(BFM Bourse) - Le géant britannique de la livraison alimentaire Deliveroo a fixé le prix de son introduction en Bourse à Londres à 3,90 livres par action, ce qui lui octroie une valorisation de 7,6 milliards de livres. Si l'offre a rencontré "une demande très importante", le modèle économique du groupe est néanmoins contesté.
À la veille de ses premiers pas boursiers sur fond d'interrogations vis-à-vis de son modèle économique, la plateforme de livraison alimentaire Deliveroo a fixé le prix de l'opération à 3,90 livres par action, a indiqué mardi à l'AFP une source proche du groupe, soit dans la fourchette basse de ses attentes initiales (3,90 à 4,90 livres). Ce prix d'introduction valorise le groupe 7,6 milliards de livres, soit 8,9 milliards d'euros, ce qui en fait l'opération la plus importante depuis celle du géant minier suisse Glencore en 2011, dont la valorisation avait atteint 36 milliards de livres.
Malgré la "demande très importante d'institutions à travers la planète", Deliveroo a donc fixé le prix d'introduction dans le bas de la fourchette "au regard de la volatilité des conditions du marché mondial des introductions en Bourse", considérant qu'il s'agissait d'un "point de départ qui maximise la valeur à long terme pour [ses] nouveaux investisseurs institutionnels et particuliers".
Une source proche du dossier a indiqué à Reuters que Deliveroo avait été refroidi dans ses ambitions par la piètre performance affichée par les récentes introductions en Bourse comme celle du spécialiste américain du cloud DigitalOcean ou de la plate-forme britannique d'avis Trustpilot.
À noter que l'opération, réservée aux investisseurs institutionnels avant d'être ouverte aux particuliers à compter du 7 avril, va éclipser celle du spécialiste du e-commerce The Hut Group, dont la valorisation avait atteint 5,4 milliards de livres à l'issue de l'opération en 2020. Il s'agira ainsi de la plus grosse introduction en Bourse jamais réalisée à Londres au sein du secteur technologique.
Deliveroo, dont le géant Amazon détient 16% du capital, en profite pour lever 1 milliard de livres d'argent frais afin de financer sa croissance, même si la rentabilité n'est pas encore au rendez-vous - la perte nette ajustée s'est établie à 223 millions de livres en 2020, contre 317 millions en 2019. Le groupe a par ailleurs choisi d'émettre deux catégories d'actions afin de donner à son fondateur Will Shu davantage de contrôle sur les activités, procédé classique dans la Silicon Valley, où des géants comme Google ou Facebook y ont recours.
Modèle économique contesté
La mécanique bien rodée de l'introduction en Bourse, l'occasion d'ordinaire pour une entreprise de se présenter sous son meilleur jour, est toutefois perturbée par une vague de contestation sociale, entre débrayages de livreurs et inquiétudes du monde des affaires. Plusieurs grèves et rassemblements, certes d'ampleur limitée, ont ainsi eu lieu ces derniers jours notamment au Royaume-Uni, en France et en Australie. Le syndicat des travailleurs indépendants britanniques, l'IWGB, prévoit une action le 7 avril. Le footballeur, star de Manchester United, Marcus Rashford, devenu un porte-parole de la lutte contre la pauvreté infantile, a même prévu d'échanger avec Deliveroo, qui soutient son association.Tous dénoncent la précarité des conditions de travail des livreurs, reconnaissables aux imposants sacs à dos de couleur turquoise qu'ils portent en sillonnant les rues à vélo. Il s'agit le plus souvent de jeunes hommes, qui sont des travailleurs indépendants symboles de la "gig economy", ou l'économie des petits boulots, sur laquelle s'appuient les plateformes numériques pour prospérer.
Le vent commence toutefois à tourner. La Cour suprême britannique vient de forcer le géant de la réservation de voitures Uber à accorder le salaire minimum et des congés payés à ses chauffeurs au Royaume-Uni. Deliveroo assure de son côté que ses livreurs recherchent la flexibilité et sont rémunérés plus de 10 livres de l'heure en moyenne. Une étude relayée par l'IWGB pointe pourtant des salaires de misère tombant parfois jusqu'à 2 livres de l'heure comme dans le cas d'un livreur du nord de l'Angleterre.
La société, qui emploie 2.000 personnes, travaille avec 115.000 restaurants dans 800 villes dans le monde et compte quelque 100.000 livreurs. "Aujourd'hui, Deliveroo est beaucoup plus grand que je n'aurais jamais imaginé", s'en félicite son fondateur et directeur général, Will Shu. "Nous construisons des restaurants réservés à la livraison, livrons des produits d'épicerie, mettons en place des outils afin que les restaurants se numérisent, des éléments que je n'avais jamais envisagés lors de notre lancement", a-t-il ajouté.
La viabilité de son modèle économique inquiète toutefois désormais jusqu'à des investisseurs très influents de la City. Plusieurs géants de la gestion d'actifs, comme Aberdeen Standard et Aviva Investors, qui pèsent chacun des centaines de milliards de livres, ne souhaitent pas investir dans la société évoquant le mauvais exemple donné par ses pratiques sociales. Ils considèrent que Deliveroo pourrait constituer un mauvais placement si sa réputation devait être entachée, sans compter le coût si elle devait reclasser ses livreurs. Un risque évoqué par le groupe dans son épais document boursier transmis aux autorités, où la société n'a en revanche pas évoqué les fameux critères ESG (environnement social et gouvernance) pourtant devenus quasiment incontournables dans le monde des affaires.
(avec AFP)