(BFM Bourse) - La Réserve fédérale américaine a annoncé mercredi soir une baisse de ses taux de 50 points de base. Une première depuis la pandémie de Covid-19 en mars 2020. Faut-il voir dans cette décision des signes d'inquiétudes sur l'état de santé de l'économie américaine?
C'est acté! La Réserve fédérale américaine (Fed) a officialisé mercredi soir son cycle d’assouplissement monétaire, en procédant à une réduction de ses taux de 50 points de base (0,5 point de pourcentage).
L'ampleur de cette réduction des taux directeurs a été à contre-courant des prévisions des économistes, qui tablaient plutôt sur 25 points de base. Le marché, lui était plus en phase avec l'idée d'une détente monétaire plus importante, et attribuait une probabilité de 64% à une baisse des taux de 50 points de base.
En opérant une telle baisse, l'institution monétaire américaine craint-elle une dégradation des conditions économiques dans le pays comme par le passé? Il faut dire qu'en regardant dans le rétroviseur, un tel mouvement a de quoi interroger, une baisse "jumbo" étant associée à un scénario de récession.
"Dans chaque cycle au cours duquel la Fed a réduit ses taux de 50 points de base, l'économie est finalement tombée en récession", remarque Capital Economics dans une note publiée en début de semaine.
Baisse "jumbo" et récession : les liaisons dangereuses
Effectivement, la Fed a opéré plusieurs baisses "jumbo" précédant une récession. Dans les premiers jours de janvier 2001, l'institution monétaire, alors dirigée par Alan Greenspan, avait décidé à la surprise générale de baisser son taux principal d'un demi-point de pourcentage, l'abaissant de 6,50% à 6%, et ce avant une réunion de politique monétaire qui était prévue à la fin du mois de janvier. Il s’agissait alors de la première baisse des taux directeurs américains depuis le 17 novembre 1998. A l'époque, l'économie mondiale était en proie une crise financière déclenchée par les pays émergents d'Asie.
Certains économistes se demandait alors si la Fed n'avait pas hâté sa décision, anticipant la publication de statistiques économiques, qui montreraient une économie au bord de la récession, comme le rappelle Le Monde. Cette première baisse de taux n'était que la première d'une longue série de 11 baisses, puisqu'entre décembre 2000 et décembre 2001, le principal taux directeur de la Fed est passé de 6,5% à 1,75%, pour répondre à l'éclatement de la bulle internet, et aux soubresauts des marchés après les attentats du 11 septembre.
En septembre 2007, la banque centrale américaine est venue une nouvelle fois sortir l'arsenal monétaire pour circonscrire l'incendie causé par l'aggravation de la crise des crédits immobiliers aux Etats-Unis. La Fed a abaissé son taux directeur de 5,25% à 4,75% mettant un terme à un cycle de 17 hausses consécutives amorcé en juin 2004. Dix autres baisses ont suivi, pour ramener ce taux dans une fourchette comprise entre 0 et 0,25% en décembre 2008 dans l'espoir de combattre le spectre de la récession économique.
Autre perturbation mais même remède pour limiter cette fois-ci les effets d'une crise sanitaire sur l'économie. Le mardi 3 mars 2020, le patron de la Fed a totalement pris de court les marchés en annonçant une baisse de 0,5 point de pourcentage de son principal taux directeur afin de combattre les risques que faisait peser la propagation du Covid-19 sur l'économie mondiale. Cette décision, intervenue en dehors du calendrier habituel des réunions monétaires, a été prise à l'unanimité. Il s’agissait alors de la première baisse des taux annoncée à l'improviste depuis la crise financière de 2008.
Cette baisse n'a pas clairement pas suffi puisque quelques jours plus tard, la Réserve fédérale américaine a sorti l'artillerie lourde. L'institution avait abaissé cette fois-ci un dimanche (!) son taux de 100 points de base à 0%-0,25% et annoncé une injection de liquidité de 700 milliards de dollars, en amont de sa réunion de politique monétaire qui était prévue quelques jours plus tard.
Un contexte différent
Cette baisse opérée par la Fed est-elle donc annonciatrice d'un nouvel épisode de récession aux Etats-Unis?
Dans sa note publiée lundi, donc avant l'annonce de la Fed, Capital Economics prévenait qu'une baisse de 50 points de base risquait de "donner l'impression que les banquiers centraux ont commis une erreur et ont pris du retard". "Si les membres optent pour une baisse plus importante, cela pourrait être interprété comme un signe que la Fed sait quelque chose d'inquiétant sur l'économie que les marchés ignorent", ajoute le think tank.
Son président, Jerome Powell a tout de suite coupé court à ces inquiétudes, rappelant qu'il n'a pas pris cette décision sous le coup de la panique. La Réserve fédérale n'est "pas dans l'urgence", a-t-il insisté.
"Cette décision reflète notre confiance croissante dans le fait qu'avec un recalibrage approprié de notre politique, la vigueur du marché du travail peut être maintenue dans un contexte de croissance modérée et d'inflation descendant durablement à 2%", a-t-il aussi déclaré lors d'une conférence de presse suivant l'annonce de la décision sur les taux.
Le banquier central a prévenu qu'aucune trajectoire n'est à ce stade gravée dans le marbre. "Nous pouvons accélérer si c'est justifié, ralentir, faire une pause" dans le cycle d'assouplissement monétaire, en fonction des données économiques.
Pour les économistes d'Oddo BHF, "il y a moins de danger à taper fort au commencement du cycle (avec une baisse de 50 points de base) puis à ralentir le pas que le contraire".
"C’est ce choix que Jerome Powell a fait partager à l’ensemble du comité de politique monétaire de la Fed, à l’exception d’un gouverneur. Selon le nouveau "dot chart", deux baisses de taux de 25 points de base sont attendues d’ici la fin 2024, puis quatre autres en 2025. La convergence vers une zone de neutralité monétaire est plus rapide qu’initialement anticipé par la Fed, ce qui contribue à écarter un scénario de récession", rassurent-ils.
Certains économistes estiment, par ailleurs, que cette baisse de 50 points de base, permet finalement à la Fed de se mettre dans le bon temps et de rattraper son retard. "La Fed a adopté un mode de "rattrapage" lors de la réunion de septembre en réduisant les taux de 50 points de base. Le président Powell sait qu'ils auraient dû procéder à une baisse de 25 points de base en juillet, alors ajoutez 25 points de base lors de cette réunion", considère Jack McIntyre, de Brandywine Global.