(BFM Bourse) - Le spécialiste français des paiements s'effondre en Bourse après que plusieurs articles de journaux européens ont fait état de validation de paiements passés par des clients à haut risque, comme des acteurs de l'industrie du jeu ou de la pornographie. La société explique avoir changé ses pratiques en 2023.
Worldline subit une nouvelle fois les foudres de la Bourse. Pour rappel, le spécialiste des services de paiement détient le record peu enviable de la plus forte chute sur une séance d'un groupe du CAC 40, avec un plongeon de 59,24% le 25 octobre 2023 à la suite d'un avertissement sur résultats retentissant.
Ce mercredi 25 juin, l'ex-filiale d'Atos a une nouvelle fois sombré. L'action a dévissé de 38,3% en fin de matinée pour tomber à un nouveau plus bas historique.
Le titre est plombé par une enquête menée par un consortium de journalistes européens appelé "European Investigative Collaborations" (EIC). Les médias ayant participé à cette enquête, comme Le Soir ou Médiapart, ont révélé son contenu dans une série d'articles appelée "Dirty Payments".
"Pendant la dernière décennie, le groupe Worldline a opéré, en toute impunité, des milliards d’euros de paiements frauduleux ou contraires à l’éthique pour le compte des pires acteurs du commerce en ligne : arnaqueurs, casinos illégaux, groupes pornos controversés, sites de prostitution et réseaux de blanchiment présumés", écrit Le Soir.
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Casinos en ligne et sites de prostitution
Médiapart affirme que la société a "sciemment fermé les yeux", en contradiction avec ses obligations réglementaires, sur les pratiques de ses clients définis comme étant "à haut risque", c'est-à-dire particulièrement exposés au risque de fraude et de blanchiment.
Le média d'investigation rapporte, par exemple, qu'un client américain aurait exposé en 2018 un schéma de fraude au cannabis devant un commercial de l'entreprise.
Médiapart évoque aussi un logiciel de paiement conçu par les casinos en ligne et qui aurait été utilisé par un groupe opérant une centaine de sites de jeux d'argent figurant sur la liste noire d'au moins un pays de l'Union européenne.
Le média affirme également que le groupe de paiements a travaillé avec au moins 10 sites liés à la prostitution "alors même que ses règles internes l'interdisent formellement". Mediapart souligne que des banques ont cessé de travailler avec Worldline au début des années 2020, invoquant notamment "une confiance limitée" envers la société.
Médiapart pointe un fait qui avait été déjà évoqué par Worldline. En juillet 2023, la Bafin, le gendarme allemand des marchés, a sanctionné le groupe pour non-respect de ses obligations antifraude et antiblanchiment, rappelle le média.
Worldline avait mentionné cette sanction. "En Allemagne, en 2023, dans le cadre d'audits en cours, l'autorité de surveillance financière Bafin a demandé à Payone (une filiale de Worldline, NDLR) de ne pas procéder à des transactions pour certains clients spécifiques au sein du portefeuille de marchands en ligne, notamment en raison des conditions d'intégration et de suivi de ces clients, ce qui a conduit Payone à mettre fin à certaines relations spécifiques avec des partenaires et des marchands en Allemagne", pouvait-on-lire dans son document d'enregistrement universel publié en 2024.
À la suite de cette décision de la Bafin, Worldline avait décidé en octobre 2023 d'arrêter ses services avec certains commerçants et d'améliorer ses contrôles. Ce qui avait été à l'origine de son avertissement sur résultats.
"Face à la montée générale de la cybercriminalité, à l'émergence de nouveaux comportements frauduleux et au durcissement des directives réglementaires et contraintes de marché, nous avons resserré notre politique d'appétence aux risques. Par conséquent, nous avons arrêté de manière ordonnée nos services auprès de certains commerçants pour lesquels les coûts associés et les risques potentiels n’étaient pas compatibles avec nos exigences révisées", expliquait alors Worldline.
Le groupe de paiements évaluait alors un montant maximum des revenus liés à ces commerçants susceptibles de comportements frauduleux d'environ 130 millions d'euros.
La voilure réduite sur les clients à haut risque
Médiapart écrit que si "officiellement depuis 2024 tout est propre" chez Worldline, le groupe de paiements compterait encore des clients "hautement suspects", dixit le site d'investigation, comme la plateforme de contenus Onlyfans.
Ces clients sont plus particulièrement catégorisés "HBR" (pour "high-brand risk"), une dénomination qui provient de Visa et qui regroupe des entreprises présentant "un risque élevé pour le système de paiement notamment en raison d'un nombre plus élevé de litiges ou d'un risque pour la marque ou la réputation".
"Ces types de marchands sont aussi généralement très réglementés, certains étant considérés comme illégaux dans certaines juridictions", ajoute Visa.
Il n'est pas interdit de commercer avec tous les acteurs rentrant dans cette catégorie (les buralistes et les sites de rencontre peuvent y appartenir) mais les autorités de régulation exigent des vérifications accrues en matière de lutte contre le blanchiment d'argent ou le financement du terrorisme.
Dans un communiqué, Worldline a réagi aux informations publiées par les différents médias de l'EIC.
"Worldline évolue dans un environnement réglementaire exigeant et en constante évolution, en particulier dans les secteurs HBR (High Business Risk), tels que les casinos en ligne, les plateformes de courtage en ligne ou les services de rencontres pour adultes. Depuis 2023, le groupe a renforcé son cadre de gestion des risques liés aux commerçants afin d’en assurer la totale conformité aux lois et réglementations", a assuré l'entreprise.
"Il a mené une revue approfondie de son portefeuille HBR -qui représente actuellement environ 1,5% de ses volumes acquis- et résilié les relations commerciales identifiées comme non conformes à ce cadre renforcé", a ajouté le groupe.
"Risque de réputation"
Worldline assure par ailleurs que son taux de fraude est "inférieur à la moyenne" et que ses clients HBR font "désormais l'objet d'une surveillance renforcée".
Un analyste financier estime que le marché verse "un peu dans la surréaction à ces informations", alors que l'action a plongé de 38%. "Même si on peut comprendre sa réaction", reconnaît-il.
"Le problème est que les investisseurs pensaient que le dossier était clos en 2023. Avec la réaction de Worldline on apprend que ces clients à haut risque représentent encore 1,5% des volumes. Ce n'est pas si surprenant, mais cela remet une pièce dans la machine et peut inquiéter certains. Ce alors que Worldline n'est pourtant pas le plus mauvais élève de la classe", regrette-il.
Un autre analyste financier note que Worldline "a quasiment rompu avec ces pratiques (dénoncées dans les articles de presse, NDLR) depuis 2023 et que l'impact a déjà été traduit dans les résultats". Mais "le groupe fait face à un risque de réputation désormais". "Vont-ils continuer à perdre des clients et des parts de marché ? Impossible à dire à ce stade. Mais ils n'avaient pas besoin de cela", conclut-il.
Worldline a enchaîné ces dernières années les avertissements sur résultats. Au-delà de celui d'octobre 2023, le groupe accusé des "profit warnings" en juillet 2024 et encore un autre en septembre de la même année. Ce qui a fini par provoquer le départ du directeur général, Gilles Grapinet. Les derniers résultats annuels ont, en plus, été décevants.
Alphavalue pointe trois risques, notamment une détérioration des relations avec les réseaux de cartes Visa et Mastercard voire des amendes réglementaires s'il est avéré que le groupe a effectivement été complice de fraudes.
Le bureau d'études indépendant évoque lui aussi un risque réputationnel auprès des clients, mais aussi des fournisseurs et des employés. "Bien qu'il soit difficile de quantifier l'impact précis sur les revenus et les bénéfices, la perspective d'une reprise rapide semble de plus en plus lointaine", tranche-t-il.
"Bien que l'on ne connaisse pas toute l'étendue de l'enquête en cours (d'autres articles ont été évoqués), une violation de la réglementation pourrait augmenter le risque d'intervention réglementaire ou de sanctions", prévient de son côté Jefferies. "En outre, nous voyons l'impact le plus important sur le sentiment (du marché, NDLR), étant donné que l'on ne sait pas encore dans quelle mesure les processus et les contrôles internes doivent être revus", ajoute la banque.
L'action s'effondre de 90,6% sur trois ans. Deutsche Bank voulait toutefois croire, dans une récente note, que l'arrivée du nouveau directeur général, Pierre-Antoine Vacheron, marquerait "une nouvelle ère" pour la société.
"Les allégations concernant l'engagement actif auprès d'intermédiaires à haut risque et la poursuite de cet engagement à l'encontre des recommandations du département des risques internes peuvent accroître le sentiment négatif à l'égard des pratiques commerciales actuelles de l'entreprise et suggérer que le nouveau directeur général, Pierre Vacheron a une tâche plus importante à accomplir qu'on ne le pensait", écrit pour sa part Jefferies.
"Dans l'ensemble, malgré la baisse du cours de l'action aujourd'hui, nous pensons que le niveau de risque entourant Worldline reste trop élevé à ce stade", juge de son côté Alphavalue.
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