(BFM Bourse) - L'ensemble des marchés mondiaux connaissent un lundi noir, inquiets des répercussions de la guerre douanière initiée par les États-Unis. Plusieurs risques sont à l'origine de ce qui s'apparente à une véritable capitulation boursière.
Le terme de journée "noire" en Bourse a parfois tendance à être galvaudé. Mais comment qualifier autrement la séance de ce lundi 7 avril?
La Bourse de Hong Kong a clôturé en baisse de 13,5%, celle de Tokyo a perdu 7,8%. En Europe, le Dax de Francfort chute de 4,5%, le CAC 40 abandonne 5%.
Wall Street est aussi parti pour souffrir. Le contrat à terme sur le S&P 500, un indicateur avancé de la tendance à venir, abandonne 2,6%.
"On est véritablement sur un krach de marché, même si cela ne veut pas dire (que le marché) ne va pas remonter", a jugé sur BFM Business Wilfrid Galand, directeur général adjoint de Montpensier Arbevel.
Évidemment, le déclencheur de ce mouvement de panique générale reste l'annonce des tarifs réciproques, le 2 avril dernier, par Donald Trump. Le président américain a annoncé une batterie de surtaxes douanières incluant un taux de 20% pour l'Union européenne et de 34% pour la Chine, ce qui portera les droits de douane totaux pour ce pays à 54%.
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Les États-Unis sont passés à l'application. Un droit de douane plancher de 10% sur l'ensemble des importations des États-Unis est entré en vigueur samedi. Les différentes majorations imposées à 60 pays sont, elles, prévues pour le 9 avril.
"La réinitialisation de l'ordre mondial par Trump 2.0 a semé le chaos dans les économies et les marchés mondiaux", résume Barclays.
Ce "chaos" boursier s'explique par cinq risques qui sont évidemment connectés les uns aux autres. Voici un tour d'horizon.
>1/ Le risque d'escalade dans la guerre commerciale
Le problème n'est pas seulement les décisions de Washington mais aussi le risque que l'ensemble des pays visés par les États-Unis ripostent aux surtaxes douanières. Ce qui créerait une véritable "guerre commerciale" à l'échelle planétaire.
La Chine a déjà annoncé vendredi qu'elle imposerait à son tour des surtaxes douanières de 34% sur les biens américains. Ces droits de douane entreront en vigueur le 10 avril prochain.
Wilfrid Galand explique que cette riposte a surpris les investisseurs, évoquant "une réaction extrêmement dure, extrêmement violente" de la part de la Chine. "C'est la première fois que la Chine réagit comme cela à des droits de douane américains, cela n'avait pas du tout été le cas en 2018 (lors de la mise en place de droits de douane au cours du premier mandat de Trump, NDLR)", a-t-il ajouté. Pour l'expert, les marchés n'avaient pas anticipé cette "escalade".
Les Européens, eux, évaluent leurs options. Le commissaire européen français, Stéphane Séjourné, a déclaré sur France Inter ce lundi que l'Union européenne pourrait décider de retirer les entreprises américaines des marchés. Le ministre du commerce extérieur, Laurent Saint-Martin a, lui, prévenu ce lundi que la réponse européenne pourrait être "extrêmement agressive".
Selon Reuters, les États membres voteront le 9 avril sur des contre-mesures en réponse à des précédentes surtaxes américaines, frappant les importations d'acier et d'aluminium.
La porte-parole du gouvernement français, Sophie Primas, a, elle, évoqué un autre train de mesures pour la fin avril, ajoutant que les mesures et les mécanismes précis n'étaient pas arrêtés.
"Nous nous attendons plutôt à des annonces symboliques, ayant un effet faible sur le consommateur européen, et laissant la porte ouverte à des négociations et à une désescalade", écrit Christopher Dembik, conseiller en investissement chez Pictet AM.
2/ Un risque de récession
C'est évidemment un risque qui dépend énormément de l'escalade dans la guerre commerciale. Très simplement, les surtaxes douanières risquent de se traduire par une forte baisse du commerce mondial et donc par moins d'exportations.
Tout simplement parce que les consommateurs qui achètent des biens surtaxés (ou les entreprises qui importent des équipements ou des matières premières) feront face à des prix plus élevés. Toute chose égale par ailleurs, la demande de biens importés baisserait, et donc, par ricochet, les exportations chuteraient.
Tout cela affectera évidemment l'économie mondiale. "Les tarifs douaniers réciproques et les représailles sont des facteurs de récession, et l'incertitude politique prolongée maintiendra probablement une pression à la baisse sur les actions jusqu'à ce que Trump fasse marche arrière. Toutefois, son seuil de tolérance à la douleur n'est pas connu", souligne Barclays.
"La détérioration des marchés boursiers serait bientôt suivie d'un effondrement de la confiance des ménages et des entreprises, l'économie entrant en récession en l'espace de quelques mois", prédit de son côté Capital Economics, pour les États-Unis seuls.
Une récession aux États-Unis entraînerait des répercussions sur l'économie mondiale. "Les États-Unis représentent 4% de la population mondiale et 26% de son PIB grâce au consommateur américain", le premier frappé par ces droits de douane, rappelle Dan Ives, de Wedbush.
Deutsche Bank estime que le nouveau régime douanier imposé par les États-Unis aura un impact d'au moins 0,4 point de produit intérieur brut (PIB) sur la zone euro.
Citée par Marketwatch, JPMorgan évalue, plus largement, à 60% le risque de récession mondiale d'ici à la fin de l'année.
3/ L'imprévisibilité du gouvernement américain
Depuis son arrivée au pouvoir aux États-Unis, le 20 janvier, Donald Trump a beaucoup soufflé le chaud et le froid sur sa politique commerciale, annonçant un jour des droits de douane avant de les suspendre le lendemain. Ces hésitations ont créé une nervosité sur le marché qui s'est transformée en aversion au risque.
La séquence du 2 avril a renforcé ce problème. Alors que le monde entier attendait des calculs savants qui prendraient en compte les éléments non douaniers (barrière à l'entrée sur les marchés, subventions publics) pour appliquer les surtaxes sur les importations, l'administration américaine a fait bien plus simple. Comme l'a révélé le New York Times, le calcul des surtaxes douanières appliquées à chaque pays ou groupe de pays s'est en réalité basé sur une formule simple, proche d'une règle de trois, avec le déficit commercial divisé par les importations américaines.
"Cette détermination est très mécanique, plutôt qu'une évaluation sophistiquée des barrières tarifaires et non tarifaires", note Deutsche Bank.
La banque allemande pointe une "déconnexion" entre ce que les États-Unis avaient annoncé (une revue approfondie des déficits commerciaux bilatéraux) et la simplicité du résultat. "Nous craignons que cela ne porte atteinte à la crédibilité politique de l'administration (américaine, NDLR)" et "le marché pourrait s'interroger sur la structuration du processus de planification des grandes décisions économiques" prévient Deutsche Bank.
"Il est juste de dire que les marchés, et la plupart du monde, ont été laissés en état de choc. Étant donné la méthodologie douteuse utilisée pour déterminer le taux pour chaque pays, et leur potentiel d'autodestruction pour l'économie américaine , il est possible qu'il y ait une marge de négociation", veut croire de son côté Barclays.
Capital Economics estime que Donald Trump fera machine arrière, et que les droits de douane réciproques s'élèveront entre 10% et 20% après négociations, à l'exception de la Chine. "Nous pensons que même le pugnace Trump doit comprendre qu'il est allé trop loin cette fois-ci. Bien que l'incertitude reste très élevée, la prochaine étape la plus probable est que Trump annoncera rapidement quelques « accords » qui réduiront les taux prohibitifs des tarifs douaniers réciproques sur certains des pays les plus durement touchés", explique Capital Economics.
Mais à ce jour, aucune déclaration américaine ne va dans ce sens.
4/ Le risque d'absence de soutien de la banque centrale américaine
Les impacts négatifs sur l'économie causés par les droits de douane pourraient être compensés, au moins partiellement, par les baisses de taux de directeur de la part de la Réserve fédérale américaine (Fed), la plus importante banque centrale au monde. Des taux plus bas sont synonymes de coûts d'emprunt moins élevés ce qui incite davantage les ménages à consommer et les entreprises à investir. Autrement dit une baisse des taux de la Fed apporte un soutien à la conjoncture américaine et par ricochet à l'économie mondiale.
D'ailleurs vendredi, Donald Trump à enjoint Jerome Powell, le président de la Fed, à baisser les taux. Mais le banquier central a temporisé, soulignant que la politique tarifaire aurait certes des impacts sur la croissance mais aussi sur l'inflation qui risque d'augmenter.
Pour Wilfrid Galand, l'absence de réaction de la Fed constitue "la deuxième jambe" de la panique boursière.
Si la Fed, dans son mandat, doit prendre en compte l'évolution du chômage (et donc de la conjoncture), elle a également pour objectif de limiter l'inflation autour de 2%. Or des risques sur la hausse des prix existent à l'heure actuelle.
La Fed "devrait rester concentrée sur l’inflation, au moins jusqu’à l’été. Les pressions inflationnistes sont nombreuses, à la fois résultant du protectionnisme et de la hausse du coût du logement qui reste le principal contributeur de l’inflation en variation mensuelle. La publication des prix à la consommation pour le mois de mars cette semaine pourrait réserver une mauvaise surprise", explique Christopher Dembik de Pictet AM. "L'impact inflationniste des droits de douane pourrait inciter la Fed à rester sur la touche pour l'instant", abonde Barclays.
5/ Le risque d'effondrement de la tech américaine
Rappelons que les États-Unis représentent, en termes de capitalisation boursière, 64% de la valeur totale des Bourses mondiales, selon UBS. Et les géants américains de la tech constituent les grandes locomotives de Wall Street. Sept des dix plus grandes sociétés cotées au monde sont issues de ce secteur.
"Les grandes entreprises technologiques sont réévaluées en tant que poids mort et non en tant que valeur refuge", estime Stephen Innes de Spi AM.
En imposant des droits de douane universels à l'ensemble de ses partenaires commerciaux, l'administration Trump malmène la chaîne logistique de ces grands groupes, puisque nombre de leurs fournisseurs sont situés en Asie. Prenons Apple: 90% des iPhones sont produits et assemblés en Chine, selon Dan Ives, analyste chez Wedbush. Une infographie publiée par le Wall Street Journal ce week-end a d'ailleurs montré que les coûts de production d'un iPhone 16 Pro pourraient augmenter de 54% avec les nouveaux tarifs douaniers.
"Les valeurs technologiques seront clairement sous forte pression en raison des inquiétudes concernant la destruction de la demande, les chaînes d’approvisionnement et, en particulier, le volet chinois et taïwanais des droits de douane. Pour Nvidia et les autres fabricants de puces fortement exposés aux chaînes d’approvisionnement de la Chine et de Taïwan, l’inquiétude porte sur l’impact sur les prix et les marges", explique Arkéa AM.
"Si ces droits de douane (dans leur forme et taux actuels) sont maintenus, il n'y a pas de débat... Cela ferait reculer le monde technologique américain d'une décennie à notre avis, alors que la Chine est le grand vainqueur... et nous ne voyons pas de débat", assène Dan Ives. "Il faut 4 à 5 ans pour construire une usine aux États-Unis, la main-d'oeuvre américaine et la structure des coûts vont à l'encontre du concept même de la chaîne d'approvisionnement moderne, une grande partie de la propriété intellectuelle et de la technologie qui alimente la chaîne d'approvisionnement est cimentée en Asie", poursuit l'analyste.
Rappelons que les grands groupes de tech américains ruissellent sur d'autres sociétés cotées, y compris en Europe. Par exemple, une grande partie de la croissance de Schneider Electric a été portée, ces dernières années, par la croissance des data centers pour répondre aux demandes des "hyperscalers", c'est-à-dire Alphabet, Amazon ou encore Microsoft.