(BFM Bourse) - Souffrant depuis de longs mois des incertitudes entourant le Brexit, et plus encore depuis que Boris Johnson menace de suspendre le Parlement avant la sortie du Royaume-Uni de l'UE, la monnaie britannique est tombée sous le seuil des 1,20 dollars mardi, pour la première fois depuis 2016.
La livre sterling poursuivait sa dégringolade mardi, tombant à un niveau plus vu depuis trois ans, entre les craintes d'un Brexit sans accord et celles d'un retour au pouvoir des travaillistes, menés par Jeremy Corbyn, réputé très à gauche de l'échiquier politique.
La livre s'effondre-t-elle vraiment?
En tombant à 1,1959 dollar vers 10h mardi, la devise britannique a atteint un niveau plus vu depuis le 7 octobre 2016. Une date loin d'être anecdotique puisqu'elle correspond à un "flash crash", la devise ayant ce jour-là perdu 9% en quelques secondes pour chuter à 1,1491 dollar, un niveau exceptionnel et considéré comme une anomalie. Un rapport de la BRI de janvier 2017 contredit les explications avancées par la Banque d'Angleterre, à savoir qu'un trader de la Citi aurait, par son action, accentué le plongeon de la monnaie anglaise. Selon la Banque des règlements internationaux (sorte de banque centrale des banques centrales), aucune donnée n'accrédite ces théories d'une erreur humaine ou d'une tentative de manipulation. La BRI dédouane également le trading haute-fréquence ainsi que l'action de... François Hollande, alors président, qui avait évoqué ce 7 octobre, quatre mois après le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l'UE, l'hypothèse d'un "Brexit dur".Pour la BRI, ce sont "des opérations de couverture d’options, et dans une moindre mesures des "stop loss" [des ordres déclenchés automatiquement en cas de franchissement de certains seuils à la baisse afin de limiter les pertes] qui semblent avoir accentué le mouvement de baisse de la livre sterling, notamment quand la livre a commencé à chuter sous 1,24 dollar" note le rapport. Puis c'est le lancement des procédures de suspension (pauses de 10 secondes) du trading sur la livre sterling par le Chicago Mercantile Exchange qui a accentué la chute, compte tenu de la volatilité de la devise britannique. En moins de 20 secondes, la livre atteint 1,20 dollar et les rares ordres d’achat sont engloutis par les ventes. Une poignée de secondes plus tard, la livre sterling tombait à moins de 1,15 dollars, il n’y avait alors plus aucun acheteur sous ce seuil.
Si la devise britannique venait à franchir à la baisse ce plancher récent atteint en octobre 2016, elle renouerait avec des niveaux plus observés depuis... 1985.. Depuis le référendum sur le Brexit, en juin 2016, la monnaie a fondu de près de 20% face au billet vert, lâchant 2,4% sur la seule semaine écoulée. Peu avant 17h, mardi, la livre sterling reprenait un peu de hauteur et s'échangeait contre 1,209 dollar, en hausse de 0,2% par rapport à la clôture de la veille. La devise britannique rebondit également mardi après-midi face à la monnaie unique européenne (+0,28% à 1,1030 euro), contre qui elle abandonne encore plus de 15%depuis le 23 juin 2016 (et près de 25% depuis son plus haut touché en juillet 2015 à 1,4588 euro).
Quelle perspective pour la livre?
"Nous sommes maintenant (...) dans un territoire totalement inexploré", a souligné dans une note Neil Wilson, analyste pour Markets.com, à quelques heures d'une rentrée parlementaire qui s'annonce houleuse. "On pourrait facilement voir 1,15 dollar voire 1,10 dollar dans les prochaines semaines si les cambistes décident de parier contre la livre", ajoute-t-il.Les investisseurs redoutent une sortie de l'UE sans accord, perspective qu'ils considèrent comme un désastre économique en puissance, ce qui les pousse à parier sur la baisse de la devise britannique, a rappelé Lee Hardman, analyste pour MUFG.
L'absence de signes montrant que les dirigeants européens sont disposés à faire marche arrière pour ouvrir la porte à un accord de dernière minute, puis la décision du Premier ministre Boris Johnson de suspendre le Parlement pour l'empêcher de s'opposer à un Brexit "dur" n'ont fait qu'alimenter les craintes du marché, a ajouté Lee Hardman. Selon lui, le seul espoir pour que la livre rebondisse serait une défaite du gouvernement actuel et l'arrivée au pouvoir d'une coalition menée par les travaillistes afin de mener à un Brexit plus doux.
Une vision qui n'est pas partagée par tous, alors que la figure du leader travailliste Jeremy Corbyn, située très à gauche, agit comme un repoussoir pour les milieux d'affaires. "S'il y avait un gouvernement travailliste, je pense qu'on verrait une (plus ample) chute de la livre", prédit ainsi David Madden, de CMC Markets.
Quel impact économique?
La chute de la livre a des effets ambivalents. D'un côté, elle bénéficie aux exportateurs britanniques, dont les produits coûtent moins cher par-delà les frontières, et cela soutient les cours de Bourse des multinationales britanniques, qui ont tendance à grimper dès que la livre décroche, ce qui explique la relativement bonne tenue du FTSE 100.
À l'inverse, la livre faible renchérit le coût des produits importés sur le sol britannique. Pétrole, matières premières et produits frais comme les fruits et légumes deviennent plus onéreux, alors qu'environ un tiers de la nourriture consommée au Royaume-Uni vient du continent européen. Cette hausse des prix risque de grignoter le pouvoir d'achat des ménages et de compliquer la tâche de la Banque d'Angleterre, en "ajoutant une pression supplémentaire" pour qu'elle soutienne l'économie au détriment de sa mission de garantir la stabilité des prix, a expliqué Pierre Veyret, analyste pour ActivTrades.
(avec AFP)