(BFM Bourse) - (Série - L'économie dans les œuvres populaires 5/7) - Dans le cadre de notre série en sept épisodes qui traite du fonctionnement de l'économie dans les œuvres populaires (BD, musique, films) avec nos collègues de BFMBusiness.com, nous épluchons quelques concepts financiers et boursiers très bien abordés par la bande dessinée mettant en scène le célèbre milliardaire de 26 ans.
Depuis plus de 30 ans, Largo Winch, la BD ayant pour héros le célèbre milliardaire à l'éternel âge de 26 ans, met brillamment en scène les grands concepts économiques et financiers dans ses aventures.
Ce qui tient assurément au solide bagage financier de son auteur d'origine, le Belge Jean Van Hamme, agrégé d'économie politique et ingénieur commercial. Depuis 2017, Eric Giacometti lui a succédé à l'écriture tandis que Philippe Franck dessine toujours les aventures du milliardaire boy-scout. "L'économie c'est pas très sexy et il (Jean Van Hamme, NDLR) a su rendre l'économie sexy", louait en 2020 Eric Giacometti, lors d'une exposition à Citéco consacrée à Largo Winch.
"Cette bande dessinée reste une distraction de bonne qualité, qui est documentée de façon très sérieuse, sans comporter de bêtise sur la finance", juge de son côté Pascal Quiry, professeur à HEC et co-auteur de la lettre d'information financière Vernimmen. En 2020, un guide d'introduction à la finance a même été rédigé par un autre professeur de finance à HEC, Olivier Brossard, en se basant sur les aventures et les planches de Largo Winch.
Dans cet article, BFM Bourse revient sur une sélection de notions abordées dans les aventures du milliardaire (qui étaient à la base des romans), sans bien sûr atteindre l'exhaustivité de l'ouvrage précédemment mentionné (et que nous recommandons).
>Le compte de résultat et le bilan du groupe W
Le tout premier contact du lecteur avec l'univers de Largo Winch est, pour chaque tome, relativement austère. Les deuxième et troisième pages de la bande dessinée présentent le comité exécutif du groupe W, le conglomérat dont le jeune homme est l'actionnaire principal, avec notamment chaque responsable de division. Un bilan et un compte de résultat simplifiés figurent également dans ces premières pages. Et ces deux documents comptables n'évoluent que deux fois: au tome 7 (mais de façon marginale) puis surtout au tome 23, où le changement est cette fois conséquent.
Ce qui permet d'ailleurs de constater l'évolution du groupe W. Initialement, le conglomérat réalisait un chiffre d'affaires de 43,9 milliards de dollars, une marge opérationnelle de plus de 17% et un bénéfice net de 2,5 milliards de dollars. Depuis le tome 23, les revenus ont explosé, passant à 262,7 milliards de dollars, tout comme le bénéfice qui s'élève désormais à 23,5 milliards de dollars. Mais la marge opérationnelle s'est effritée, se situant désormais autour de 9%.
Le lecteur attentif remarquera que le tome 23 comporte une petite phrase indiquant que ces derniers comptes ont été "audités et validés" par Olivier Brossard et… Pascal Quiry. "Il y a quelques années j'avais écrit aux auteurs de Largo Winch pour leur signaler que les comptes publiés par le groupe W n'étaient plus vraiment en phase avec ceux qui seraient affichés aujourd'hui par un conglomérat. Même si tout cela reste évidemment fictif. Les auteurs et moi-même avons donc réfléchi à d'autres comptes, se rapprochant davantage de ceux de conglomérats existants", nous indique le professeur à HEC.
"La chute de la marge opérationnelle du groupe W est en grande partie due au renforcement de la société dans les activités de distribution (un tiers des revenus environ, NDLR), qui sont par essence bien moins margées que d'autres secteurs", explique-t-il par ailleurs.
>Le conglomérat, un modèle quelque peu archaïque
Le groupe W semble constituer une relique d'un capitalisme un peu passé de mode, avec ce modèle de conglomérat reliant des activités très différentes avec pour seul point commun son actionnaire majoritaire, Largo Winch. D'ailleurs Dwight Cochrane, l'administrateur de l'entreprise (et un allié contraint du héros) déclare dès les premières planches du tome 1 qu'il a toujours trouvé que ce système avait "quelque chose de préhistorique". Dans l'avant-dernier opus, un couple d'entrepreneurs (qui dans l'esprit font penser à Elon Musk) estime que les activités gérées par le groupe W ont leur place "dans un musée".
Aujourd'hui, des conglomérats aussi diversifiés que le groupe W (avec des activités allant du pétrole au tourisme, en passant par l'aéronautique, les médias, les banques, le transport maritime ou les mines) se font rares. "Il est vrai que les grands conglomérats ont tendance à se raréfier mais il en existe encore. Berkshire Hathaway, le groupe de Warren Buffett, est un conglomérat, de même que Bouygues, en France", souligne Pascal Quiry.
Néanmoins ce mode de fonctionnement un peu désuet n'est pas si illogique, au regard de la volonté du père adoptif de Largo Winch, Nerio Winch, de se constituer un empire reflétant son patrimoine. "Le principe d'un conglomérat pour une famille est de diversifier ses actifs en conservant le contrôle des sociétés du groupe au lieu de diversifier directement son portefeuille", explique Pascal Quiry.
De plus, cette structure en conglomérat ultra-diversifié a aidé Largo Winch à limiter au maximum l'impact de la crise financière de 2008-2009 sur ses employés. Dans le tome 18 "Mer noire", le milliardaire explique à Newsweek avoir créé un système de "job switch centers", permettant de reclasser en interne et après formation des salariés d'une division qui a besoin de licencier vers une autre unité plus porteuse.
>Les offres publiques d'achat (OPA)
Une offre publique d'achat se produit lorsqu'un investisseur, comme un fonds ou une autre entreprise, compte racheter une société. L'acquéreur propose alors un prix d'achat, qui comporte la plupart du temps une prime sur le dernier cours coté, pour que les actionnaires de la cible apportent leurs titres à l'offre. En fonction du nombre d'actions soumises et d'un seuil de détention (fixé par l'acquéreur en France) l'offre est couronnée de succès (ou pas).
Les offres publiques d'achat constituent le cœur de l'intrigue d'"OPA" et "Business Blues", les tomes 3 et 4 de Largo Winch (rappelons que chaque épisode s'étale sur deux albums). Pour contrer un autre conglomérat, la Fenico, qui commence à racheter les titres disponibles des sociétés du groupe W, les conseillers de Largo Winch lui proposent de lancer une OPA sur la Fenico, dirigée par le bourru (mais sympathique) Gus Fenimore. L'idée est de racheter les actions Fenico des héritiers d’un ancien associé de Gus Fenimore puis de lancer une OPA avec une prime de 25%, pour détenir plus de 50% de cette entreprise. Afin de faciliter l’opération, le groupe W envisage même de répandre des fausses rumeurs sur la mauvaise santé financière de sa cible.
Évidemment, et sans divulgâcher la suite, tout ne va pas se passer comme prévu. Notons que l'histoire met bien en exergue le rôle des banques d'investissement dans ces opérations, avec la présence de la banque Loeb and Sons dont le dirigeant sera à deux doigts de la syncope, s'inquiétant de la réputation de son établissement à Wall Street.
>Les stock-options et la manipulation de marché
Ce concept se trouve au coeur du diptyque "Le prix de l'argent"/"La loi du dollar". Rappelons que des stock-options consistent en l'attribution d'options sur des actions d'une société à des cadres de cette même entreprise. Une option donne le droit (et non l'obligation) d'acheter une action à un prix d'exercice déterminé durant une certaine période. Si l'action monte suffisamment, le dirigeant exerce ce droit, achète l'action au prix convenu et empoche un bénéfice qui correspond à la différence entre le cours de l'action et le prix d'exercice. Cette rémunération a un but incitatif: le dirigeant a tout intérêt à ce que l'entreprise réalise de bonnes performances pour que son cours de Bourse grimpe et qu'il puisse par là même gagner de l'argent. En gouvernance d'entreprise, on parle d'alignement des intérêts des dirigeants avec ceux des actionnaires.
Largo Winch explique très bien lui-même le fonctionnement de cet instrument à une jeune femme (et tout en coupant avec une scie à métaux des menottes, mais bref passons). Si le jeune milliardaire reconnaît que sur le papier le principe des stock-options constitue "une bonne chose en soi", il ajoute que des "dirigeants peu scrupuleux pourraient présenter des bilans rendus artificiellement négatifs" pour s'enrichir. L'action s'effondre, ces dirigeants s'octroient des stock-options, puis annoncent des mesures, comme des licenciements, alors que l'entreprise est déjà rentable, pour faire croire à une reprise rapide de la société, enclencher une hausse du cours et donc gagner de l'argent illégalement (il s'agit d'une manipulation de marché, un délit réprimandé par les autorités boursières), explique-t-il alors.
Dans ce diptyque, Largo Winch se retrouve confronté au cas de Speed One, une des seules sociétés cotées de son groupe (car elle vient d'être rachetée dans "OPA/Business Blues") qui a délocalisé sa production en République tchèque, mettant au chômage les employés de quatre sites de production américains apparemment non rentables. Mais des déclarations contradictoires d'une assistante comptable d'un de ces sites l'amène à se montrer suspicieux, d'autant que les dirigeants de Speed One se sont octroyés des stock-options lorsque le cours de l'action était au plus bas…
> L'analyse technique dans le trading et les chandeliers japonais
L'analyse technique consiste à ne pas regarder ou pas uniquement les fondamentaux d'un actif (tels que les perspectives d'offre et de demande pour le pétrole, ou les résultats financiers pour une entreprise) mais son évolution graphique. Ce en appliquant divers outils pour tenter d'identifier des seuils techniques et anticiper ainsi son futur comportement. Le trader peut par exemple observer que l'action est proche d'un "support", c'est-à-dire un niveau à partir duquel le titre peut rebondir.
Dans "l'Étoile du matin", le professeur Lloyd Bancroft explique à Largo Winch un des outils servant à cette analyse, à savoir les chandeliers japonais, qui résument sous forme de "bougies" diverses informations sur une période précise, telles que l'évolution de l'action, les plus hauts et les plus bas sur cette période ou le cours d'ouverture et de clôture. Comme l'explique ce personnage, l'origine de ces chandeliers remontent au XVIIIe siècle, le marchand japonais Munehisa Honma ayant théorisé le fonctionnement de ces chandeliers pour prévoir l'évolution des cours du riz.
L'"Étoile du matin" constitue un cas où ces chandeliers japonais envoient un signal de retournement, passant d'une tendance à la baisse d'une action vers une tendance à la hausse.
> Le flash krach et le trading à haute fréquence
Toujours dans l'Étoile du matin, Largo Winch est confronté à un "flash krach", c'est-à-dire un krach boursier éclair. Le Dow Jones perd 900 points en six minutes, évaporant 1.000 milliards de dollars de capitalisation boursière. Avant de remonter aussi sec et d'effacer ses pertes. Une des banques du groupe W, la Silver trading, et plus spécifiquement une employée de cette banque, sont alors accusées par la Securities and Exchange Commission (SEC) d'être la cause de ce mouvement. Le milliardaire se rendra compte que l'origine du problème est en réalité liée au trading à haute fréquence, qui via des algorithmes et des ordinateurs permet de passer des milliers d'ordres en quelques fractions de seconde.
Comme le souligne la bande dessinée elle-même, ces faits sont inspirés du flash krach qui est réellement survenu à Wall Street le 6 mai 2010. En l'espace de dix minutes, le Dow Jones Industrial Average avait perdu près de 1.000 points avant de regagner 600 points. S'il n'y a pas eu de cause unique a priori, le courtier AvaTrade explique que le trading à haute fréquence a été accusé d'avoir constitué l'un des facteurs de cette chute éclair en inondant le marché d'ordres. En 2015 un trader basé à Londres, Navinder Singh Sarao, a été arrêté, suspecté d'avoir été à l'origine du flash krach. "L'inculpation de Sarao n'a pas convaincu grand monde. Il était difficile d'imaginer qu'un trader solitaire et sans envergure puisse être responsable" de ce krach éclair, juge néanmoins AvaTrade.
A noter que lorsque Lloyd Bancroft (encore lui) et son élève Mary Stricker (l'employée de la banque accusée de fraude) détaillent à Largo Winch le principe du trading à haute fréquence, ils expliquent également sans le nommer ce que l'on appelle "un arbitrage" sur le marché. Cela revient à réaliser un gain sûr en jouant sur les différences de prix d'un même actif coté sur deux places boursière distinctes. Comme par essence les arbitrages se produisent rarement et très brièvement (sinon tout le monde l'effectuerait), le trader doit être ultra-rapide. D'où la nécessité d'utiliser des machines ultra-performantes capables de passer des millions d'ordres en quelques microsecondes.