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Les rachats d'actions nuisent-ils à l'économie?

dimanche 27 septembre 2020 à 11h00
Larry Fink incite les entreprises à la modération sur les rachats d'actions

(BFM Bourse) - Phénomène en pleine expansion, les rachats d'actions soulèvent de nombreuses questions. Entre motivations floues, craintes de sous-investissements et fragilisations des bilans, ce mécanisme fait débat et inquiète certains économistes (et gérants) qui incitent les groupes cotés à faire preuve de modération.

Dès 2014, le PDG de BlackRock, le plus gros gestionnaire d'actifs au monde, s'est exprimé publiquement contre les rachats d'actions lorsque ceux-ci se font au détriment d'une stratégie de développement à long terme. Dans une lettre envoyée aux dirigeants des groupes cotés, Larry Fink appelait alors ces derniers à la mesure concernant leur politique de dividendes et de rachats d'actions. Un appel resté lettre morte puisque ces rachats ont volé de record en record depuis lors. Mais pourquoi font-ils tant polémique?

Comme le rappelle le chef économiste de BNP Paribas William De Vijlder, les groupes ont principalement recours à ces opérations pour trois raisons : "Elles se substituent au versement des dividendes, permettent aux entreprises d'améliorer leur ratio de bénéfice par action (indicateur de référence outre-Atlantique) en réduisant le nombre de titres en circulation (les titres rachetés étant annulés), et entraînent une amélioration de la rentabilité des capitaux propres (qu'elles soient financées par la trésorerie ou par émission de dette), puisque ces derniers diminuent mécaniquement".

Professeur à l'ESCP Europe et au laboratoire sur la régulation financière LabEx ReFi, Christophe Moussu rappelle que cette pratique n'est pas sans risque. "Une erreur assez souvent commise dans l’analyse des "buybacks" est que quand un groupe rachète des actions, il augmente son BPA donc le cours de son titre. Peut-être, mais ça augmente aussi le risque de l'action. Si ces rachats sont financés par du cash, la volatilité du titre augmente. Via l'endettement, cette opération dégrade le ratio d'endettement du groupe" explique-t-il, précisant que cette idée n'est pas nouvelle puisque les prix Nobel Franco Modigliani et Merton Miller l'avaient théorisé dès 1958.

De son côté, William De Vijlder estime que "le cœur du sujet est de savoir si ces opérations sont financées par du cash ou par de l’émission de dette" et dissocie l'un de l'autre : "Si les groupes financent ces opérations sur leur trésorerie, c’est comme s’ils rendaient du cash au marché, le principe est similaire à celui des dividendes. En revanche, les entreprises peuvent se fragiliser si elles émettent de la dette pour procéder à ces rachats, car elles doivent ensuite payer des charges d’intérêts".

Un autre problème vient du fait que cette dynamique "s'auto-alimente" selon le chef économiste de BNP Paribas. "Des analystes ont créé un indice composé de groupes qui procèdent à des "share buybacks" et ont constaté qu’il surperformait un indice composé de groupes qui n'effectuent pas ce type d'opération donc ces dernières peuvent être tentés de s’y mettre en voyant que le ratio cours sur bénéfices de leurs concurrents évolue mieux que le leur".

Or, si l'essor est tel qu'en 2019 "l'intégralité des bénéfices des groupes du S&P 500 ont été engloutis dans les rachats d'actions et les dividendes" (à hauteur de près de 75% pour les rachats, NDLR) comme le souligne Christophe Moussu, ce dernier s'interroge sur le bien-fondé de ces opérations. "Toute la question est de savoir s’ils ont des effets réels. S'ils permettent à un groupe qui a beaucoup de "cash" et des programmes d'investissements déjà calés de pallier à une sous-évaluation du cours, pourquoi pas". Sauf que les motivations derrière ces rachats ne sont pas toujours aussi claires. "Aux États-Unis, la rémunération des dirigeants dépend de "triggers" (seuils de déclenchement, NDLR) basés sur le bénéfice par action, donc certains n'hésitent pas à lancer des programmes de rachats de titres pour atteindre ces seuils". S'il se réjouit qu'avant la crise sanitaire, de grands débats avaient été lancés outre-Atlantique sur la question de savoir si cette pratique poussent les groupes à sous-investir au détriment de la maximisation de la richesse des actionnaires, il est aussi quelque peu fataliste quand il cite une enquête réalisée auprès de dirigeants "qui ont été clairs : si investir leur fait rater les "targets" (en termes de ratios financiers NDLR), ils préfèrent ne pas investir et privilégient les rachats d'actions".

Il cite sur ce sujet une étude anglaise qui a conclu que "les "buybacks" ont une influence négative sur l'investissement aux États-Unis, tandis qu'en Angleterre, c'est la manière dont on calcule la rémunération incitative des dirigeants qui induit du sous-investissement, pas les rachats d'actions en eux-mêmes". Une autre étude, conduite en 2015 par Zicheng Lei et Chendi Zhang à l'université de Warwick, a constaté "les sociétés qui procèdent à ces rachats par effet de levier connaissent une baisse plus importante des investissements réels ex post que les sociétés qui financent leurs rachats par des liquidités", les rachats par émission de dette entraînant par ailleurs "des réactions de marché plus faibles et des réductions plus importantes des investissements ex post" pour les entreprises surendettées ex ante.

"Je pense que c'est criminel", peste Christophe Moussu, qui souligne "le déficit dramatique de fonds propres partout" et s'inquiète de la fragilisation des bilans des groupes cotés. "Il faut dire la vérité, les rachats d’actions sont une anomalie qui engendrent seulement des gains positifs à court voire à moyen terme pour les actionnaires. On assiste clairement à une financiarisation des entreprises qui pose des questions sur le partage de la valeur et se traduit par une pression plus ou moins forte sur les coûts, y compris sur les salaires" selon lui. Très remonté, il estime que "les directions financières ne se rendent pas compte de la gravité des choses aujourd'hui" et ajoute qu'il ne serait "pas choqué qu'on légifère si des groupes venaient à annoncer le lancement de programmes massifs dans le contexte actuel".

Pour Christophe Moussu, la source du problème vient des montagnes de cash accumulées depuis des années par les groupes en raison d'un niveau de concurrence plus faible qu'auparavant dans certains secteurs : "Les entreprises dégagent désormais des "cash-flows" tellement importants qu'il est naturel d'en rendre une partie aux actionnaires". Une baisse de la concurrence en partie provoquée selon lui par l'émergence des mastodontes de la gestion d'actifs (BlackRock, Vanguard, State Street, etc.) présents au capital de tous les groupes cotés -où ils ont une influence non-négligeable sur la stratégie de long terme- dont les patrons incitent désormais les groupes cotés à la modération sur la thématique des rachats d'actions". Une histoire classique de serpent qui se mord la queue, donc.

S'il juge que "le système a été complètement dévoyé" au fil du temps, il se veut néanmoins relativement optimiste pour la suite, considérant que la multiplication des appels à arrêter les rachats d'actions (encore récemment celui de l'emblématique patron de JPMorgan Jamie Dimon) "alimentent une possible fin de cycle". "Les rachats d’actions confinent à du court-termisme et à de l’excès de gouvernance actionnariale. Or il y a un vrai changement de prisme qui s'opère actuellement, avec des entreprises orientées RSE (pour "responsabilité sociétale des entreprises") a priori moins endettées qui ont moins mal performé que les autres face à la crise, les questions environnementales qui prennent de l'ampleur, on est plus dans des réflexions de long terme donc je pense que ça va se tasser" conclut-il.

Quentin Soubranne - ©2025 BFM Bourse
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