(BFM Bourse) - On la pense inépuisable mais l'eau douce, celle dont nous avons besoins pour boire et cultiver des aliments, est en réalité une ressource limitée. Zoom sur une situation bien plus préoccupante qu'il n'y paraît.
L'eau douce reste un bien rare sur la planète. 2,1 milliards de personnes, soit 30% de la population mondiale, n’ont ainsi toujours pas accès à des services d’alimentation domestique en eau potable et 4,5 milliards, soit 60%, ne disposent pas de services d’assainissement gérés en toute sécurité, selon le dernier rapport commun publié en mars par l'OMS et l'Unicef. "La consommation quotidienne en eau par habitant dans les zones résidentielles s’élève à 600 litres en Amérique du Nord et au Japon, entre 250 et 350 litres en Europe, elle est de 10 à 20 litres en Afrique subsaharienne. La moyenne mondiale de consommation d’eau par an est de 600 mètres cubes par habitant, soit 137 litres par jour. Au cours de 100 dernières années, la population mondiale a triplé, alors que la consommation d’eau pour l’utilisation humaine a été multipliée par 6", souligne John Plassard, directeur des investisseurs chez Mirabaud Securities.
Et la situation ne va pas s'améliorer. L'IME (Institution of Mechanical Engineers) affirme de fait que les besoins en eau -pour répondre à la demande alimentaire des humains- pourraient atteindre entre entre 10 et 13,5 milliards de mètres cubes par an en 2050, soit environ le triple de la quantité actuellement utilisée. Le Fonds mondial pour la nature (WWF) estime pour sa part que deux tiers de la population mondiale pourraient être confrontés à des pénuries d'eau, et ce dès 2025, quand les Nations Unies jugent que deux milliards de personnes vivent déjà dans des pays subissant un stress hydrique élevé. "Le changement climatique, l'augmentation de la population mondiale, la demande accrue de l'agriculture et l'expansion des zones urbaines sont autant de facteurs qui ne feront qu'accentuer ce stress dans les années à venir" avance John Plassard, qui parle d'un "drame mondial".
Celui-ci, qui concerne à la fois les pénuries et les problèmes d'accès à l'eau, est susceptible de limiter la croissance économique selon le dernier rapport de l'Unesco.
La Californie en première ligne
Et le problème n'est pas circonscrit à l'Afrique et aux pays en voie de développement, loin s'en faut. "Dans la vallée de Tulare, située au cœur de la Californie, où sont cultivés deux tiers des fruits des États-Unis, plusieurs milliers d'arbres ont été arrachés et certains éleveurs ont choisi de réduire leurs troupeaux par manque d'eau. Si cette sécheresse est due à une météo clémente, elle est aussi (et surtout) à mettre sur le compte des cultures intensives" souligne John Plassard.L'État de l'Ouest américain, qui serait le 5e PIB mondial (devant le Royaume-Uni ou la France) s'il était un pays indépendant, avait déjà défrayé la chronique en novembre dernier, lorsque des contrats à terme sur l'eau californienne avaient été lancés par le Chicago Mercantile Exchange (CME) et le Nasdaq californien. Une grande première pour cette ressource naturelle, devenue à cette occasion une matière première et un actif financier, à l'instar du blé ou du pétrole. Objectif affiché par les opérateurs: permettre aux très gros consommateurs, agriculteurs en tête, d'avoir une meilleure visibilité sur la disponibilité de l'eau et pouvoir ainsi se couvrir contre les variations de prix.
Face à cette situation, il convient en premier lieu de s'interroger sur nos habitudes de consommation. Et de garder quelques chiffres en tête: il faut entre 5.000 litres (porc) et 15.000 litres d'eau pour produire 1kg de viande, quand il en faut entre 500 et 4.000 pour 1kg de blé, selon des données de l'IME. N’en déplaise aux Suisses, le chocolat fait partie des aliments les plus consommateurs d'eau avec 17.196 litres d'eau nécessaires pour produire 1 kg de produit, quand la bière, le thé et le vin sont (logiquement) les produits qui en consomment le moins. Du côté des aliments, la palme revient à la tomate (216 litres pour 1kg) et au chou (237 litres) et aux pommes de terre (287 litres).
Forte thématique d'investissement
Si la situation est pour le moins inquiétante, elle représente aussi une thématique d’investissement très forte selon John Plassard. "Le but ici n’est bien évidemment pas de profiter de cette situation dramatique, mais plutôt d’analyser les sociétés qui seront les plus à même d’améliorer cette situation en développant des solutions et des méthodes pour combattre ce fléau".Et l'expert de citer Danaher Corp et Roper Technologies concernant les réseaux intelligents de gestion de l'eau, Evoqua pour la purification "chimique" de l'eau via des systèmes de traitement des eaux usées, Xylem et Rexnord (fourniture de pompe, équipements de traitement et d’analyse) ou encore le spécialiste de l'agriculture intelligente Pentair. En Europe, John Plassard recommande notamment d'investir sur nos deux champions nationaux que sont Veolia et Suez, ou sur le spécialiste suisse des systèmes d’évacuation des eaux usées et installations sanitaires Geberit. Il existe par ailleurs de nombreux ETF (ESG responsable) reprenant la thématique, ajoute-t-il.
Rendu riche par l'effondrement du marché immobilier sur lequel il avait misé, puis célèbre grâce au film "The Big Short", l'investisseur Michael Burry ne s'y est pas trompé et expliquait, dès 2010, avoir investi dans des exploitations agricoles (notamment des cultures d'amandes, dont 80% de la production mondiale se situe en Californie et qui nécessitent des quantités astronomiques d'eau) disposant de réserves hydriques sur place. Il concentre d'ailleurs l'intégralité de ses investissements sur cette matière première, comme indiqué dans les dernières lignes du film susmentionné - "The small investment he still does is all focused on one commodity: water". Au cours des dix dernières années, sa société de gestion Scion Asset Management affiche un rendement global de 489,34 % nets de frais.