(BFM Bourse) - Le Kospi, indice principal de la Bourse de Séoul, s'adjuge 48% depuis le début de l'année, signant d'assez loin la plus forte hausse des pays développés. Des valorisations au tapis, la fin de l'incertitude politique, des réformes pour rendre le marché plus attrayant auprès des investisseurs et l'essor de l'IA sont autant d'éléments qui expliquent ce rallye.
La culture coréenne trône, depuis quelques années, sur le devant de la scène. L'année 2025 n'y fait pas exception.
Le long-métrage "KPop Demon Hunters" est devenu le film Netflix le plus populaire de tous les temps, avec 325 millions de vues. Le célèbre groupe de K-pop Black Pink a effectué une tournée mondiale, avec notamment deux dates au Stade de France. Et la dernière saison de Squid Game, une série coréenne au succès mondial, a été diffusée au printemps (également sur Netflix).
Ce 'soft power" se propage à d'autres pans de la société, notamment le maquillage, avec la "routine beauté" coréenne, la "K-Beauty", qui séduit de plus en plus. Au point que certaines marques de cosmétiques coréennes commencent à marcher sur les platebandes de L'Oréal.
En Bourse aussi la Corée du Sud a le vent en poupe. Tout du moins cette année. Depuis le 1er janvier, le Kospi, l'indice phare de la Bourse de Séoul, prend 50,5% (*) et éclipse la performance du CAC 40 (évidemment), qui prend 7,3%, mais aussi du Nasdaq Composite (+17%) du Dax 40 de Francfort (+21,76%) ou de l'Ibex 35 de Madrid (+33,5%).
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Encore un pays émergent en Bourse
En réalité, la Bourse de Séoul signe la plus forte performance des principaux marchés (même Hong Kong est loin) mondiaux et des pays développés.
Encore que le terme "développé" ne semble pas s'appliquer tant que cela. Dans une note publiée en juillet 2024, Goldman Sachs expliquait que la Corée était classée sur les marchés comme un pays "émergent" et "non pas développé".
La faute à ce que l'on appelle la fameuse "décote coréenne" ("korean discount"). Ce rabais de marché fait référence au fait que les entreprises coréennes sont traditionnellement valorisées à des multiples boursiers bien inférieurs à ceux de sociétés comparables d'autres marchés.
Selon Franklin Templeton, cette décote s'explique par un ensemble de facteurs, tels qu'une gouvernance d'entreprises qui laisse grandement à désirer ou encore un traitement "pauvre" des actionnaires minoritaires.
"La structure 'Chaebol' (le terme désignant des grands conglomérats familiaux coréens comme Samsung, NDLR) des sociétés, qui se caractérise par des participations croisées et un contrôle familial des entreprises, sans participation économique proportionnelle, est également un facteur qui pèse sur les valorisations", ajoutait l'intermédiaire financier.
Une incertitude politique qui prend fin
Pour revenir à la performance boursière des indices coréens, comment expliquer qu'ils ont connu une hausse aussi prononcée en 2025?
La première raison demeure en réalité assez simple: les actions coréennes étaient tombées très bas.
En avril, le Kospi était même entré en "bear market", une phase de marché baissier qui survient lorsqu'un indice accuse une baisse de 20% par rapport à son dernier sommet atteint (en l'occurrence juillet 2024).
Comme l'ensemble des places mondiales, les actions coréennes avaient alors pâti de l'annonce des droits de douane réciproques de Donald Trump. La place de Séoul était également encore plombée par une incertitude politique très importante, quelques mois après que le président coréen, Yoon Suk Yeol, a instauré pendant moins de 24h la loi martiale. Ce qui avait abouti à sa destitution.
Cette incertitude politique a pris fin en juin dernier, après la victoire à la présidentielle de Lee Jae-myung, du Parti démocrate (centre gauche). Son élection constitue l'une des fondations du rallye des actions coréennes. D'autant que le dirigeant avait déclaré vouloir ériger la croissance en priorité. Le Kospi avait pris 2,45%.
"Le marché réagit en Corée parce qu'il y a un nouveau président en place après la déclaration de la loi martiale", a assuré au New York Times Tom Ramage, analyste en politique économique auprès du Korea Economic Institute of America, un groupe de réflexion soutenu par le gouvernement sud-coréen. "Les gens cherchaient vraiment une certaine stabilité", ajoute-t-il.
Un président coréen avec un slogan boursier
Outre des négociations avec l'administration Trump qui ont amené les surtaxes douanières à être limitées à 15% (comme pour l'Europe et le Japon), le président coréen a mis en place un certain nombre de mesures et de réformes pour dynamiser le pays. Mais aussi (et surtout) pour attirer les investisseurs étrangers sur le marché.
L'un de ses premiers déplacements, après avoir été élu, a d'ailleurs eu lieu à la Bourse de Séoul, une visite durant laquelle il s'est engagé à soutenir la place. D'ailleurs, pendant sa campagne, Lee avait comme slogan "Kospi 5.000" ("le Kospi à 5.000 points, sachant qu'il se situe actuellement à 3.611 points). Un peu comme si Emmanuel Macron avait mené une campagne avec comme mot d'ordre "le CAC 40 à 10.000 points".
L'un de ses grands chevaux de bataille a été de changer le code de commerce pour résorber "la décote coréenne" évoquée précédemment, de sorte à protéger les intérêts des actionnaires minoritaires. La réforme, approuvée en septembre dernier, selon Bloomberg, a notamment acté la responsabilité légale des membres du conseil d'administration envers l'ensemble des actionnaires, et pas seulement pour les plus importants. Le texte a également limité à 3% les droits de vote des actionnaires les plus puissants lorsqu'un comité d'audit est nommé. Une victoire pour le président coréen face à la résistance des "chaebol".
"En limitant les droits de vote des principaux actionnaires, cette mesure protège en retour les actionnaires minoritaires. La révision marque le début des efforts pour éliminer la décote coréenne", a déclaré au Korea Times Kim Doo-eon, analyste chez Hana Securities.
"La Corée est exclue de la liste de surveillance du Morgan Stanley Capital International (MSCI) pour les marchés développés en raison de la faible confiance des investisseurs étrangers, mais cette révision (du code du commerce, NDLR) augmente les chances d'inclusion l'année prochaine et renforce les perspectives d'inclusion dans l'autre indice, le MSCI Developed Markets d'ici 2027", a apprécié, également auprès du Korea Times Suh Sang-young, de Mirae Assets Securities.
Lee Jae-myung avait auparavant (mi-juin) dévoilé un plan de relance de plus de 20 milliards de dollars pour stimuler la croissance du pays. Parmi les mesures prises figure la distribution de "coupon de dépenses" aux Coréens pour un montant tutoyant les 100 euros. Des aides au secteur de la construction ainsi qu'aux petites entreprises ont également été incluses, selon The Korea Herald.
L'IA et l'exemple japonais
Mi-Juillet, Paulo Salazar, responsable des marchés émergents chez Candriam évoquait" l'optimisme suscité par les réformes nationales récemment annoncées et le soutien budgétaire accordé par le nouveau président, Lee Jae-myung" pour expliquer les bonnes performances de la Bourse de Séoul.
La victoire de Lee Jae-myung a également donné un coup de projecteur à des efforts entrepris depuis l'année dernière par les autorités sud-coréennes. La Commission des services financiers coréens avait annoncé en février 2024 un programme appelé "Corporate Value Up program", une sorte de code de bonne conduite, pour amener les sociétés coréennes à favoriser la rentabilité des actionnaires. Goldman Sachs explique que ce programme vise, pour toutes les sociétés coréennes cotées sur le Kospi, une rentabilité des capitaux propres ("return on equities") de 10% sur trois ans, en moyenne, ainsi qu'une amélioration des scores de gouvernance.
En réalité, les marchés coréens ont tenté de répliquer des initiatives similaires sinon identiques prises par le Tokyo Stock Exchange, la Bourse de Tokyo, et qui ont été couronnées de succès, comme nous l'avons expliqué dans un précédent article.
"Si la Corée parvient à améliorer la valeur de société cotée comme le Japon l'a fait, le Kospi pourrait atteindre 4.500 points", a expliqué à The Korean Daily Economic Lee Han-young de Vogo Fund Asset Management.
Un dernier facteur peut expliquer la bonne dynamique des actions coréennes, à savoir l'essor de l'intelligence artificielle, une thématique qui porte Wall Street depuis plusieurs années mais qui s'est diffusée à plusieurs autres places, notamment les marchés chinois et coréens. Rappelons que Samsung Electronics demeure l'un des plus importants fondeurs et donc fabricants de puces au monde, et même le plus grand derrière le taïwanais TSMC (qui domine toutefois allègrement le marché).
D'ailleurs l'action Samsung Electronics et celle de SK Hynix, un autre fabricant coréen de semi-conducteurs, ont bondi de 3,7% et 9,9% la semaine dernière après que les deux groupes ont signé des lettres d'intention pour des contrats avec la start-up américaine OpenAI.
Là encore, Lee Ja-myung a apposé sa pierre à l'édifice, via une nomination clef. "Le président Jae-Myung Lee a nommé Jung-Woo Ha, responsable de l'IA chez Naver (une entreprise surnommée le "Google de Corée du Sud", NDLR), comme secrétaire principal à l'IA et à la stratégie future", remarque Edmond de Rothschild Asset Management.
Toutefois, le président coréen devra redoubler d'efforts, de l'avis des analystes, pour faire grimper le Kospi jusqu'à 5.000 points.
Cité par le Korea Times, Kim Byung-yeon, analyste chez NH Investment & Securities, a déclaré que le soutien du gouvernement à l'activité dans des secteurs clés, notamment les semi-conducteurs, les batteries secondaires, l'automobile et l'acier, sera crucial, car les entreprises concernées représentent une part importante de la capitalisation boursière du Kospi.