(BFM Bourse) - L'évolution de la politique monétaire de la Fed et de la BCE, de laquelle dépendra celle des marchés actions mondiaux, devrait se décider dans les 30 prochains jours avec la publication de trois indicateurs cruciaux concernant l'inflation, prévient John Plassard, spécialiste des investissements chez Mirabaud.
Dans le flou depuis des mois, les investisseurs devraient bientôt y voir plus clair sur les futures décisions de politique monétaire de la Fed et de la BCE. "La nette hausse de l’inflation a pris les banques centrales de court ces 3 derniers mois. Que cela soit aux États-Unis, en zone euro, en Grande-Bretagne ou encore au Japon" constate d'emblée John Plassard, directeur adjoint des investissements chez Mirabaud Securities. "Face à ces hausses de prix non maîtrisées, certains banquiers centraux ont pris le taureau par les cornes à l’image de la Banque d’Angleterre qui vient de relever ses taux une nouvelle fois. La Fed devrait suivre et peut-être aussi la BCE. Mais tout va se décider lors de ces 30 prochains jours" prévient-il, arguments à l'appui.
Principale préoccupation des banquiers centraux (et des marchés), la poussée des prix à la consommation atteint de fait partout des niveaux inédits depuis des décennies - elle s'est inscrit à +7% aux Etats-Unis en décembre en rythme annualisé, un record depuis 1982 et à +5,1% sur un an en janvier en zone euro, record absolu depuis 1997, année lors de laquelle Eurostat a commencé à publier ces données). Et si les banques centrales sont logiquement "à l’affut", les rythmes de normalisation sont différents.
"Au niveau américain par exemple la normalisation monétaire est en cours avec vraisemblablement une première hausse des taux en mars prochain -avec cependant des interrogations concernant son amplitude (25 ou 50 points de base) [soit 0,25 ou 0,50 point de pourcentage, NDLR]. Plus proche de nous, en zone euro, Christine Lagarde a finalement admis [ce jeudi, NDLR] que l’inflation pourrait poser plus de problèmes que prévu et que le risque était "à la hausse", terme qui n’avait plus été utilisé depuis 7 ans" décortique l'expert. "Bref, on comprend bien que les instituts monétaires vont devoir agir" pour tenter d'endiguer la hausse des prix à la consommation. "La question est néanmoins de savoir exactement quand ces décisions seront prises" selon John Plassard.
Vers une hausse de taux dès mars pour la Fed
Après avoir martelé pendant de longs mois que l'inflation était "transitoire" et posé le "plein emploi" comme critère à un relèvement de taux, Jerome Powell a changé son fusil d'épaule fin novembre dernier. Devant la commission bancaire du Sénat, le patron de la Fed a affirmé que "le moment était probablement venu de ne plus utiliser le mot transitoire", et que "les risques d’une inflation plus persistante s’étaient accrus". "Avant dernier épisode, la publication des "minutes" (compte-rendu d'une réunion de politique monétaire) de la Fed, mi-décembre 2021, a laissé augurer d’un durcissement plus important et plus rapide des conditions monétaires pour contrer l’inflation avec notamment l'annonce de la fin des achats de bons du Trésor d'ici mars 2022" rembobine John Plassard.
Enfin, à l'issue de la dernière réunion de la Fed, '"Jay" Powell "a déclaré que le comité de politique monétaire était d'avis d'augmenter les taux des fonds fédéraux lors de la réunion de mars, en supposant que les conditions soient appropriées pour le faire". Et parallèlement à cette sortie, le président de la Fed d'Atlanta Raphael Bostic n'a de son côté "pas écarté l'idée de relever les taux d'un demi-point de pourcentage (contre une augmentation classique de 25 points de base) si l'inflation reste élevée" souligne-t-il encore.
Pour déterminer l’ampleur de la hausse des taux, il faudra donc se fier à 2 chiffres selon John Plassard: ceux des prix à la consommation (mesurés par l'indice CPI) aux États-Unis aux mois de janvier et février, qui seront respectivement publiés ce jeudi, et le 10 mars prochain. De fait, si la Fed dit se focaliser surtout sur une autre donnée liée à l’inflation (l'indice "core" PCE -pour "dépenses de consommation personnelles-, excluant les composantes alimentaires et énergétiques, NDLR), "on a bien vu que ce sont les CPI qui ont fait réagir les marchés et évoluer le consensus".
Une "prise de conscience" de la BCE
Concernant la BCE, John Plassard rappelle que Christine Lagarde, comme son homologue états-unien, a répété à l'envi que l’institution ne devait pas resserrer trop tôt la politique monétaire en zone euro. "Le principal défi est de s'assurer que nous ne surréagissons pas aux chocs d'offre transitoires" liés à la pandémie de Covid-19 et qui n'ont "aucune incidence sur le moyen terme" avait-elle ainsi affirmé en ouverture du colloque annuel de la BCE à Frankfurt en septembre dernier. "Appelant à "prendre du recul" sur la poussée d'inflation constatée actuellement en zone euro, Christine Lagarde estimait alors qu'il y avait encore besoin d'une politique monétaire accommodante pour sortir de la pandémie en toute sécurité et "ramener durablement l'inflation à 2%"" se remémore John Plassard.Depuis, le discours a rapidement changé aussi. Si les gardiens de l'euro jugeaient toujours "très improbable" un relèvement des taux d'intérêt dès 2022 en décembre dernier, "les prémisses du changement du discours de Christine Lagarde étaient à voir dans les "minutes" de la BCE" relève l'expert. "Il a été mis en garde qu'un scénario d'inflation plus élevée plus longtemps ne pouvait être exclu" pouvait-on lire dans ce compte-rendu de la réunion de décembre. Celles-ci révélaient par ailleurs que la décision de mettre un terme au programme de rachat d'actifs PEPP tout en augmentant un autre programme (APP) n'avait pas été unanime, et que les prévisions d'inflations des responsables étaient très divisées.
Tout récemment enfin, ce 3 février, la dernière réunion de la BCE a sonné comme une "prise de conscience" selon John Plassard. Si l'institution campe sur sa position quant à la diminution de l'inflation élevée une fois que les coûts de l'énergie et les problèmes de chaîne d'approvisionnement auront diminué, "Christine Lagarde a insisté à plusieurs reprises sur les risques à la hausse qui entourent l’inflation".
Christine Lagarde sous pression des "faucons"
Elle a par ailleurs ajouté que le conseil d'administration était "unanimement préoccupé" par les données relatives à l'inflation, et expliqué que celle-ci pourrait être "nettement plus élevée que prévu" cette année. Le mot "transitoire" a en outre disparu du vocabulaire, et la patronne de l'institution a affirmé qu’une décision serait prise en mars, lorsque la BCE disposera de plus d’informations. Christine Lagarde est notamment sous pression des membres les plus "hawkishs" (ou "faucons") de l'institution, terme désignant les partisans d'une orthodoxie monétaire. Parmi ceux-ci, le gouverneur de la banque centrale des Pays-Bas Klaas Knot a déclaré dimanche s'attendre à ce que la BCE commence à relever ses taux d'intérêt dès le 4e trimestre de cette année [ce qui serait une première depuis 2011, NDLR], tout en se prononçant pour une réduction la plus rapide possible des achats d'actifs de l'institut de Francfort."Pour savoir si la BCE pourrait envisager d'accélérer la fin de ses rachats d’actifs (APP) afin qu'une hausse de taux soit possible dans l'année, il faudra se focaliser sur une date: celle du 2 mars prochain, avec la publication de l'indice CPI du mois de février en zone euro" avance John Plassard. "Rarement (jamais) des mois de février et mars n’auront été aussi importants pour des décisions de politique monétaire. Des statistiques de l’inflation largement en-dessous ou au-dessus des attentes pourraient faire basculer les anticipations de hausse de taux" conclut-il.
Les responsables de la politiqué monétaire de la BCE se réuniront le jeudi 10 mars, et ceux de la Fed les mardi et mercredi (15 et 16 mars) de la semaine suivante.