante de la consommation de viande qui est "la cause principale de l'accroissement de la culture du soja" selon l'expert.
Les États-Unis ont les cartes en mains
"En étant un gros producteur de porc (2e derrière la Chine) et de soja (1er ex-aequo avec le Brésil, NDLR), les États-Unis détiennent deux clés majeures dans les négociations avec les Chinois" estime John Plassard. "La notion n’est pas seulement théorique mais bien pratique puisqu’en septembre 2019 par exemple, lorsque la Chine a décidé de taxer des produits américains, Pékin avait exempté certains produits agricoles importés des États-Unis, notamment le porc et le soja, de surtaxes douanières en représailles aux barrières américaines" rappelle-t-il."Avant l'entrée en vigueur des tarifs douaniers chinois, les Etats-Unis ont exporté en juin vers la Chine pour 140 millions de dollars de porc et de bœuf, soit 10% de leurs exportations dans ce domaine, selon la Fédération américaine des exportateurs de viande" ajoute l'expert. Quant au soja, la Chine en achète aussi massivement aux États-Unis. "S'il est "possible de se diversifier en achetant plus de soja au Brésil, et d'autres céréales auprès de l'Ukraine et de la Russie", 80% des exportations de soja brésilien partent d'ores et déjà vers la Chine (ce qui représente 51% des importations chinoises de soja, contre 35% pour les États-Unis) donc la marge de manœuvre est réduite sur ce plan là. Le Brésil est d'ailleurs en passe de supplanter le leader historique, les États-Unis, pour la production de soja, mais il est important de noter que l'expansion de ces cultures "menace les forêts amazoniennes, savanes et prairies d’importance mondiale".
Craignant un mécontentement populaire, Pékin puise donc actuellement dans ses réserves et augmente ses importations. "Mais ces mesures sont insuffisantes au regard de la demande des consommateurs qui s'inquiètent pour leur pouvoir d'achat" note John Plassard. Pour ne pas se retrouver à une inflation galopante sur les bras, la Chine est donc contrainte de négocier avec les Américains, dont les boisseaux de soja sont moins chers que les Brésiliens.