par Francesco Canepa et Balazs Koranyi
FRANCFORT (Reuters) -La Banque centrale européenne (BCE) doit maintenir ses taux directeurs à leur niveau actuel car l'économie de la zone euro résiste aux droits de douane américains et l'inflation pourrait s'avérer plus élevée que prévu, a déclaré à Reuters Isabel Schnabel, membre du directoire de l'institution de Francfort.
La banque centrale des 20 pays partageant l'euro a opté depuis juillet pour le statu quo après une baisse continue de ses taux et ses responsables attendent désormais d'observer l'impact des droits de douane américains avant de décider d'un nouvel éventuel assouplissement.
Isabel Schnabel, perçue comme la plus influente des membres dits "faucons" (hawkish) de la BCE, c'est-à-dire favorables à des taux d'intérêt plus élevés, estime qu'une nouvelle baisse des coûts d'emprunt n'est pas nécessaire et que le taux de dépôt de l'institution, actuellement à 2%, pourrait stimuler "légèrement" une économie déjà dynamique.
"Je pense que nous sommes déjà légèrement accommodants et je ne vois donc pas de raison de réduire encore les taux dans la situation actuelle", a-t-elle déclaré dans un entretien accordé à Reuters.
La BCE devrait maintenir ses taux directeurs lors de sa prochaine réunion, prévue le 11 septembre, mais les investisseurs estiment qu'il y a de fortes chances qu'elle réduise à nouveau ses taux d'ici juin, montrent des données sur le marché monétaire. Des sources ont également rapporté à Reuters que les discussions sur un nouvel assouplissement reprendraient probablement à l'automne.
"CROISSANCE ROBUSTE"
Selon Isabel Schnabel, l'économie de la zone euro s'est mieux comportée que prévu grâce à une "croissance robuste de la demande intérieure" et elle bénéficie désormais d'une "impulsion budgétaire significative" grâce aux investissements de l'Allemagne dans les infrastructures et la défense.
Contrairement à bon nombre de ses collègues et aux propres projections de la BCE, l'économiste allemande soutient que les droits de douane sur le commerce mondial imposés par l'administration Trump vont faire grimper l'inflation, même sans mesures de représailles de la part de l'Union européenne (UE).
"Je continue de croire que les droits de douane sont en résultat net inflationnistes", a déclaré Isabel Schnabel. "Si on a une augmentation des prix des intrants à l'échelle mondiale en raison des droits de douane, et que ceux-ci se propagent dans les réseaux de production mondiaux, cela accroîtra les pressions inflationnistes partout", a-t-elle développé.
Isabel Schnabel a également indiqué que les droits de douane perturberaient les chaînes d'approvisionnement, citant en exemple les restrictions chinoises sur l'exportation de plusieurs terres rares et la décision des Etats-Unis de taxer les colis de faible valeur.
Cette situation, associée à la croissance rapide des prix des denrées alimentaires, signifie selon Isabel Schnabel que "la balance des risques est orientée à la hausse", ce qui laisse à penser que l'inflation pourrait dépasser les projections de la BCE, qui sont respectivement de 1,6% pour 2026 et de 2% pour 2027.
UN RESSERREMENT MONÉTAIRE ?
Même si Isabel Schnabel ne plaide pas en faveur d'une hausse des taux à l'heure actuelle, elle pense que le temps du resserrement pourrait arriver, pour les banques centrales du monde entier, plus tôt que prévu en raison des restrictions commerciales, des largesses budgétaires et d'une population plus âgée.
"Un monde plus fragmenté avec une offre mondiale moins élastique, des dépenses budgétaires plus élevées et des sociétés vieillissantes est un monde où l'inflation est plus élevée", a-t-elle prévenu. "Je pense donc que le moment où les banques centrales du monde entier commenceront à relever à nouveau les taux d'intérêt pourrait arriver plus tôt que ce que beaucoup pensent actuellement".
Isabel Schnabel dit n'avoir observé aucun élément selon lequel que les entreprises chinoises déversent des produits bon marché dans la zone euro comme alternative aux Etats-Unis, notant que les prix globaux des exportations chinoises se sont redressés et que le coût des importations chinoises dans l'Union européenne est faible mais stable.
Elle a également minimisé l'impact d'un euro plus fort, affirmant que sa répercussion sur les prix sera plus faible si elle est due à l'amélioration des perspectives de croissance dans la zone euro.
"Par conséquent, je suis moins préoccupée par l'évolution des taux directeur", a-t-elle insisté, tout en se disant ouvert à un éventuel changement d'avis sur la politique monétaire en cas d'"écarts importants et persistants" par rapport à l'objectif d'inflation de 2% de la BCE. Elle juge toutefois cette évolution peu probable.
"Je pense qu'il est très peu probable qu'il y ait un désancrage des anticipations d'inflation à la baisse, en particulier après ces nombreuses années d'inflation trop élevée", a-t-elle déclaré.
"Lorsque l'on examine les prix de vente des entreprises, on ne voit aucune indication de pressions désinflationnistes, que ce soit dans le secteur manufacturier ou dans celui des services."
RISQUE DE TURBULENCES
S'agissant de la Réserve fédérale américaine (Fed) qui devrait réduire ses taux ce mois-ci notamment en raison de la pression du président américain Donald Trump, Isabel Schnabel estime qu'une perte d'indépendance de la Fed entraînerait une hausse des coûts d'emprunt et déclencherait des turbulences.
Affaiblir l'indépendance de la Fed pourrait se retourner contre elle et faire grimper les coûts d'emprunt au lieu de les réduire, tout en perturbant l'ensemble du système financier mondial, a-t-elle expliqué.
Donald Trump exerce une pression incessante sur la Fed pour qu'elle réduise ses taux directeurs et a publiquement évoqué le limogeage du président de la banque centrale américaine, Jerome Powell, qu'il a qualifié d'"idiot" pour ne pas avoir accédé à ses demandes.
Le locataire de la Maison blanche a également tenté le mois dernier de limoger Lisa Cook, gouverneure de la Fed, déclenchant une bataille judiciaire sur la capacité de l'institution d'émission monétaire à fonctionner sans interférence politique, pierre angulaire d'une banque centrale moderne.
"Toute tentative de porter atteinte à l'indépendance de la banque centrale va conduire à une augmentation des taux d'intérêt à moyen et long terme", a insisté Isabel Schnabel.
"L'histoire est très claire sur les avantages de l'indépendance des banques centrales : elle réduit les primes de risque et facilite les conditions de financement pour les ménages, les entreprises et les Etats", a-t-elle développé.
(Version française Claude Chendjou, édité par Blandine Hénault)
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