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Pétrole Brent

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Pétrole brent : En faillite, le Venezuela n'a même plus les moyens de pomper du pétrole

dimanche 11 octobre 2020 à 07h00
Quasiment en faillite, le Venezuela a peu d'options de sortie de crise

(BFM Bourse) - Pays qui dispose des plus vastes réserves prouvées d'or noir, le Venezuela est au bord du gouffre financier et toujours dans une impasse politique, alors que Maduro s'accroche désespérément au pouvoir. Ce qui limite nettement la marge de manœuvre du pays sud-américain.

Un président par intérim -autoproclamé- sans pouvoir (Juan Guaido), un autre mal réélu (Nicolas Maduro) lors d'élections boycottées par les partis d'opposition, et un pays, le Venezuela, en faillite. Tant sur le plan économique que politique, la situation apparaît désormais désespérée. Mais comment ce pays, autrefois le plus riche d'Amérique latine, a-t-il pu s'enfoncer dans une crise qui semble inextricable? À l'origine de tous les maux vénézuéliens, la gestion (calamiteuse) des ressources pétrolières -les plus vastes de la planète- occupe une place de choix.

"Le projet politique d'Hugo Chavez, le socialisme du 21e siècle, a utilisé la compagnie pétrolière d'État vénézuélienne PDVSA comme moyen de le financer et de maintenir le pouvoir politique au Venezuela" explique Antonio de la Cruz, directeur exécutif du groupe de réflexion Inter American Trends. "PDVA a ainsi été utilisée pour blanchir l'argent de la corruption, du développement de logements sociaux, de programmes alimentaires et autres activités sans aucun lien avec le pétrole. Dix-huit années de désinvestissement et de non-entretien des infrastructures de production pétrolière ont mené à l'effondrement actuellement observé" regrette-t-il.

"La production de pétrole au Venezuela a diminué depuis l'arrivée au pouvoir de Chavez à la fin des années 1990 en raison d'une mauvaise gestion et d'investissements insuffisants" corrobore Lisa Viscidi, spécialiste des questions énergétiques en Amérique latine, directrice du programme sur l'énergie, le changement climatique et les industries extractives du Dialogue interaméricain. Alors que le pays pompait encore 3,2 millions de barils par jour (mbj) en 2012, cette production a chuté à 1,5 mbj en moyenne en 2018 avant de tomber cette année à un plus bas depuis 1943 (!), à moins de 400.000 barils par jour sur le mois de septembre, selon les derniers chiffres de l'Opep, qui exempte d'ailleurs le Venezuela de sa politique de quotas.

Le pays, qui engrangeait environ 90 milliards de dollars par an grâce aux exportations de pétrole il y a de cela dix ans, devrait gagner environ 2,3 milliards de dollars en 2020, soit moins que le montant total des fonds envoyés par les migrants vénézuéliens qui ont fui la dévastation économique à leur famille restée au pays, selon Pilar Navarro, une économiste basée à Caracas. Selon les Nations Unies, plus de cinq millions de Vénézuéliens, soit un habitant sur six, ont fui le pays depuis 2015, créant ainsi l'une des plus grandes crises de réfugiés au monde. Le Venezuela détient d'ailleurs, depuis cette année, le triste record du taux de pauvreté le plus élevé d'Amérique latine, devant Haïti.

Les sanctions américaines

À la gestion hasardeuse -voire criminelle- des ressources pétrolières, s'ajoutent depuis 2019 des sanctions de l'administration Trump à l'encontre de PDVSA. Celles-ci "ont aggravé la situation, en bloquant les investissements des compagnies pétrolières privées et en fermant la plupart des marchés où le Venezuela pouvait vendre son pétrole. Elles ont également rendu plus difficile l'importation du pétrole léger nécessaire au mélange avec son brut lourd" déplore Lisa Viscidi.

Déjà en grandes difficultés auparavant, la production pétrolière est en chute libre depuis la promulgation de sévères sanctions contre le président Nicolas Maduro accusé de fraude électorale. Alors que 13 actuels et anciens hauts responsables gouvernementaux étaient sous le coup de sanctions depuis 2017, le décret présidentiel signé le 5 août 2019 par Donald Trump est allé beaucoup plus loin en gelant tous les avoirs et intérêts du gouvernement vénézuélien aux Etats-Unis, avec effet immédiat. Quelques mois auparavant, le 28 avril 2019, Washington avait lancé un embargo contre la manne pétrolière vénézuélienne (bien que celle-ci était déjà réduite à peau de chagrin). Celui-ci interdit à la fois à Caracas de vendre son or noir à des sociétés américaines (qui représentaient 75% des revenus pétroliers vénézuéliens fin 2018), et aux sociétés étrangères utilisant le système bancaire américain de se fournir en pétrole vénézuélien, ce qui concerne la quasi-totalité des grands groupes de la planète.

De l'avis de nombreux observateurs, ces sanctions drastiques sont néanmoins contre-productives puisqu'elles permettent à Nicolas Maduro de se poser en victime de l'impérialisme américain tout en fragilisant Juan Guaido, obligé de les soutenir alors qu'elles n'ont jusqu'à présent conduit qu'à une détérioration des conditions de vie des Vénézuéliens.

La Chine, la Russie, l'Iran et Cuba comme derniers partenaires commerciaux

Privé de cette manne financière, le gouvernement du successeur et protégé d'Hugo Chavez s'est tourné vers d'autres partenaires, notamment chinois et russes, qui se chargent de distribuer son pétrole, de percevoir les revenus qui en découlent et de les reverser à PDVSA. "La Chine, Cuba, la Russie et l'Iran sont les derniers États qui soutiennent Maduro" constate Antero Alvarado, directeur régional du groupe de conseil Gas Energy Latin America interrogé par BFM Bourse. "Les Chinois importent encore du pétrole vénézuélien mais via des sociétés masquées. Les bateaux arrivent en Malaisie, puis passent par Singapour avant d'atteindre leur destination finale en Chine" détaille-t-il.

Téhéran cherche également à aider Nicolas Maduro à surmonter les sanctions américaines. Ce qui donne lieu à un drôle de ballet au-dessus de la mer des Caraïbes (chasse gardée des États-Unis), où des avions militaires vénézuéliens escortent régulièrement des navires pétroliers iraniens chargés de produits raffinés, payés avec les réserves d'or restantes du pays. Car contrairement aux apparences, le Venezuela est au moins aussi dépendant de ses exportations que de ses importations de pétrole, le pays ayant besoin d'importer quotidiennement 120.000 barils de brut léger pour le mélanger à son brut plus lourd et le rendre utilisable.

"Maduro a besoin des grosses sociétés pétrolières occidentales. Sauf que depuis l’entrée en vigueur des sanctions américaines, les États-Unis contrôlent tout. Et si un groupe comme Total arrive au Venezuela, ils vont leur demander de rendre des comptes" ajoute Antero Alvarado. "C’est la même histoire que l’Union Soviétique dans les années 80, un pays en faillite qui tente d’entreprendre des réformes désespérées (Maduro a présenté le 30 septembre un "projet de loi constitutionnelle anti-blocus" qui propose de "conclure des alliances avec des entreprises à l’intérieur et à l’extérieur du Venezuela, afin de développer des secteurs économiques et des entreprises dans des domaines stratégiques, tels que les hydrocarbures") pour s'ouvrir au marché, sauf que c’est impossible tant que Maduro s'accroche au pouvoir" souligne l'expert.

Un désastre environnemental

À la triple crise économique, politique et sociale est récemment venu se greffer un désastre écologique. Car si, pour la première fois depuis plus d'un siècle, il n'y a plus aucune plateforme à la recherche de champs pétrolifères, "l'huile de roche" qui fournissait autrefois des emplois empoisonne aujourd'hui les moyens de subsistance des habitants. À Cabimas, une ville située sur les rives du lac Maracaibo au Nord du pays, autrefois le centre de production des prolifiques champs pétrolifères de la région, le brut qui s'écoule des puits et des oléoducs sous-marins abandonnés se répand désormais dans le lac et décime crabes et poissons, qui constituent l'aliment de base de la population locale. Lorsqu'il pleut, le pétrole qui s'est infiltrée dans le système d'égouts sort par les canalisations, s'écoule avec l'eau de pluie dans les rues et souille les maisons. La nuit, il n'est pas rare que les gaz toxiques émis depuis les puits laissés à l'abandon jettent une lueur orange sur la ville.

Fiers défenseurs du pétrole vénézuélien depuis des générations, les habitants de Cabimas qualifient désormais l'or noir d'"excrément du diable" - expression empruntée à l'éminent ministre des Mines et des Hydrocarbures du Venezuela Juan Pablo Perez Alfonzo (de 1959 à 1963, il a activement participé à la création de l'Opep) qui avait averti que la soudaine richesse pétrolière pouvait conduire à un endettement excessif et à la destruction des industries traditionnelles). La côte caribéenne du pays a ainsi été endommagée par au moins quatre marées noires majeures cette année, un nombre sans précédent, selon les biologistes vénézuéliens. Et si l'or noir s'écoule partout, il devient en revanche quasiment impossible de trouver de l'essence dans les stations-service (en dehors de Caracas), où les queues s'étendent parfois sur des kilomètres.

La situation est telle que les dizaines de milliers d'anciens salariés de PDVSA en sont réduits à démanteler les installations pétrolières à la recherche de ferraille. "Le vol d'équipements de base des infrastructures pétrolières, tels que le métal et les câbles, est un problème depuis des années. Les Vénézuéliens cherchent désespérément des sources de revenus complémentaires et n'hésitent pas attaquer les installations" confirme Lisa Viscidi. PDVSA propose d'ailleurs de payer les réparations majeures de ses stations de pompage avec de la ferraille et des pièces provenant d'installations pétrolières inutilisées. "C’est marginal" nuance néanmoins Antero Alvarado, qui explique que "beaucoup d’infrastructures sont obsolètes donc ils jettent ou revendent certaines parties".

Une situation bloquée sans le départ de Maduro

Quel scénario de sortie de crise? À cette question, les experts interrogés sont unanimes : "Pour récupérer son statut de pays producteur de pétrole, le Venezuela doit privatiser l'industrie des hydrocarbures. Et pour que cela soit possible, la loi doit être modifiée" révèle Antonio de la Cruz. La Constitution de 1999 établit de fait que PDVSA ne peut être privatisée et gardera le monopole des hydrocarbures se trouvant dans le sous-sol vénézuélien. Le groupe pétrolier peut cependant s'associer à d'autres sociétés dans le cadre d'entreprises mixtes, et octroyer des concessions dans le domaine de la distribution et le commerce des dérivés du pétrole. Si autoriser les compagnies occidentales à forer le sous-sol vénézuélien requiert un changement constitutionnel, "la crise se poursuivra tant que Nicolas Maduro reste au pouvoir car il n'a pas les capitaux nécessaires pour relancer les infrastructures de production pétrolière" souligne Antonio de la Cruz. Et quand bien même il parviendrait à renouveler l'Assemblée nationale, les sanctions américaines ne seront pas levées tant que le fils spirituel d'Hugo Chavez "n'aura pas abandonné le pouvoir, que ce soit Trump ou Biden qui gagne l’élection" précise Antero Alvarado.

Ce qui fait dire à Lisa Viscid qu'"une solution à la crise politique semble plus éloignée que jamais". "Les craintes d'aller protester dans la rue en raison de la pandémie n'ont fait qu'aider Maduro à consolider son pouvoir. L'opposition est divisée sur la question de savoir si elle doit participer aux prochaines élections législatives, qui seront certainement frauduleuses. Et les sanctions américaines n'ont pas réussi à donner à Maduro un coup de grâce pour le pousser à quitter le pouvoir" énumère-t-elle pessimiste.

Même dans le scénario où il y aurait un changement de régime au Venezuela en 2021, "un nouveau gouvernement n'aurait pas non plus les ressources nécessaires pour relancer la production de PDVSA", ni en capitaux ni en hommes puisque Hugo Chavez avait licencié quelque 20.000 professionnels du secteur peu après son arrivée au pouvoir en 1998 souligne Antonio de la Cruz, selon qui "la chute des cours pétroliers en 2014 a mis en évidence le manque criant de professionnels capables de faire face à la baisse accélérée de la fiabilité opérationnelle".

En conclusion, Antero Alvarado juge que "si le système actuel a été créé par (et pour) la corruption généralisée, l'arrivée de groupes privées occidentaux aux commandes rendrait sans doute le système bien plus sain", ce qui pourrait permettre au pays de sortir de cette crise qui semble aujourd'hui inextricable. Le chemin pour y arriver risque toutefois de se révéler long et tortueux.

Quentin Soubranne - ©2023 BFM Bourse
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