(BFM Bourse) - Le titre de la maison-mère de Gucci a regagné 50% sur les trois derniers mois, partant, certes, de très bas. L'arrivée aux manettes du dirigeant italien et ex-directeur général de Renault a au moins en partie alimenté ce rebond, créant un certain enthousiasme auprès du marché.
Luca de Meo va-t-il insuffler l'esprit de la "Renaulution" - le plan stratégique qui lui a permis de redresser le constructeur automobile Renault - chez Kering en y opérant une "Keringlution"? C'est en tout cas le souhait qu'a formulé un actionnaire de la société, lors de l'assemblée générale extraordinaire du groupe de luxe, début septembre.
"Luca de Meo, faites que l'action Kering soit plus attractive et plus désirable que jamais, et rendez-nous la fierté d'appartenir à un grand groupe familial de luxe, apte désormais à jouer dans la cour des grands, LVMH et Hermès", a également demandé cet actionnaire lors de la séance de questions-réponses.
Pour la potentielle "Keringlution", il faudra attendre. Luca de Meo a, à cette même occasion, indiqué qu'il comptait présenter son futur plan stratégique au printemps 2026. Mais le désormais ex-directeur général de Renault a prévenu qu'il serait "rapide, efficace, décisif" et n'attendrait pas la finalisation de ce plan pour agir, évoquant des mesures qui seront prises d'ici à la fin de l'année.
Le dirigeant a aussi jugé que Kering devait continuer à se désendetter, réduire ses coûts et "là où cela s'impose, rationnaliser, réorganiser et repositionner certaines de nos marques". Ce qui exigera des décisions "pas toujours faciles", a reconnu Luca de Meo, qui a officiellement pris ses fonctions le 15 septembre.
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Des premières annonces
Les premiers changements n'ont pas tardé. Deux jours après l'arrivée officielle du dirigeant italien, Kering a annoncé la nomination de Francesca Belletini, auparavant directrice générale adjointe du groupe, au poste de PDG de Gucci, la plus importante marque du groupe (40% du chiffre d'affaires et 50% du résultat opérationnel courant au premier semestre).
Autre annonce: un pacte d'actionnaire permettant à Kering de potentiellement racheter le groupe Valentino a été amendé, le 11 septembre. Ce qui, pour simplifier, revient à geler le capital de la marque italienne jusqu'en 2028 au plus tôt. Actuellement Valentino est détenu à 30% par Kering et à 70% par le fonds qatari Mayhoola. Quelques jours plus tard, Valentino et Kering ont noué un partenariat, la griffe italienne confiant à "Kering Eyewear", la société du groupe spécialisée dans la lunetterie de luxe, les droits de développement et de distribution des lunettes de soleil et de vue de sa marque.
"Bien que ces mesures aient un impact quantitatif limité à court terme, elles envoient un signal fort: de Meo agit de manière décisive", a commenté Jie Zhang, analyste chez le bureau d'études Alphavalue, dans une note.
La Bourse pas rebutée par le "car guy"
Luca de Meo reste "un car guy", un passionné d'automobile, avec une expérience professionnelle dans le luxe jusqu'à présent quasi inexistante (à moins que l'on prenne en compte ses initiatives pour développer la marque sportive de Renault, Alpine). Le dirigeant italien a lui-même convenu que le choix de François-Henri Pinault, le président du conseil d'administration de Kering, de le nommer directeur général pouvait "surprendre".
Le même François-Henri Pinault a néanmoins expliqué aux actionnaires que le polyglotte Luca de Meo (il parle français, anglais, italien, allemand et espagnol) avait démontré son "aptitude à piloter des organisations complexe, à fédérer les équipes et à conduire des transformations profondes". Surtout, l'héritier de la famille Pinault a souligné la passion de l'Italien pour le "produit" ainsi que "l'attention qu'il porte à la création". Cette "sensibilité à la culture des marques" s'avère indispensable pour piloter Kering, a-t-il ajouté.
Le marché, lui, a fait plus qu'accorder le bénéfice du doute à Luca de Meo. L'action Kering a repris 24,8% sur un mois, ce qui constitue la plus forte hausse du CAC 40 sur cette période. Le titre gagne même 50% sur trois mois, ce qui coïncide peu ou prou avec l'annonce de sa nomination chez Kering (mi-juin).
Aidé par une première collection prometteuse de Gucci?
Certes, le bond du titre doit être nuancé, car le groupe de luxe était tombé dans les abysses boursières, en raison de la chute des ventes de Gucci et du plongeon de sa rentabilité. Au premier semestre, les revenus de la marque italienne ont encore baissé de 25% en données comparables, après avoir déjà fondu de 21% en 2024. Sur cinq ans, l'action du groupe reste en repli de 49%.
Il n'empêche que Luca de Meo a commencé à charmer les investisseurs. UBS a souligné, mardi, que les changements de direction, et donc son arrivée à la tête du groupe, "apportent un espoir de stabilisation pour le groupe après plusieurs années de sous-performance due à Gucci".
"L'arrivée de Luca de Meo a amené le marché à se projeter sur le moyen terme et à envisager un scénario de redressement de Kering qu'il ne jouait pas auparavant. Les investisseurs se sont emparés de cette thématique", explique un analyste anonyme.
Ce dernier évoque également, pour expliquer la récente hausse du titre Kering, la présentation, la semaine dernière, de la première collection de Gucci par son nouveau directeur artistique, Demna Gvasalia (connu sous le nom de "Demna"), qui a succédé en juillet à Sabato de Sarno à la tête de la création de la griffe transalpine.
"La collection a fait pas mal de bruit, cela a remis un peu Gucci au centre de la conversation. Elle a également pu rassurer les sceptiques redoutant que Demna reste dans le style (provocateur, NDLR) qu'il avait chez Balenciaga, mais cela n'a pas été le cas", développe cet analyste, qui évoque un "début prometteur". Même si les articles de cette collection ne produiront leurs effets dans les magasins du groupe que d'ici quelques mois.
Un avis que les analystes de HSBC, semblent partager, même s'ils reconnaissent humblement, dans une note publiée mercredi, qu'en tant qu'analystes financiers ils n'ont pas forcément les compétences pour juger "les tendances de la mode et le talent créatif".
Mais ces experts de marché soulignent que Demna a tenté de s'adresser à une audience large en termes de style, d'âge et de genre, évitant de tomber dans une niche, ce qui est selon eux le bon pli à prendre. Ils estiment aussi que le directeur artistique devrait être en mesure de générer du trafic dans les magasins.
"Aucune amélioration tangible" pour le moment
Pour revenir à Luca de Meo, le marché est-il allé un peu vite en besogne en espérant un redressement de la part du dirigeant italien?
Les analystes de Bernstein penchent plutôt du bon côté de la balance au niveau de leur opinion sur De Meo et Demna. Pour autant, ils se montrent prudents.
En Bourse, les histoires reposant sur les leviers internes de performance (ce que l'on appelle les "self-help story") "connaissent rarement une trajectoire ascendante régulière, mais plutôt de nombreuses fluctuations importantes à la hausse et à la baisse", exposent-ils dans une note publiée mi-septembre.
"Kering ne devrait pas faire exception. Le cours de l'action a déjà progressé de 50% par rapport à ses récents creux. Et la société n'a encore montré aucune amélioration tangible", pointent ces analystes.
Certes, la nomination de Luca de Meo, de même que le changement créatif avec Demna, sont "encourageants", reconnaissent les spécialistes de Bernstein.
"Mais il s'agit toujours d'un pari qui dit 'j'espère', en tablant sur le fait que De Meo consolide le bilan et renforce l'équipe de direction et que Gvasalia fasse ses preuves", tranchent-ils.
Les analystes HSBC sont, eux, optimistes et ont d'ailleurs relevé début septembre leur conseil à l'achat sur Kering.
"Ce qui nous semble le plus pertinent, c'est que Kering dispose désormais d'un nouveau dirigeant capable de remédier à ce qui a fait défaut à l'entreprise ces dernières années: un sentiment d'urgence et de simplicité (trop de chefs chez Gucci, duplication au niveau de l'entreprise, etc...). Nous pensons qu'il ne peut qu'apporter son aide sur ces deux fronts", ont-ils expliqué.
"Nous sommes enthousiasmés par ce changement, principalement parce que nous pensons que dans l'univers de la consommation, il est difficile de contester l'enthousiasme lié à l'espoir que suscite l'arrivée d'un directeur général recruté en externe" ajoutent-ils.
Un potentiel gigantesque ?
Les analystes de HSBC ont en tête les récents succès chez Adidas et Burberry, où les patrons respectifs, Bjorn Gulden et Josh Schulman, ont su redynamiser les équipes, l'opérationnel et surtout le cours de Bourse (hausse de 85% de l'action en 24 mois chez Adidas, progression de 70% du titre Burberry depuis l'arrivée de Schulman).
"Malgré un contexte de marché toujours difficile, les premières mesures prises par de Meo renforcent considérablement notre confiance dans le redressement de Kering", a de son côté écrit Jie Zhang, d'Alphavalue.
Fait amusant: plusieurs bureaux d'études expliquent avoir vu la série "Anatomy of a comeback" diffusée sur Amazon Prime, qui relate l'histoire du redressement de Renault sous la houlette de De Meo (HSBC y fait même subtilement référence dans la note contenant son relèvement de conseil sur l'action de la société).
"Dans ce documentaire, il parle de désirabilité des marques, ce que l'on retrouve dans l'univers du luxe. Certes, il a une moins bonne connaissance de ce secteur que de l'automobile. Mais ce n'est pas ce qu'on lui demande. Il lui faut apporter un regard neuf et avoir la capacité de prendre des décisions difficiles, avec de l'énergie, du leadership et un esprit de compétitivité que le groupe avait peut-être un peu perdu. Il fallait recréer une ambiance positive. Cela a l'air futile dit comme cela, mais c'est la réalité des choses, on est dans un métier de personnes", explique l'analyste anonyme précédemment mentionné.
Pour cet expert de marché, "on est sur le début de l'histoire (en Bourse, NDLR) et si les choses se goupillent bien, cela peut aller très loin, même s'il ne s'agira pas d'une ligne droite, d'un long chemin tranquille". "Mais on sent l'appétit des investisseurs", et le potentiel de hausse '"est bien plus élevé que chez Burberry", qui a regagné 74% sur un an, conclut-il.
En attendant, Kering présentera son activité du troisième trimestre le 22 octobre prochain, une publication qui ne devrait pas montrer de grand miracle. UBS table sur un repli des ventes de 9% au global en données comparables et de 15% chez Gucci. HSBC anticipe pour sa part une baisse de 11,1% au niveau du groupe et de 18% chez Gucci.
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