(BFM Bourse) - Dans son rapport sur la compétitivité européenne, l'ex-président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a écrit qu'aucune entreprise de l'Union européenne avec une capitalisation boursière supérieure à 100 milliards d'euros n'avait été créée en 50 ans. Un constat juste mais qui doit être nuancé.
Cela a été l'un des constats les plus marquants du rapport sur l'avenir de la compétitivité européenne par Mario Draghi, le mois dernier. L'ex-président de la Banque centrale européenne (BCE) soulignait qu'au cours des dernières 50 années, l'Union européenne n'avait pas été capable de créer un groupe dont la capitalisation boursière (la valeur de la totalité de ses actions) soit supérieure à 100 milliards d'euros.
En comparaison, toutes les six sociétés américaines dont la capitalisation dépasse les 1.000 milliards d'euros ont moins de cinquante années, remarquait-il.
"Pour Mario Draghi, cela touche à la racine de l'un des principaux défis de l'Europe : il y a trop peu d'innovation et, au contraire, une structure d'entreprise statique avec peu de perturbations qui empêche les nouveaux moteurs de croissance potentiels", a souligné Jim Reid, de Deutsche Bank, dans une récente note.
Ce constat est-il juste ? Coupons court au suspense: oui. Mais à condition de prendre au pied de la lettre les propos de Mario Draghi.
Tous les groupes américains dépassant les 1.000 milliards d'euros de capitalisation boursière ont effectivement été créées après 1974. Cela se joue toutefois à rien pour Microsoft (1975) et même pour Apple (1976). Berkshire Hathaway, une société dont les origines remontent au XIXe siècle, a dépassé les 1.000 milliards de dollars de capitalisation boursière, cet été, mais pas les 1.000 milliards d'euros.
ASML est né en 1984 mais....
Du côté européen il convient de lire à la virgule près la prose de Mario Draghi. L'économiste écrit exactement qu'"il n'existe aucune entreprise de l'UE dont la capitalisation boursière dépasse 100 milliards d'euros qui ait été créée de toutes pièces au cours des cinquante dernières années".
Par "de toutes pièces", le rapport fait référence à "la création d'une entreprise dès le départ en tant que nouvelle entité, plutôt que par le biais de fusions, d'acquisitions ou de scission d'entreprises établies".
C'est là que la nuance prend tout son sens. Comme le remarque Jim Reid, la naissance d'ASML, société néerlandaise spécialisée dans la photolithographie, technologie clef pour l'industrie semi-conducteurs, date de 1984. Or, la société affiche une capitalisation boursière de 265 milliards d'euros, la troisième plus importante en Europe. Mais, souligne Jim Reid, ASML est en réalité née de la mise en place d'une coentreprise entre le géant de l'électronique Philips, et le groupe de semi-conducteurs ASMI (Advanced Semiconductor Materials International).
La création du premier groupe européen en Bourse, le laboratoire danois Novo Nordisk, remonte, elle, aux années 1920. LVMH, le deuxième groupe européen en Bourse, est à proprement parler né en 1987. Mais il s'agissait alors d'une fusion entre Louis Vuitton, et Moët Hennessy, dont les origines datent des XIXe et XVIIIe siècles.
Selon Jim Reid, la société la plus proche de contredire le constat de Mario Draghi reste le spécialiste des logiciels professionnels allemand SAP, dont la capitalisation boursière s'élève à 240 milliards d'euros et reste de loin, la plus importante de la place de Francfort. Mais le groupe d'outre-Rhin a été fondé deux années trop tôt, en 1972, pour donner tort à l'Italien.
Spotify pour changer la donne ?
Cela dit, le groupe suédois de streaming Spotify a été créé en 2006. La société reste, certes, assez loin des 100 milliards d'euros, avec une capitalisation de 76,2 milliards de dollars, soit environ 70 milliards d'euros. Mais le groupe évolue actuellement à des plus hauts boursiers et surfe sur une bonne dynamique. L'action Spotify prend près de 101,5% depuis le début de l'année et 152% en un an. Si bien que la barre des 100 milliards d'euros ne semble pas infranchissable dans les prochaines années.
Evidemment le constat de Mario Draghi ne vise pas tant à dresser un état des lieux boursiers qu'à illustrer la difficulté de l'Europe à innover et à faire émerger de nouvelles grandes entreprises dans des secteurs récents.
"Les entreprises numériques innovantes ne parviennent généralement pas à se développer en Europe et à attirer des financements, ce qui se traduit par un écart considérable entre l'UE et les États-Unis en matière de financement à un stade ultérieur", écrit-il. L'Italien souligne par exemple que le retard du Vieux Continent dans le cloud (l'informatique dématérialisée) devrait se creuser.
Pour autant, Mario Draghi juge que l'Europe a encore une carte à jouer dans l'intelligence artificielle générative, notamment grâce à son important positionnement dans la robotique.
Soulignons au passage que sur le CAC 40 aussi, les entreprises sont relativement âgées. Un rapport de l'Amafi notait en 2015 que l'âge moyen des pensionnaires de l'indice parisien se situait autour de 100 ans. Actuellement, si Edenred a pris son indépendance en tant qu'entreprise indépendante en 2010, elle était auparavant (dès 1983) une filiale d'Accor et ses origines remontent en réalité à la création de Ticket Restaurant, en 1962.
Du côté des sociétés "jeunes" STMicroelectronics est née en 1987, mais cette naissance résultait de la fusion des activités semi-conducteurs de SGS Microelettronica et des activités non militaires de Thomson semiconducteurs. Le laboratoire Eurofins a lui été bien fondé en 1987 tandis que Dassault Systèmes a été créé en 1981 par une vingtaine d'ingénieurs. L'ex-France Telecom, Orange est de son côté techniquement né en 1988. Mais aucun de ces groupes ne tutoie de près ou de loin les 100 milliards d'euros de capitalisation boursière, Dassault Systèmes, le plus gros, se situant à 44,5 milliards d'euros.