(BFM Bourse) - Le secteur des semi-conducteurs n'est pas épargné par la crise. Face au tassement de la demande de ses principaux clients, Soitec, le leader mondial du matériau SOI n'a d'autre choix que de réduire ses coûts et de continuer à travailler à l'élargissement de la diffusion de sa technologie. Olivier Brice, Responsable des Relations Investisseurs de Soitec, analyse la situation avec un pragmatisme optimiste.

Tradingsat.com : Selon la rumeur, le fonds souverain français censé défendre les secteurs stratégiques contre les prédateurs étrangers, s'intéresse à Soitec.

Olivier Brice : Notre politique est de ne pas commenter les rumeurs et nous n'avons pas d'actualité particulière sur ce sujet. Cela étant dit, je rappelle que notre technologie Smart Cut™ de production de silicium sur isolant est protégée par 2000 brevets, qui sont la propriété à la fois du Commissariat à l'Energie Atomique et du Léti [Laboratoire d'Electronique et de Technologie de l'Information] et donc de Soitec, à travers une licence exclusive que le CEA nous a accordée.

Tradingsat.com : La récession menace, le récent avertissement d'AMD votre premier client, vous inquiète-t-il ?

Olivier Brice : AMD utilise le SOI pour toute ses activités CPU, c'est-à-dire les microprocesseurs, mais la filiale ATI fabrique les processeurs graphiques à partir de substrats « bulk » standard. Ce qui fait l'actualité d'AMD pour la partie qui intéresse Soitec, c'est donc le succès du lancement récent du processeur quadcore pour serveurs en 45 nm, le fameux Shanghaï, qui aura sa version grand public début 2009, le Phenom II, qui est important. Bien sûr la conjoncture est difficile et la demande s'est ralentie, mais ce qui compte, c'est qu'AMD soit de nouveau en mesure d'avoir une offre jugée très compétitive après les problèmes rencontrés sur le Barcelona.

Tradingsat.com : Dans quels domaines portent vos efforts de réduction des coûts pour traverser la crise ?

Olivier Brice : Pour tenir compte de l'environnement économique dégradé et de l'incertitude générale, nous avons initié, relativement tôt, un programme qui s'appuie en priorité sur le procédé de recyclage « Refresh ». Le but est d'abaisser le poids de la consommation de matière première dans le prix de revient d'une plaque SOI. Deux wafers sont utilisés pour fabriquer wafer SOI. L'un est un simple support mécanique, tandis que l'autre va produire la couche d'isolant dans le substrat. Ce deuxième wafer peut être réutilisé un nombre de fois « n » que nous cherchons à augmenter. C'est une piste de réduction des coûts très sérieuse. Nous nous attaquons à 50% du prix de revient. Deuxièmement, nous avons réduit de 15% nos frais administratifs et commerciaux sur le premier semestre et gelé nos investissements.

Tradingsat.com : La réduction des investissements ne risque-t-elle pas de nuire aux développements futurs de la société ?

Olivier Brice : Nous ne le pensons pas ! D'abord, je rappelle que notre nouvelle usine de Singapour, dédiée à la fabrication de plaques SOI de taille 300 mm, est achevée. Elle ne nécessite donc plus aucun investissement majeur dans l'attente de la concrétisation de la demande. Ensuite, il faut absolument distinguer l'effort de R&D, qui ne ralentit pas – il était de 10% du chiffre d'affaires au premier semestre. L'effort de R&D est maintenu pour soutenir la croissance future.

Tradingsat.com : La scission d'AMD change-t-elle quelque chose pour Soitec ?

Olivier Brice : Concrètement, pas grand chose. Notre client va devenir « The Foundry Company », coentreprise détenue par AMD et ATIC, société d'investissement contrôlée par le gouvernement d'Abu Dhabi. En attendant la construction d'une nouvelle usine aux Etats Unis, nous continuons à livrer nos plaques SOI aux usines de Dresde en Allemagne. L'élément central que nous retenons de cette opération, c'est qu'à travers la finalisation de cette opération, AMD va retrouver une marge de manœuvre financière qui va lui permettre de continuer à investir.

Tradingsat.com : AMD a démenti des rumeurs selon lesquelles le SOI ne serait plus pertinent pour une finesse de gravure de 32 nm. Votre avis ?

Olivier Brice : L'industrie des semi-conducteurs évolue au rythme de la loi de Moore, selon laquelle les performances des processeurs doublent tous les dix-huit mois. A chaque nœud technologique, les industriels se posent des questions et évaluent l'opportunité de changer de substrats. Concernant le SOI, AMD a clairement réaffirmé son intention de l'utiliser pour ses processeurs en 45 et 32 nm. La question se posera plus tard pour le 22 nm, de la même façon qu'elle s'était posée dans le passé à 90 nm, puis 65 nm….

Tradingsat.com : Quelle avancée représente l' « offre foundry SOI » lancée par IBM en partenariat avec ARM et Chartered ?

Olivier Brice : La première chose qu'il faut comprendre, c'est qu'IBM est un fabricant de puces électroniques au sens large, un acteur intégré qui maîtrise tout le processus, depuis la conception jusqu'à la fabrication de ses puces. Jusqu'à présent, un industriel non intégré qui souhaitait fabriquer des puces sur SOI était confronté au problème de la disponibilité du design : soit il finançait lui même l'investissement dans le design, soit il se tournait vers une solution captive parce qu'il utilisait une technologie propriétaire. Désormais, ces tiers auront accès à des bibliothèques développées par le concepteur de design de microprocesseurs industriels ARM, ce qui leur permettra de concevoir leurs propres puces et d'utiliser l'offre fonderie ouverte d'IBM.

Tradingsat.com : Cela devrait donc favoriser la diffusion de la technologie SOI.

Olivier Brice : Nous le pensons. Nous nous sommes d'ailleurs faits l'écho de « design wins » d'IBM, qui a semble-t-il a convaincu plusieurs industriels de concevoir leurs puces sur SOI en utilisant la plate-forme développée par ARM. Trois domaines d'applications ont été clairement cités : d'abord la télévision haute définition HDTV ; ensuite le « storage », soit le domaine du stockage de données (contrôleurs de disques durs) ; et enfin ce qu'on appelle le MID, soit le « mobile internet device », ce sont les futures générations de téléphones portables.

Tradingsat.com : D'ici combien de temps ces produits à base de SOI pourraient-ils arriver sur le marché ?

Olivier Brice : Traditionnellement entre, un « design win » et une mise en production, il s'écoule de l'ordre de 12 à 18 mois…

Tradingsat.com : Peut-on dire que le consortium SOI remplit sa mission ?

Olivier Brice : Le consortium s'étoffe ; il est désormais composé de 25 membres. Avec l'arrivée de NVidia, il comprend désormais les deux acteurs principaux dans les cartes graphiques haut de gamme. Le consortium est un lieu d'échange qui donne l'assurance aux industriels potentiellement intéressés par le SOI de pouvoir dialoguer avec toute la chaîne de valeur, des concepteurs jusqu'aux fabricants. Il faut comprendre que si le succès de Soitec s'est construit auprès des grands IDMs « integrated devise manufacturers », le monde des mobiles, du « wireless » ou du « home entertainment » n'est en revanche pas intégré. Il faut donc fournir au client les réponses à ses questions et les bons outils sur l'ensemble de la chaîne de valeur. En ce sens, le consortium répond parfaitement aux attentes.

Propos recueillis par François Berthon