(BFM Bourse) - La hausse des prix à la consommation, constatée dans toutes les régions du monde ces derniers mois, est dans tous les esprits. La question est désormais de savoir comment se préparer à ses conséquences inattendues (instabilité politique, bénéfices insoutenables, etc.) selon le stratégiste Sébastien Galy, qui donne des pistes de réflexion.
Au cœur des craintes des marchés depuis de longs mois, l'inflation a récemment atteint de nouveaux sommets. Aux Etats-Unis, l'indice des prix à la consommation a ainsi bondi de 6,8% en novembre sur un an, soit sa plus forte poussée depuis... 1982. Ce chiffre ressort ainsi plus de trois fois supérieur à la cible de la Fed, "de l'ordre de 2%", une hausse des prix considérée comme saine pour l'économie. Face à ce constat, la toute puissante autorité monétaire a annoncé qu'elle changeait son fusil d'épaule mercredi soir, préférant opter pour un resserrement monétaire après son soutien sans faille aux marchés via l'expansion hors norme de son bilan au cours des deux dernières années.
Dans l'attente de savoir si ces décisions suffiront à contenir l'inflation, le stratégiste de Nordea Asset Management Sébastien Galy fournit des indices sur les potentielles conséquences inattendues de cette poussée inflationniste, et les manières de s'en prémunir.
Parmi les potentielles répercussions de cette hausse des prix à la consommation identifiées par l'expert figurent notamment l'instabilité politique, des bénéfices insoutenables et une confiance excessive des sociétés fortement endettées dans un contexte de hausse des taux et de ralentissement prévisible de la croissance.
Au niveau politique, "la hausse de l'inflation n'est pas un problème majeur lorsque les ménages disposent d'une épargne importante, mais lorsque celle-ci diminue, ils commencent à se demander comment payer leurs factures de transport, leurs achats de consommation ou les activités de leurs enfants si les prix continuent à augmenter", explique Sébastien Galy. C'est alors la colère qui commence à croître lentement et régulièrement, "car la croissance des salaires peine souvent à suivre le rythme de l'inflation" souligne-t-il. Ce qui a mécaniquement des "répercussions sur le paysage politique, car certains demandent une politique monétaire plus orthodoxe et moins de dépenses budgétaires". Sébastien Galy rappelle de fait que "la majorité à la Chambre des représentants pourrait être en jeu lors des élections de mi-mandat" aux Etats-Unis, "ce qui engendrerait probablement une contraction budgétaire en cas de victoire des républicains" prévient-il.
Marché immobilier "extrêmement cher" en Europe
Si cela n'est "pas nécessairement un problème dans une économie qui tourne à plein régime" comme c'est le cas aux Etats-Unis puisque la pression exercée sur la Fed pour qu'elle resserre sa politique monétaire s'en trouve allégée, une telle manœuvre pourrait en revanche être plus problématique sur le Vieux continent. "En Europe, la BCE joue un jeu dangereux en pariant sur sa crédibilité alors que le marché immobilier est extrêmement cher, inondé tel qu’il l’est de liquidités bon marché" pointe-t-il.
Sur le front des entreprises, "les analystes "vendeurs" considèrent que les prévisions de bénéfices tomberont sous la barre des 10% (de hausse, NDLR) à l’échelle mondiale l'année prochaine, en particulier sur les marchés émergents". "Cela suppose toutefois que les consommateurs ne subissent pas de choc inflationniste. Or, cela semble déjà être le cas aux États-Unis d'après un sondage du Wall Street Journal qui cite l'inflation comme une préoccupation majeure" constate Sébastien Galyy.
Tant que l'épargne reste élevée, l'inflation n'a pas encore beaucoup d'impact sur la consommation. "Mais à mesure que l'épargne s’épuise, les consommateurs sont susceptibles de devenir de plus en plus sensibles aux prix si leurs salaires ne suivent pas. Ce sera probablement le cas pour de nombreux travailleurs des secteurs matures" prédit l'expert.
Or "si les entreprises sont prêtes à embaucher et à former d’urgence pour maintenir leur force de travail , elles sont de moins en moins disposées à augmenter les salaires si elles n'obtiennent pas la traction qu'elles attendent des consommateurs à la faveur de prix plus élevés". Il s'agit là d'une problématique classique de "pricing power", à savoir qui, entre les consommateurs et les employeurs, a vraiment le pouvoir de fixer les prix. "Cela dépend en grande partie de la tension du marché du travail. Plus le temps passe sans que la Fed n’agisse, plus les consommateurs demanderont des salaires plus élevés, ce qui entraînera une spirale haussière à la fois des salaires et de l’inflation" répond Sébastien Galy.
Des entreprises qui peuvent devenir trop confiantes
Autre coût inattendu potentiel de l'inflation identifié par le gérant de Nordea: le biais dit d'"excès de confiance". "Avec une demande forte mais qui ralentit et la possibilité de majorer facilement les prix, les entreprises peuvent devenir trop confiantes et commencer à emprunter pour des investissements qui pourraient ne pas être rentables" explique-t-il. Ce biais comportemental incite les dirigeants d'entreprises à ne pas utiliser toutes les ressources à leur disposition pour prendre une décision rationnelle. "Aujourd’hui, nous voyons trois lectures potentielles de la part des entreprises, les conduisant à mal interpréter la transition économique que nous traversons: i. Elles supposent que nous allons revenir au monde d'avant la crise pandémique, ii. Elles comprennent mal le rééquilibrage du pouvoir entre employeurs et employé, iii. Elles se trompent sur l'avenir parce qu'il est difficile à évaluer et qu'elles peuvent ne pas voir les forces structurelles qui émergent, comme les technologies ESG / de disruption" énumère-t-il.
"La loi des effets pervers et les cygnes noirs, comme nous l'avons vu avec le variant Omicron, suggèrent de conserver certains actifs comme valeurs refuges contre l'inconnu. Les obligations sécurisées à effet de levier à court terme, en sont un exemple" indique-t-il encore.
Avant de conclure: "En théorie, une hausse de la productivité signifie une augmentation des salaires réels, mais les gains de productivité favorisent généralement les détenteurs d'actions, sauf lorsque le marché du travail est tendu et que les coûts de la main-d'œuvre augmentent". "La productivité devrait augmenter rapidement au cours des prochaines décennies, à mesure que le secteur des services se transforme, comme l'a fait autrefois le secteur manufacturier, grâce à l'automatisation, à l'externalisation, à l'intelligence artificielle, etc. Ce processus, alimenté par les nouvelles entreprises et la mutation des anciennes, ne cesse de s'accélérer et, bien que le marché des actions puisse subir des arrêts soudains en raison d'un optimisme excessif, il s'agit de l'une des tendances séculaires auxquelles il faut s'accrocher - les technologies disruptives sont l'un des principaux piliers de l'avenir" conjecture Sébastien Galy.