(BFM Bourse) - En cette période dense en résultats d'entreprises, les investisseurs sont susceptibles d'adopter des biais cognitifs. Invité de BFM Business, Julien Nebenzahl, gestionnaire de solutions patrimoniales chez eToro, revient sur ces différentes attitudes que peuvent avoir les investisseurs pendant ces temps forts sur les marchés.
La saison des résultats est considérée comme une période clé au cours de laquelle les investisseurs peuvent jauger de la performance des entreprises. Sur la semaine qui vient de s'achever, pas moins de 19 entreprises du CAC 40 ont rendu leur copie avec plus ou moins de réussite.
La finance comportementale peut-elle aider les investisseurs à mieux aborder cette période assez dense en informations financières? Julien Nebenzahl, gestionnaire de solutions patrimoniales chez eToro, a répondu à cette question dans l'émission "Tout pour investir" de BFM Business, le 21 octobre.
Le sujet mérite d'être traité, avance Julien Nebenzahl, même si selon lui, les publications d’entreprises et la finance comportementale sont, en première approche, des thèmes qui ne sont pas liés.
"Les entreprises publient des données qui appartiennent au passé, et ne contiennent aucune anticipation, aucune émotion particulière. Collectivement, le marché est guidé par cette idée que la saison des résultats d’entreprises c’est le grand rendez-vous de la rationalité. C’est-à-dire que les cours vont réagir à une information pure, concrète, non émotionnelle et passée. Or, la finance comportementale montre que les agents ne sont pas nécessairement rationnels , ce qui se distingue de la finance classique fondée sur la rationalité des agents", explique le spécialiste.
"Quand la publication d’entreprise est dévoilée, elle arrive dans un contexte de marché subjectif pour des raisons évidentes puisqu’elle porte des anticipations. Le prix est la confrontation des anticipations de tout le monde. Ainsi, le mouvement sur le titre en Bourse après la publication n’est pas le constat des chiffres dévoilés mais la traduction entre la publication et les anticipations des marchés. On ne parle pas d’intégration de l’information, mais d’ajustement des anticipations", poursuit Julien Nebenzahl.
Les trois biais comportementaux
En réalité, les investisseurs ne se comportent pas rationnellement dans un grand nombre de situations, rappellent les chercheurs français Mondher Bouattour et Anthony Miloudi dans une étude de 2016 intitulée "Finance comportementale et dynamique des prix des actifs : Une application par la méthode expérimentale".
À ce sujet, Julien Nebenzahl décrit trois biais comportementaux classiques qui nourrissent la tendance sur un titre pendant la saison des résultats.
Parmi ces biais comportementaux, Julien Nebenzahl cite en premier lieu "l'effet de disposition". Cet effet qui est classique dans la littérature comportementale, se définit comme une tendance pour un individu à prendre relativement vite ses profits et à ne pas vendre ses titres sur lesquels il est en perte.
"Au moment où la publication arrive, si elle permet une petite hausse d’un titre sur lequel on est en profit, on aura tendance à dire ça va dans mon sens, la nouvelle est arrivée, ça se confirme donc je peux prendre mon profit. A contrario, quand une nouvelle négative tombe sur une tendance baissière, et sur laquelle on est en perte, la baisse qui va s’accentuer encore plus, va encore plus nous tétaniser en quelque sorte, et nous empêcher de sortir de cette position. On va trouver cette réaction de marché exagérée et on va essayer de se trouver des explications pour se rassurer", remarque Julien Nebenzahl. "C’est un effet relativement classique que l’on peut observer lors des publications d’entreprises, ajoute-t--il.
Encore plus classique que le biais de disposition, Julien Nebenzahl cite aussi "le biais de confirmation", qui se traduit par un excès de confiance dans sa croyance personnelle. Lorsqu'une publication tombe et qu'elle va dans le sens de l'investisseur, ce dernier ne cherche pas à analyser quoi ce que soit. Dans ce contexte favorable, le spécialiste rappelle que l'investisseur ne cherche pas à revoir ses anticipations, et qu'il est confirmé par les annonces dans sa propre anticipation.
Julien Nebenzahl revient aussi sur le "biais de récence" ou de l’information immédiatement disponible. Ce biais cognitif qui se caractérise par un attachement de l'investisseur uniquement "à ce qu’il vient d’être dit au moment de la publication sans regarder l’ensemble du contexte de marché".
Cas pratique : l’avertissement sur résultats d’ASML
Julien Nebenzahl a aussi eu l'occasion de rebondir sur la récente publication du groupe néerlandais ASML. La troisième société européenne en termes de capitalisation boursière, derrière Novo Nordisk et LVMH, a complétement raté le coche tant dans le moment de l'annonce que dans son contenu en lui-même.
Le groupe a publié mardi soir en séance ses résultats en avance, puisque ses comptes devaient être communiqués le lendemain.
"C'est anormal qu'une société de cette taille-là publie des résultats en plein milieu de la journée boursière", avait tancé Eric Bleines directeur général de Swiss Life Gestion Privée dans l'émission BFM Bourse. Pour ne rien arranger, le groupe avait publié des prises de commandes décevantes et abaissé ses cibles à l'horizon 2025.
"On est dans le cas typique de l’arrivée d’une mauvaise nouvelle à l’intérieur d’une tendance baissière. Chez les détenteurs d’ASML, cet avertissement sur résultats a provoqué une interrogation. On peut être dans l’effet de disposition, c'est-à-dire que le titre a beaucoup baissé, il y a cette nouvelle qui arrive en plus, et l’investisseur se dit qu'il ne faudrait attendre un petit peu avant de vendre", analyse Julien Nebenzah.
"Le fait que cet avertissement ne se soit pas matérialisé dans le temps prévu, crée plus d’anxiété encore sur ce dossier. Dans ce cas précis, on ne manque pas d’émotion, on transporte beaucoup d’émotion, il n’y a pas d’hésitations là-dessus", estime-t-il.
Lors de la saison des résultats semestriels 2024, les investisseurs avaient déjà eu la main lourde, infligeant de sévères corrections aux sociétés qui avaient déçu, même un peu.
Dans un précédent article, nous avions fait une compilation des réactions boursières lors de la séance suivant la publication des entreprises du CAC 40. Soit le jour même pour les sociétés annonçant leurs résultats le matin, soit le lendemain pour les groupes qui publiaient le soir, comme LVMH et Michelin.
Du côté des plus fortes hausses, on retrouvait aux trois premières places Teleperformance (+10,4%%), Essilorluxottica (+7,4%) puis Legrand (+6,5%). De l'autre côté du spectre, nombreuses et violentes avaient été les sanctions boursières sur cette saison. STMicroelectronics avait accusé la plus forte chute, avec un repli de 13,8% après l'abaissement de sa prévision de chiffre d'affaires pour 2024. Le plongeon d'Edenred (-13,5%) était beaucoup moins intuitif car les résultats s'étaient avérés supérieurs aux attentes.
"On a vu une réaction asymétrique des marchés, surtout ces derniers jours, avec finalement des sociétés qui publiaient de bons résultats et qui ont connu des hausses de temps en temps modérées alors que les gadins se sont payés très cher", avait d'ailleurs déclaré dans BFM Bourse Matthias Desmarais, responsable de la recherche chez Oddo BHF pour résumer ces réactions boursières lors de cette saison estivale des publications.