(BFM Bourse) - Contraints de se transformer en experts géopolitiques et militaires, les gérants de fonds tentent désormais d'anticiper la suite des événements afin de se positionner au mieux sur des marchés devenus à la fois baissiers et extrêmement volatils.
Malgré le regroupement de troupes russes à la frontière ukrainienne depuis des mois et les avertissements de plusieurs responsables militaires, personne n'avait vraiment anticipé l'invasion à grande échelle lancée par Vladimir Poutine le 24 février. Comme tout le monde (ou presque) donc, les professionnels des marchés financiers ont été pris de court, et essaient maintenant de déterminer les conséquences de cette guerre et des sévères sanctions économiques occidentales qui en découlent.
"En décidant unilatéralement d’envahir l’Ukraine, Vladimir Poutine a déclenché le plus grand conflit en Europe depuis la seconde guerre mondiale. La résistance ukrainienne, la réaction forte et coordonnée des puissances occidentales et celle, beaucoup plus ambigüe, de la Chine rendent l’issue du conflit incertaine et auront des conséquences sur notre monde futur" prévient d'emblée Emmanuel Auboyneau, gérant associé chez Amplegest. "Alors que les nouvelles sur le front de la Covid 19 allaient dans la bonne direction et que les résultats publiés par les entreprises restaient de bonne facture, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a jeté un froid sur les marchés" souligne de son côté Gilles Guibout, responsable des actions européennes chez AXA IM.
"Les conséquences de cette crise sur les marchés sont fortes et douloureuses" estime déjà le premier. "En dépit de publications souvent très positives, les actions sont victimes de vastes prises de bénéfices. Nos portefeuilles sont affectés en ce début d’année, subissant des baisses proches ou supérieures à 10% pour les comptes dynamiques ou les PEA" détaille-t-il.
Et ce, alors que deux interrogations majeures demeurent. La première est militaire. "Le président russe se contentera-t-il de l’Ukraine ou entrera-t-il dans une logique jusqu’au-boutiste qui pourrait le faire lorgner sur d’autres Etats comme la Pologne ? Peut-il aller jusqu’à l’utilisation de son arsenal nucléaire ?" s'interroge Emmanuel Auboyneau. "On ne peut jamais rien exclure mais on peut raisonnablement penser que la dissuasion réciproque l’en empêchera. Mais le fait même de poser la question montre bien que le retour à la normale sera long et compliqué" ajoute-t-il. La seconde interrogation est économique. Les multiples sanctions décidées affecteront tout d’abord la Russie qui va subir un choc économique majeur. Mais elles pèseront également dans une moindre mesure sur le reste du monde, par le biais de l’augmentation du pétrole, du gaz et d’autres matières premières (alimentaires notamment).
Dans ce contexte, le gérant s'en remet à l’analyse des grandes crises depuis plus de 50 ans (guerres du Golfe, attentats, etc.) qui "montre que dans une très grande majorité des cas les marchés retrouvent six mois après des niveaux supérieurs aux niveaux initiaux". "Cette expérience nous incite à conserver nos positions investies sur des actifs de qualité. Des mouvements ponctuels de couverture peuvent toutefois être opérés sur nos fonds flexibles en fonction des évènements à court terme" précise Emmanuel Auboyneau.
Son confrère Gilles Guibout en fait de même. "Nous restons fidèles à notre stratégie d'investissement en nous concentrant sur des sociétés de qualité, aux bilans solides, avec des perspectives de croissance et exposées à des thématiques de long terme" explique-t-il, indiquant maintenir une bonne diversification dans ses portefeuilles pour pouvoir faire face aux différents scénarios.
"Nous privilégions toujours les sociétés offrant un réel potentiel de croissance du chiffre d’affaires et/ou des marges, et cherchons également les sociétés qui ont entamé un processus de transformation crédible de leur modèle économique offrant une perspective de remontée de la profitabilité et un potentiel de revalorisation" poursuit-il. En termes de secteurs, Gilles Guibout estime que la rotation du style "growth" vers le style "value" constatée depuis le début de l’année pourrait désormais laisser place à une rotation vers les secteurs plus défensifs du fait de l'impact macro-économique qui se fera sentir en Europe. "Cette crise devrait remettre en cause les anticipations de remontée des taux sur les marchés obligataires, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur certains secteurs, notamment les financières" prévient-il.